31 décembre 2017

Mener des parties de jeu de rôle – collectif, sous la direction de Coralie David et Jérôme Larré

Reprise d'une chronique parue dans le Bifrost n°83.


Le jeu de rôle « sur table » est une pratique vieille d’une quarantaine d’années, si on la fait débuter avec la publication de Donjons & Dragons, en 1974. Dans la forme la plus classique de cette activité, un petit groupe d’amis se rassemble dans un endroit tranquille. L’un d’eux, le meneur de jeux, prépare la structure (ouverte) d’un récit, dont les autres joueurs vont incarner les personnages, construisant l’histoire à travers un dialogue à la forme assez libre. Si la réflexion sur le jeu de rôle a atteint le monde universitaire, peu de livres existent qui s’adressent au grand public des joueurs et traitent non pas d’un jeu en particulier, mais du jeu de rôle en général.
Mener des parties de jeu de rôle est un recueil d’articles abordant un grand nombre de sujets du savoir-faire rôlistique, à savoir comment, en tant que meneur de jeu, animer des parties agréables, intéressantes et mémorables. Le livre ne se vend pas explicitement comme tel (et c’est un tort), mais sa lecture est tout à fait recommandable pour les meneurs débutants. On y trouve nombre d’évidences (Organiser des parties, enseigner un jeu, commencer…) que j’ai rarement vues abordées ailleurs. Les articles sont longs, fouillés, et explorent une belle gamme de sujets. Les plus « classiques » (improviser, décrire, incarner des PNJs, jouer en musique) n’apprendront que peu de choses aux meneurs expérimentés, mais même ceux-ci trouveront leur bonheur dans les articles les plus théoriques : rassembler et diviser, dompter la linéarité, animer les scènes spéciales… J’ai aussi été intéressé par les articles sur le jeu procédural (avec génération de donjon semi-aléatoire), le jeu à distance, ou les techniques de narration partagée.
Le livre est sérieux, touffu, bien dirigé, avec une approche quasi-universitaire. Tout meneur de jeu trouvera des idées et des techniques à y piocher, amenées sans dogmatisme avec la volonté affichée de théoriser un peu notre pratique pour enrichir l’expérience de tous.
Je regrette toutefois que le livre ne se soit pas encore plus tourné vers les débutants. La mise en page est austère, les exemples rares, les illustrations absentes. Sérieux, mais pas très attirant, donc pas évident à recommander. De même, le livre est basé sur la conception « classique » du jeu (un meneur prépare une partie en avance pour un petit groupe de joueurs). Même s’il permet des incursions vers des façons plus modernes et expérimentales de jouer (jeu à distance, Old school renaissance…), il ne va pas au fond de cette pratique classique. Voici quelques titres d’articles que j’aurais aimé y lire : Que faites-vous ? : passer et reprendre la parole, relations de personnages et relations de joueurs, utiliser et dépasser le cliché : la construction d’un imaginaire commun. Mener pour des enfants, faire croire à son univers, mener une histoire en temps contraint
Bref, mener des parties de jeu de rôle est une lecture passionnante, mais il reste de la matière à traiter ! A quand un tome 2 ?   

29 décembre 2017

René Goscinny – Au delà du rire

De passage à Paris, nous avons emmené les filles au musée d'art et d'histoire du judaïsme visiter une exposition consacrée à un grand écrivain français, le préféré de Rosa : René Goscinny. Sur trois étage, cette jolie exposition retrace les origines juives polonaises de la famille Goscinny, les souvenirs d'enfance en Argentine, les années américaines et les travaux qui ont fait sa célébrité, en collaboration avec Sempé, Morris, Uderzo et Tabary pour citer les plus célèbres. Aucune découverte sensationnelle pour qui connaissait déjà le personnage. On voit Goscinny issu d'une famille industrieuse et sérieuse. Le père, mort quand il était jeune, était un digne représentant de la France à l'étranger. Le jeune Goscinny montre très vite un vrai talent pour le texte et pour le dessin (ses caricatures sont très belles et ses textes potaches pour le journal du lycée déjà rigolos). J'ignorais que comme tant d'autres de sa génération il avait voulu travailler pour Disney. Et malgré de belles amitiés américaines, il est revenu après-guerre travailler en France. On voit le poids de la mort précoce de son père sur sa vie, et l'importance de l'engagement syndical dans ses amitiés.
Enfin, la partie sur ses grandes collaborations montre que Goscinny a toujours fait ses plus grandes œuvres en travaillant avec d'autres et que toutes sont le fruit d'un travail acharné. Combien de dizaines de planches, de projets avortés, de créations moins célèbres... pour aboutir à Lucky Luke ou Asterix. Un génie, certes, mais avant tout une brute de travail.
Voir les planches originales d'Asterix chez les Belges, d'Iznogoud ou de Lucky Luke est très précieux, tout comme il est très drôle de découvrir la première version (BD) du petit Nicolas. A la fin, on est heureux d'avoir vu tout ça, sans avoir vraiment percé le mystère des créations de ce petit bonhomme frisé. Mais le voulait-on vraiment ?

28 décembre 2017

Exploit – Bouglione


On pourrait croire à la lecture de ce blog que nos sorties circassiennes se limitent à Knie et à Starlight, mais nous sommes également des amateurs des spectacles du cirque Bouglione, à Paris. Bouglione joue (en hiver, du moins) dans la magnifique salle "en dur" du cirque d'hiver, sorte de meringue 1850 pleine de fauteuils rouges et de lumières scintillantes. Leur programmation est dans un registre de cirque traditionnel international. Clowns, animaux, acrobates, avec des artistes invités venus du monde entier. Tout comme pour Knie, la qualité du spectacle dépend autant des artistes que de la capacité à tout faire tenir ensemble, ce qui tient à des règles subtiles que je ne saurais pas expliciter. Alors, à ce registre que vaut Exploit, leur spectacle 2017 ?
Il est excellent.



Des danseuses, des fauves, un jongleur, des clowns, monsieur Loyal et monsieur Caroli, un orchestre très en forme, des numéros qui font faire oooooh ! et waow !, un bon rythme et une fin un peu mélancolique, tout ce qui fait un grand spectacle de cirque !





Ce qui est assez rare, je suis capable de citer presque tous les numéros de mémoire : du dressage de fauves avec un tigre qui fait des bonds impressionnants. Un numéro de main à mains de deux acrobates espagnoles. Du mât chinois aérien (étrange, oui), très technique et fluide. Un incroyable numéro de clown acrobate de Max Weldy, à base de plongeoir et de trampoline. Une femme-canon (au sens propre). De la voltige équestre hongroise, des petizanimaux mignons pour les petizenfants, un peu de haute école, du jonglage au diabolo très bien mis en scène avec effets de lumières incroyable, un numéro d'équilibre sur les mains hallucinant d'Encho Keryazov, dont la silhouette d'hercule est fascinante, et, en finale, les Navas, un duo pratiquant la roue de la mort. Nous connaissions déjà la plupart des numéros de clown de Rob Torres, mais il était très agréable de voir comment il réutilisait et remixait certains éléments, et nous avons eu du plaisir à le revoir.


A l'exception du travail de Max Weldy (exceptionnel), nous avions déjà vu ce genre de numéros ici ou là, mais le niveau général, la qualité de mise en scène et d'exécution emportait tout. On vient au cirque voir des corps (humains, animaux) accomplir des exploits avec le sourire. Nous avons été gâtés.




26 décembre 2017

Le mystère Dyatlov – Anna Matveeva

Republication d'une chronique d'un bouquin bizarre lu pour Bifrost. (parution dans le numéro 81)


En février 1959, dans l’Oural, neuf jeunes gens bien entraînés, sept garçons et deux filles,  partaient pour une randonnée sportive vers le Kholat-Siaskhyl, le mont des cadavres dans la langue mansi, l’ancien peuple autochtone. Ils ne reviendront jamais. On les retrouvera morts, certains gelés, d’autres ayant subi des coups, éparpillés hors de leur tente lacérée. Aucun ne portait ses chaussures.
C’était l’époque de Khrouchtchev,  un moment de respiration après la mort de Staline. Mais aussi l’époque des escadrons de la mort à la recherche des zeks évadés, l’époque des tests de fusées et d’armes nucléaires. Une époque de secrets. L’enquête n’a permis aucune conclusion définitive, les parents des disparus ont dû se battre pour accéder aux quelques informations qu’on voulait bien leur donner.
Sur ces faits réels passionnants, Anna Matveeva construit un roman très bancal. Son héroïne et double fictionnel vit comme l’auteur en 1999 à Sverdlovsk/Iekaterinenbourg, la ville d’où était originaire le groupe Dyatlov, elle se retrouve par un hasard un peu fantastique à lire une pile de vieux documents sur le groupe. Ce procédé, de mêler enquête réelle et fiction, est assez élégant en ce qu’il permet de construire une relation émotionnelle avec les faits. Malheureusement la fiction, si elle nous donne une vision intéressante de la vie en Russie à la fin des années 90, est globalement très mal écrite, mal ficelée et sans intérêt. Toutes les pistes intéressantes (la vision du premier chapitre, la relation aux voisins bizarres…) sont abandonnées, et le style est au mieux plat.
On s’en moque un peu, car l’auteur cite et commente de nombreux documents réels (près de la moitié du livre en fait), reproduits dans une police de caractère spécifique, qui permettent au lecteur de disposer de tous les éléments et de se faire sa propre opinion quant à l’explication du mystère. Prisonniers en fuite ? Avalanche ? Accident militaire ? Opération de nettoyage ? (Créature indicible ?)
Rien ne colle parfaitement, on ne saura jamais. Mais le temps de ce (court) documentaire, on sera replongé dans un monde tout aussi étrange pour la narratrice que pour nous, lecteurs français : l’Union Soviétique des années 1950, ses étudiants, ses sportifs, ses chansons, ses carnets de randonnée. Le plongeon dans le passé et le beau mystère valent quand même le coup d’œil. On songe en rêvant à ce qu’une romancière plus rigoureuse et plus chevronnée pourrait faire d’une pareille histoire.

16 décembre 2017

Butch Cassidy et le Kid – George Roy Hill


Dans ce western on trouvera : des bandits sympathiques, Paul Newman et Robert Redford, des scènes d'attaque de train audacieuses (trop de dynamite), un vélo, une institutrice qui ne veut pas voir les héros mourir, des attaques de banques, les yeux bleus de Paul Newman, la plus longues poursuite à cheval du monde (mais qui sont ces types ?), le regard rieur de Paul Newman, un as du flingue (Je peux bouger ? Je tire mieux quand je bouge), pas mal de rires et de mélancolie.


Que deviennent les aventuriers quand l'histoire est finie ? A quel moment faut-il s'arrêter de courir ?
Butch Cassidy et le Kid est un merveilleux film, un de nos préférés.


15 décembre 2017

Puppet trap – à la Tournelle

Soit Jano, un marionnettiste chilien en tournée au Chili. Soit un flic zélé qui découvre 2 grammes d'herbe dans son sac. Voici Jano en prison, accusé de narcotrafic, au milieu des vrais tueurs. Le voici même jeté dans une cellule du quartier de haute sécurité où tous les types enfermés sont convaincus qu'il est une balance envoyé par la direction pour les espionner.


C'est le début de l'histoire (vécue) racontée par Puppet trap, un spectacle pour un marionnettiste (qui anime les marionnettes, sans surprise) et un comédien (qui joue tous les personnages, y compris parfois le marionnettiste). Au delà d'un récit très fort sur l'incarcération et l'intérêt et la difficulté de rester artiste dans les circonstances les plus difficiles (toi ! fais-nous un spectacle !), le dispositif très réduit de la pièce est remarquable. Le jeu de transformations du marionnettiste en marionnettes, la plasticité du jeu d'acteur de Blaise Froidevaux, le montage serré et puissant du récit donnent un excellent spectacle. C'est à la fois horrible et vraiment drôle, comme seules les choses les plus vraies peuvent être drôles.




11 décembre 2017

L'homme qui tua Liberty Valance – John Ford


Dans ce film de John Ford, on trouve : un cow boy rude et solitaire (John Wayne), un avocat idéaliste (James Stewart), un terrible bandit – du titre (Lee Marvin) et une petite ville qui apprend la collectivité et la démocratie. Il y a du suspense, quelques coups de pistolet, les relations ambigues entre la violence et le pouvoir du peuple. C'est inspiré d'une nouvelle de l'excellente Dorothy Johnson. Et c'est très bien.



Imprimez la légende !

04 décembre 2017

Moi, Boy – Roald Dahl

L'autobiographie d'un enfant : à l'intention de ses jeunes lecteurs, Roald Dahl raconte dans ce génial petit livre certains de ses souvenirs d'enfance les plus forts. Depuis son histoire familiale (immigrants norvégiens venus dans le pays de Galles), en passant par ses débuts à l'école, ses relations mouvementées avec la dame de la confiserie, les professeurs battant les élèves à coup de canne, les vacances magiques en Norvège, les cruauté des pensionnats anglais... jusqu'à ses débuts professionnels comme homme d'affaires pour la Shell dans les années 30.
Ce livre est un vrai livre de Roald Dahl : le lecteur se sent complice du héros du récit, les scènes cruelles et les méchants y sont nombreux et l'enfant courageux traverse plus ou moins indemne les épreuves les plus absurdes. Il est aussi un plaidoyer très virulent contre les violences injustes faites aux enfants. Les coups reçus ont marqué la mémoire de Roald Dahl, comme l'ont marqué aussi les bontés gratuites et l'amour incroyable et fidèle de sa mère et de sa famille.
D'un point de vue littéraire, on s'apercevra aussi que certaines des créations imaginaires les plus marquantes de l'auteur ont des sources profondes, que ce soient les sorcières-confiseuses de Sacrées Sorcières, l'horrible Mlle Legourdin de Matilda, et la chocolaterie en folie de Charlie... 
Moi, Boy est un très beau livre, le récit d'un enfant à l'attention d'autres enfants.
A conseiller à partir de dix ans.

02 décembre 2017

L'étoffe des héros – Tom Wolfe

Voilà la preuve qu'il y a encore en moi le petit garçon et l'adolescent qui lisait avec passion les aventures de Buck Danny, qui montait des maquettes d'avion et qui a fait des études d'aéronautique avant de changer complètement de voie. Cette jeune personne était capable de se figurer mentalement la silhouette du Bell-X1 ou du X15, d'un F86, d'un F100 ou de tout un tas de machins supersoniques absolument formidables et savait tout à fait décrire les affres d'un appontage de nuit en pleine tempête.
Je craignais de lire, avec l'étoffe des héros, un bouquin teinté de reaganisme et de néo-héroïsme viril américain. J'avais tort : ce livre, qui se parle essentiellement des Mercury seven, les sept premiers astronautes américains, pionniers de l'exploration spatiale dans ce pays, s'intéresse à l'histoire et à la psychologie de ces hommes particuliers, pilotes de guerre, as de la chasse, pilotes d'essai, membres d'une confrérie imaginée, compétiteurs permanents en même temps que frères de combat et d'aventure. Tout en égrenant les moments d'une histoire incroyable (entre le franchissement du mur du son par Chuck Yeager et la fin du programme Mercury durant les années 60), pleine d'avions, de fusées, d'aventures et de suspense, le livre s'intéresse aux familles, aux épouses, aux politiciens, aux ingénieurs, aux médecins, au rapport à l'argent, au rythme cardiaque de ces gens-là. C'est écrit dans un style journalistique, à la fois familier, proche et précis, sans concessions (j'imagine que certains partis pris de l'auteur n'ont pas dû plaire), de manière toujours imagée et souvent très drôle. Le centre du propos du livre est bien sûr cette notion d'étoffe, celle qu'on a ou qu'on n'a plus, celle que possède un homme pris dans un NF104 au moteur arrêté chutant depuis 40 000 mètres d'altitude comme un vieux tuyau et qui parviendra à s'en sortir.
Je m'étais dit: j'en lis cinquante pages et je vois si ça me plaît. Les centaines de pages ont défilé en vitesse. Je suis maintenant curieux de voir le film ! (est-ce qu'on y voit voler un X15 ?)





01 décembre 2017

Fanfan la tulipe – Christian-Jaque



Il était une fois un pays charmant qui s'appelait la France. Regardez-la par le petit bout de la lorgnette, c'est elle en plein xviiie siècle. Alors on vivait heureux, les femmes étaient faciles et les hommes se livraient à leur plaisir favori : la guerre — le seul divertissement des rois où les peuples aient leur part.

Un autre film du dimanche, et un plongeon plus loin dans le passé. Noir et blanc, années 50, Gérard Philipe et Gina Lollobridgida. 



Fanfan est un jeune homme bien fait de sa personne, qui a peu de fortune, beaucoup d'audace, une forme d'inconscience et un paquet de chance. Pour échapper au mariage avec la fille d'un fermier, il s'engage dans l'armée, bien persuadé qu'il épousera la fille du roi. Bagarres, rencontres, coïncidences folles et combats sur le toit plus tard, il finira par rencontrer Louis XV et changer le cours d'une bataille.
Le film est rigolo, très enjoué, pas mal filmé du tout. Ca galope, ça ferraille, il y a des bons mots tout le temps: j'ai été surpris de découvrir à quel point c'était écrit.

Tu aimes Fanfan, dis-tu ? Remercie-moi donc : mon caprice t'offre l'occasion de lui donner la plus grande des preuves d'amour en trahissant pour le servir la fidélité que tu lui as juré.


Pour le reste, les enfants ont été troublés par le noir et blanc. Le son années 50 et la diction très "comédie française" des acteurs (par ailleurs très bons) rendent les dialogues parfois difficile à saisir. Et si on regarde le film d'un œil moderne, on sera choqué par le personnage féminin. Adeline La Franchise ne sert, par ses appâts, qu'à mouvoir tous les hommes du récit, et n'a par elle-même pas beaucoup d'initiatives...


J'suis pas pressé ! Dès l'instant que mon avenir est assuré, j'aurai la patience d'espérer dans la certitude.

Reste un film très joyeux, énergique et sautillant. Ca se regarde très bien.