16 décembre 2013

Journal de nuit - Jack Womack

Lo-Ann Hart, une new-yorkaise de 12 ans reçoit un journal où écrire ses pensées pour son anniversaire, journal qu'elle baptise « Anne ». Elle y parle de son école (privée, pour filles), des soucis permanents d'argent de ses parents, de sa petite soeur Cheryl, dite Boob, et un peu de ce qu'elle perçoit de la situation politique. Et là, justement… l'année des douze ans de Lo-Ann sera celle de tous les changements. Les parents de Lo perdent leur emploi, le Président des Etats-Unis est assassiné…
Ce roman très fort, écrit au début des années 90, raconte l'explosion des Etats-Unis à travers le regard d'une enfant très intelligente forcée de grandir trop vite. L'exercice de style est réussi par la peinture impressionniste qu'il offre d'un monde en déliquescence : émeutes permanentes, fumée montant de Long Island et de Brooklyn, déchéance sociale d'un coupe de ceux qu'on appelait pas encore les bobos, perdant leur bel appartement de la 85ème rue pour être repoussés chez les Noirs, vers Harlem, violence des relations entre les sexes, repli d'une part de la société sur des valeurs hyper-conservatrices, camps de redressement chrétiens pour jeunes délinquants, changement du climat, et j'en passe. Les mois passés avec son journal seront pour Lo-Ann ceux de toutes les transformations et de toutes les terreurs. Le monde décrit est assez proche de celui de la BD Martha Washington goes to war : Amérique en éclatement, armée dans les rues, Présidents des Etats-Unis déconnectés de tout. Une partie des intuitions de l'auteur me semblent justes, notamment celle de l'hyper-sexualisation des relations garçons-filles. Le ton du livre, très fort, capture le lecteur dans son cauchemar au travers d'une collection de moments forts, notamment la déchéance scolaire de l'héroïne, ses relations avec ses copines - aussi frappées qu'elle par la bascule du monde, et son acculturation à la rue…
Le roman est une indéniable réussite, une science-fiction vue à travers l'intime, un des moyens les plus forts pour faire passer un monde et une situation. Une limite toutefois, pour chipoter : je trouve le livre prisonnier de son système. Le journal, unique point de vue, contient par force tous les éléments permettant de saisir l'évolution des sentiments et de la situation sociale de Lo et ses proches - je ne crois pas qu'aucun témoignage soit jamais aussi complet. Le roman aurait gagné à être un peu plus incohérent, a laissé plus de vides, de surprises, d'incongruités, où projeter l'imagination du lecteur. 

Ce livre m'a été conseillé par la librairie Charybde. L'édition Présence du futur dont je dispose est épuisée, mais aux dernières nouvelles Charybde disposait encore de quelques exemplaires en excellent état à un prix modique.

[edit] le livre n'est plus disponible en Charybde, mais on le trouve en Scylla, à l'heure où j'écris.

5 commentaires:

  1. C'est un de mes livres préféré. Je ne comprends pas pourquoi ce livre n'est pas mieux connu. Je l'ai lu en anglais, et je préfere le titre ironique "Random Acts of Senseless Violence". Pourquoi ont-ils changé le titre ? Et pourquoi Lola est-elle devenue Lo-Ann ?

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  2. @Ed de ce que j'ai lu par ailleurs, le roman ne paraissait pas du tout évident à transposer en VF. Je trouve qu'Emmanuel Jouanne a fait un beau travail d'adaptation, que la langue coule très bien en français (notamment tout l'argot vulgaire de la fin).

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  3. Oh, Journal de nuit, je n'avais pas vu que vous étiez tombé dessus. Un titre qui m'a marqué, plusieurs images rémanentes me restent en tête alors que je l'ai lu quand il est sorti en poche, dans les années 1990. Les alarmes anti-vol des immeubles qui strient la nuit, le déménageur cheap qui balance toutes les affaires sur le trottoir, la revente misérable de quelques livres...

    Un texte fort, "fort" étant le qualificatif qui vient à l'esprit, comme ta note le souligne. Et réussi, on ne le lâche pas, il marque.

    De Jack Womack, à part celui-ci, je n'ai eu en mains que des textes mineurs, décevants. Journal de nuit semble son seul texte de valeur, son pic.

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  4. @le_lecteur : j'ai un autre Womack dans ma pile (celui sur la Russie), tu l'as lu ?

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  5. oui, je l'ai lu... Enfin, j'ai lu 100-150 pages et je l'ai lâché. C'était pas trop mal, juste trop voulu, trop appuyé. Et le mode thriller - car ce n'est pas du tout de la SF - n'était pas suffisamment efficace pour avoir envie de poursuivre.

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