18 juillet 2006

Le chef d'oeuvre caché : Le goût de l'immortalité, de Catherine Dufour


Aperçu général -- un monde pourri

J'ai lu ce livre qui m'est arrivé précédé d'un buzz flatteur sur mes médias internetiques habituels. L'auteur avait commis quelques textes de fantasy humoristique (genre qui ne m'excite pas tellement), mais là, il s'agissait de SF, assez sombre, on allait voir ça ! Finalement, c'est la lecture de la page web de l'auteur qui m'a décidé. (et pas la couverture de Caza, très laide, beurk).

Tout d'abord, qu'on ne se méprenne pas sur ce que je vais dire, il s'agit là d'un plutôt bon livre, bien écrit et intéressant. En voici le sujet, pour donner envie à ceux qui ne pourront pas passer la barrière des spoilers ci-dessous : quelques siècles dans notre futur, une femme (?) écrit à un vieil ami pour lui demander un service et elle profite de cette longue lettre pour revenir sur son existence tourmentée et celle de quelques personnages qu'elle a croisé. Dans ce monde futur, beaucoup d'espèces ont disparu, l'humanité se déchire en guerres entre mafias, organisations internationales, forces militaires des transnationales, etc, des maladies mortelles dévastent la surface de la planète, les matières premières manquent, bref ce n'est pas la joie. Et notre narratrice, pour des raisons diverses, a eu un oeil plutôt bien placé pour observer tout ça, dont elle parle avec un ton caustique, désespéré et plein d'humour noir. Outre de belles idées science-fictives (la suburb/les tours, les majuscules (on comprendra), la vie dans les petits conapts, la pâte d'oxygène, les recherches sur le réseau...), on trouve surtout un véritable point de vue qui fait les grandes oeuvres de SF selon moi (je pense à des livres comme Nôo ou bien des fleurs pour Algernon...). Je me souviendrai longtemps de la petite voix énervante et méchante de la narratrice (anonyme, il me semble).

Le chef d'oeuvre caché -- légers spoilers inside

Le goût de l'immortalité est un livre composite, assemblage de plusieurs récits. Je distingue trois gros ensembles, dans l'ordre : l'enfance de la narratrice, les aventures équatoriales de cmatic, les aventures de la cheng et nakamura en enfer.

Soyons logique, commençons par le troisième : il s'agit là d'un récit d'aventures très sombres, avec un univers assez "manga", visuellement très fort, une société de survivants hyper-violente. Il y a beaucoup de belles idées (le personnage de path, le Dama, les puits d'aération tapissés de bitume, l'arène...). On est dans la bonne série B SF/aventures, avec un monde simple, plein de fantasmes terribles. Le récit nous est rapporté de façon un peu artificielle par des récits faits à la narratrice.

Second granulé de récit: les aventures de cmatic. Là, on est dans le techno-thriller (des îles paradisiaques, des manipulations génétiques...). L'aventure est intéressante, on n'y comprend rien (et c'est normal). Procédé littéraire excellent: la narratrice reconstitue l'histoire d'après enquête dans les archives du réseau (conversations téléphoniques, relevés de paiement...) de façon tout à fait crédible et sans lourdeur aucune. Le monde apparaît ici dans toute son incompréhensible complexité et réalité et on s'attache au pauvre cmatic...

Premier granulé : la lettre, le récit de la narratrice, de son enfance (et la conclusion du roman, excellente). J'y ai cru. J'ai cru à une vraie lettre venue d'un futur noir et lointain, noir et pas si noir, parce qu'on devine la vieille humanité, vivante, aimante malgré tout, qui naît, invente, crée, meurt dans les environnements les plus étranges (les couloirs des tours, les petites serres, les mondes étranges du réseau), avec ses religions, ses cultures. On croit à cette vieille han/mandchoue qui revoit sa vie avec haine (et parfois, parfois, un soupçon de tendresse), qui ment, qui mord, qui déchire. On croit à cette vie belle et hideuse. Ce passage là est magnifique. Je n'oublierai pas de sitôt ce méchant personnage.

Je devine avec ce passage un autre roman, écrit entièrement de ce point de vue. Un roman qui suivrait les chemins de la mémoire, d'une mémoire de plusieurs siècles, de l'histoire d'un monde. Un roman dont celui-ci n'est qu'un aperçu, une condensation partielle. L'autre "Goût de l'immortalité", celui qui s'intéresse aux rencontres faites par la narratrice, à ses plongées dans le réseau, à son goût pour les traductions, à son obsession cachée pour les racines familiales, sans utiliser des procédés de romancier (pour les récits dans le récits) mais en présentant véritablement l'histoire (de notre futur) du point de vue de ces petits yeux bridés en noir et blanc. Mais ce roman là est une oeuvre énorme, plus ambitieuse encore que le premier (déjà ambitieux), l'oeuvre de plusieurs années, d'une vie? Après tout, Marguerite Yourcenar a vécu des années avec Hadrien avant de pouvoir finir son roman, n'est-ce pas mon cher Marc?

Ce n'est pas la moindre qualité de ce livre de m'avoir fait rêver à l'autre livre, celui dont le roman de Mnémos est une projection, un aperçu. Pusse-t-il voir le jour !

05 juillet 2006

L'illusion comique - au théâtre de poche Montparnasse

"C'était bien l'illusion comique hier... Léger et juste comme un rêve... C'est le songe d'une nuit d'été de Corneille. "
Voilà ce que tu as dit ce matin, après avoir vu la pièce mise en scène par Marion Bierry. Je ne connaissais pas la pièce, ni ce minuscule théâtre de poche (Montparnasse), ni cette troupe.
Alors dans une toute petite salle, avec de petits moyens, le décorateur a reconstitué la grotte du magicien Alcandre, que vient visiter une mère éplorée : son fils a disparu, elle en veut avoir des nouvelles.
Alcandre, fin et élégant, un masque vénitien tenu sur la visage, va dévoiler le destin de Clindor à sa mère inquiète :

Sous une illusion vous pourriez voir sa vie,
Et tous ses accidents devant vous exprimés

Par des spectres pareils à des corps animés :
Il ne leur manquera ni geste ni parole.

Et quel destin ! On aura des intrigues, une troublante Isabelle, une espiègle Lyse, un Matamore, capitaine prétentieux prétendant avoir vaincu tous les princes de la terre. Il y aura aussi des meurtres, des trahisons, une évasion, des retournements et des rebondissements dans tous les sens, et même de jolis passages chantés.
Le texte est magnifique, plein de poésie et de bons mots, en digne ancêtre de Cyrano. Corneille s'y montre virtuose, à la fois drôle et sérieux, loin de l'austère tragédien qu'on présente parfois à l'école.
La troupe donnait l'impression d'un grand bonheur de jeu, d'une grande complicité. La pièce a été adaptée intelligemment, tordant un (petit) peu le texte et respectant bien l'esprit.

On en est sortis très heureux, très légers.

... A présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l'idolâtre,
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits,

PS : tous les acteurs sont bons, les costumes sont beaux et la mise en scène très légère. Seule l'affiche est vraiment moche. Mais qu'elle ne décourage pas d'aller voir la pièce !
PPS : la pièce m'avait été recommandée par Le masque et la plume. Merci à Jérôme Garcin et ses chroniqueurs !