19 janvier 2007
Evolution, de Stephen Baxter - Une saga familiale
On connaît les sagas familiales, les livres qui racontent la destinée d'une famille sur quelques générations (le meilleur, dans le genre : cent ans de solitude, de Garcia Marquez). Baxter, cherchant sans doute le succès commercial attaché à ce genre de littérature, a pondu une saga de famille à son tour. Mais c'est un auteur de SF : il a donc choisi de raconter la saga de l'humanité, depuis Purgatorius (une sorte de rat, notre plus lointain ancêtre direct identifié) jusqu'à la fin de la terre et la disparition de notre dernier descendant. Rien que ça.
Et alors, comme s'en sort-il? Plutôt bien, en vérité.
Baxter fait fonctionner son livre sous forme de gros chapitres, chacun situé à une époque donnée, chapitres égrainés dans le temps. Dans chacun de ces chapitres, on découvre un héros (plus ou moins intelligent, généralement moins que plus) et sa lutte pour la vie. Les enjeux narratifs sont d'ailleurs très similaires d'un chapitre à l'autre : 1) le héros ne veut pas mourir mangé par une grosse sale bête. 2) le héros veut trouver quelque chose à se mettre dans son ventre de petit primate stupide. Mais l'intérêt n'est pas là : Baxter a mis tout son talent à l'oeuvre pour nous tracer le portrait de ces ancêtres et de leur environnement. Et chacune des époques, chacune des terres que nous visitons, paraît être un autre monde, une de ces planètes étrangères que la SF adore. Préparez-vous donc à un voyage dépaysant !
Au cours de digressions un peu verniennes, l'auteur explique le pourquoi et le comment des paysages et des formes de vie observées, appelant à la rescousse aussi les mécanismes de l'évolution que la climatologie ou la dérive des continents. Mais attention, ce livre (même s'il est riche d'informations et m'a appris beaucoup de choses) ne prétend pas être un essai scientifique. Au contraire, en s'appuyant sur les connaissances scientifiques contemporaines, Baxter tente de donner une vision vivante et pleine d'émotions de toute cette lignée de primates venus et à venir dont nous faisons partie. Et là où la connaissance scientifique manque, l'auteur n'hésite pas, en bon romancier, à faire appel à son imagination...
Alors certes le livre est long, certains passages étaient peut-être superflus (pas tant que ça, à mon goût) mais l'ampleur du propos est extraordinaire, le traitement souvent habile et les échelles temporelles sur lesquelles se déroule l'action donnent le vertige, un peu d'ailleurs comme dans la machine à voyager dans le temps, de Wells (auquel Evolution rend hommage).
Un livre impressionnant. Waow.
Pour plus de détails sur ce roman, voir par exemple ces critiques, au risque de lire quelques spoilers...
http://www.yozone.fr/article.php3?id_article=1459
http://www.noosfere.com/Icarus/Livres/niourf.asp?numlivre=2146560906
10 janvier 2007
Lectures 2006
[JdR] Te Deum pour un massacre, J.P. Jaworski
Comme nous jouons encore assez régulièrement, je lis un petit peu de la production rôlistique. Te Deum pour un massacre est un Jdr historique qui propose de jouer durant les guerres de religion. Le jeu est si habilement présenté et tellement bien fait qu'il m'a donné envie, à la lecture, de commencer une campagne d'aventures dans la France de Charles IX et de Henri III. C'est sans doute là le principal signe d'une bonne écriture pour le jeu de rôle: donner envie de jouer en facilitant la vie du MJ. Ce jeu contient notamment une excellente synthèse historique, riche et point trop obscure, et un très intéressant opuscule sur la vie quotidienne au 16ème siècle, des classes sociales aux divertissements, en passant par les questions d'habillement, de logement, les noms des danses... Un peu comme le travail présenté ici, en plus riche et plus détaillé.
Bref, en jeu de rôle, cette année aura été l'année Te Deum. Ma campagne a commencé en 1559 et nous sommes maintenant en 1565, beaucoup de guerres et d'aventures ont déjà eu lieu. Mes lectures "Renaissance" donneront une idée des endroits vers lesquels ma campagne s'orientera...
Le siège de Sancerre, Jean de Léry
Un livre de 1573, lu sur version imprimée, téléchargée sur Gallica. Témoignage étonnant sur le siège de Sancerre, ville protestante, par les troupes du roi Charles IX. Le livre est écrit avec une certaine objectivité par un pasteur coincé à l'intérieur de la ville et son ton très vivant, très reportage, en fait un témoignage exceptionnel. Il observe comment le siège est préparé, les effets des bombardements, de la faim (le siège durera 8 mois, les gens iront jusqu'à manger le parchemin recuit des livres...). Raconte des scènes d'horreur, les moments de louange et des passages absurdes, voire franchement comiques... Tout le contraire du fantasme hollywoodien et de l'heroic fantasy. Les deux armées font des erreurs tout le temps, le combat lui-même n'est qu'un immense malentendu, les plans soigneusement échafaudés foirent les uns après les autres... Une lecture fascinante. Et bien sûr une fabuleuse aide de jeu pour Te Deum.
Moby Dick, Herman Melville
Après plus d'un an de lecture (à haute voix) nous avons fini ce monument. Un livre énorme, fascinant, étonnant, tout comme son sujet. Melville a écrit le roman total sur la baleine, rien d'autre ne pourra être écrit derrière qui n'y fera pas référence. Ce livre extraordinaire emprunte tous les tons, tous les styles (roman, théâtre, encyclopédie, sermon religieux, histoire fantastique...). L'anecdote en est très simple (Achab, qui est fou, pourchasse la baleine blanche sur toutes les mers du globe), l'action avance lentement, les scènes splendides sont nombreuses, les longs délires le sont aussi. Une lecture extraordinaire.
[BD] Journal d’un Album, Dupuy & Berberian
Un album anecdotique, narcissique et sans intérêt, mauvais cru de la BD qui se regarde le nombril.
Sixième colonne, R.A.Heinlein
Cadeau de Sébastien Guillot, un roman "pour la jeunesse", assez amusant, dont le principal intérêt est de préfigurer presque entièrement l'intrigue du secret de l'espadon, commentaires racistes y compris. Les premières pages sont un excellentes (leçon remarquable sur la façon de mettre en place une intrigue), la suite est prévisible
Le grand cahier, Agota Kristof
Etonnant petit roman (par la taille) et grand par l'ambition littéraire. L'histoire de deux étranges jumeaux dans un pays (générique) d'Europe Centrale pendant la seconde guerre mondiale. Un récit cruel, une tentative littéraire fascinante (tenter de n'écrire que les faits, bannir l'émotion et la subjectivité). Le récit est bref, tendu et intense. Les deux livres qui lui font suite sont nettement moins intéressants.
[BD] Blacksad T3 - Aube rouge
Un bon tome 3 qui suit un excellent tome 2. Blacksad est une bonne série "grand public". Le dessin est magnifique, les scénarios tiennent bien la route, il n'y a pas (encore?) de facilités commerciales.
Les domaines hantés, Truman Capote
Ma découverte de cet auteur, suite au film qui lui a été consacré. Récit d'enfance dans une vieille maison du vieux sud, peuplée de gens un peu atteints et de fantômes. L'écriture rend parfaitement cette atmosphère capiteuse et délétère. Les roman est peuplé d'images et de situations étranges qui restent longtemps en mémoire... Ma seule autre référence d'écriture "sudiste" reste Poppy Z Brite, et je trouve rétrospectivement qu'elle est en quelques points une héritière de Capote.
[BD] Le photographe T3, Guibert, Lefevre, Lemercier
Une bonne série qui se termine. Ce T3, moins reportage et plus "aventure personnelle", m'a moins convaincu que les autres. Mais c'était un beau projet.
L’évangile selon Marc, Saint Marc
Lecture de l’évangile selon Marc, Benoît Standaert
Cette année, j'ai décidé d'étudier l'évangile de Marc et d'en faire une analyse personnelle, appuyée sur quelques lectures et sur les cours suivis l'an dernier. Mon but était de pouvoir donner une réponse personnelle (et argumentée) à la question: "que veut nous dire l'auteur, avec ce texte ?". J'ai noté le résultat de mes réflexions dans un petit document à usage personnel (partageable si affinités). Les textes sacrés sont d'accès difficiles, parce qu'ils sont très datés (2000 ans pour celui-ci...) et qu'on les lit en ayant sur les yeux de nombreux filtres de lecture (rapport personnel à la religion, culture générale sur le sujet...). J'avais donc pensé que relire attentivement le texte, un crayon à la main, en notant mes propres réflexions et questions et en me forçant à rédiger une fiche de lecture pouvait être enrichissant. Je ne regrette pas les quelques heures de travail passées là-dessus et je peux maintenant dire que j'ai vraiment lu ce texte.
La règle de Saint Benoît, Saint Benoît
Ce document est une pépite. Règle de vie en communauté rédigée il y a 1500 ans, contenant toute sortes de prescriptions, de recommandations et d'interdits, il s'agit surtout d'un témoignage incroyablement touchant, montrant une connaissance profonde et fraternelle du coeur humain, de ses forces et de ses faiblesses.
Pattern recognition, William Gibson
J'ai déjà dit ici ce que je pensais du dernier Gibson, dont je ne garde pas un souvenir impérissable.
[BD] 20th centry Boys, Urosawa Naoki
J'ai lu cette année tous les tombes parus en français de cette bonne série de SF. Son seul défaut est d'être justement une série et de ne pas savoir s'arrêter. Les 10 premiers tomes sont exceptionnels, mettant en scène d'excellents personnages et jouant avec habileté des allers et retours dans le temps. Ensuite, la série reste de bon niveau, mais l'histoire s'essouffle, l'intérêt faiblit. Comme souvent dans les histoires à mystères, le mystère lui-même m'intéresse plus que son explication...
Au guet, Terry Pratchett
J'ai abandonné ce livre au bout de 50 pages. Je n'avais pas lu de Pratchett depuis longtemps et ça ne m'a pas donné envie d'en relire. L'histoire m'a parue cousue de fil et blanc et l'humour me faisait à peine sourire. Bon, tant pis.
Kipling, le livre de la jungle
Une lecture du soir, pour s'endormir. Kipling est un conteur merveilleux et le livre de la jungle est une histoire très touchante, souvent brutale et violente. Mowgli, loin d'être une créature Disney gentille et niaise, est un excellent personnage, écartelé entre deux mondes, violent et contradictoire. Un récit qui n'a pas de véritable happy end...
Le dictionnaire des guerres de religion (collectif)
Très bon ouvrage de référence sur le sujet, comprenant un intéressant who's who de l'époque et de bons articles sur l'histoire des différents pays d'Europe durant la même époque.
Congo Pantin, Philippe Curval
J'ai dit ici tout le bien que je pensais ce roman de SF français.
Le goût de l'immortalité, Catherine Dufour
J'ai dit là tout le bien que je pensais de cet autre roman de SF français.
Minuscules flocons de neige depuis dix minutes, David Calvo
Je n'ai encore dit nulle part tout le bien que je pensais de ce troisième roman de SF français. J'avais adoré Acide Organique et je trouve que David a continué à suivre pour ce livre une voie très prometteuse pour son écriture. C'est un bouquin déjanté, touchant, personnel. Parfois, le lecteur perd pied et se noie, mais on reprend toujours pied un plus loin... Et je trouve que personne au monde ne parle de Disney comme David Calvo sait en parler. Il faut continuer à écrire, bonhomme !
La machine à explorer le temps, HG Wells
Relecture d'un classique qui m'avait fortement impressionné étant enfant. Si quelques images sont très fortes (la description du voyage, les Eloïs et les Morlocks) je trouve le livre très mal écrit et le discours socialiste de Wells vraiment pesant (et son personnage principal est d'une fadeur qui confine à l'insignifiant). Un roman philosophique un peu lourd plutôt qu'un roman d'aventures sciences fictives.
Serpentine, Mélanie Fazi
J'ai acheté un exemplaire collector de ce livre après avoir rencontré Mélanie à la librairie Scylla. Et j'ai dit ici le bien que j'en pensais.
Deux suppléments intéressants pour Te Deum, mais tout à fait dispensables, à moins qu'on envisage de faire jouer en Ecosse. Pour info, à l'époque, l'Ecosse est un pays barbare plein de grands ploucs en kilt avec de grosses épées. A côté, les Français (qui ne sont pas des tendres) paraissent être des modèles de civilisation délicate.
Shutter Island, Denis Lehane
Un petit thriller, lu par distraction. Pas trop mal écrit. La situation de base du roman est excellente et fait un très bon pitch de film. La justification psychiatrico-psychanalysante est par contre bien lourde.
[BD] le secret de l’étrangleur, Siniac, Tardi
J'avais très envie de le lire, j'ai trouvé ça pas mal, mais ça m'a surtout envie de retourner à mes bons vieux Nestor Burma.
Utopiae 2006, divers
J'en ai dit un mot ici, au milieu d'autres choses. La moitié des textes sont très bons, voire exceptionnels, l'autre moitié est mauvaise, voire oubliable. Bref, un bon recueil ! Vous n'aimerez peut-être pas les même textes que moi. Merci aux organisateurs du festival de m'avoir fait cadeau du livre !
Rouge Brésil, JC Runfin
J'ai dit ici ce que je pensais de ce prix Goncourt, qui ferait une sympathique petite campagne pour Te Deum.
Delirium Tremens, Ken Bruen
Roman noir découvert grâce à l'émission Mauvais Genres. En Irlande, de nos jours, les enquêtes cahotantes d'un ancien flic camé et alcoolique. Si "écriture nerveuse" veut dire quelque chose alors l'expression a été inventée pour Ken Bruen. Le personnage est attachant, l'intrigue anecdotique et la narration très intéressante, très condensée, dense et brutale.
La fontaine pétrifiante, C.Priest
Très bon roman sur l'imaginaire. J'en ai parlé ici. Encore un conseil de Sébastien Guillot.
Aztechs, Lucius Shepard
Un bon recueil de nouvelles de SF, déjantées et brutales. J'en ai parlé ici.
HPL, Roland C Wagner
Une nouvelle-hommage très touchante, au grand auteur fantastique. Heu, pardon, au grand auteur de SF...
Le rebelle, REH
L'autobiographie de Robert Howard. Un bouquin mal fichu et passionnant, pour peu qu'on veuille se plonger dans les débuts d'écrivain de l'auteur de Conan. Je l'avais lu il y a quelques années (en diagonale). Je l'ai redécouvert avec plaisir. Howard est bien le seul à pouvoir commencer une bio de la même façon qu'une histoire de Conan : par une scène de baston !
Le tertre maudit, REH
Quelques histoires fantastiques de REH, intéressantes à relire. Le monsieur avait du métier...
Ouest, F Vallejo
Ma concession à la rentrée littéraire, un roman recommandé par la presse, et une bonne lecture. Bonne histoire, très bien écrite (j'admire beaucoup le point de vue choisi pour la raconter, très habile et très touchant). Relations violentes entre un baron un peu frappé et son garde-chasse dans l'Ouest français des années 1840-1860, sachant que le garde-chasse aime les gros chiens et le baron aime poursuivre les filles nues armé d'un rasoir. Une très bonne lecture, très recommandable.
One who walks alone, N. Price
Intéressant témoignage sur les dernières années de Robert Howard, par la femme avec qui il vécut peut-être son histoire d'amour la plus sérieuse. Le bouquin est bavard, souvent rasoir, mais il comprend des passages très touchants pour qui voudrait connaitre le "vrai" REH, son entourage et son temps.
Pas mal de lecture remarquables, cette année. J'en recommande beaucoup : Moby Dick, le grand cahier, le goût de l'immortalité, minuscules flocons de neige, la fontaine pétrifiante, Ouest... Faites votre choix parmi les autres !