Montréal, à quelques pas de l'effondrement (crises majeures en Europe, en Amérique du Nord, missiles, guerres, lutte pour l'eau et les ressources, etc.), un monde pré-apo plutôt que post-apo. La ville s'est soulevée et est devenue la Commune de Montréal, libertaire, déjantée, innovante, et les armées des Fédéraux sont massées au-delà des ponts, prêtes à intervenir.
Nikki travaille dans un vidéo-club qui loue des VHS (une sorte de retour en grâce !) et sort avec Kim qui fait des runs sur la Grille. Car si Internet s'est effondré, il en reste quand même quelque chose, la Grille, nœud de réseaux encore utilisé par les grandes corpos comme la Vectracom.
Tout ceci sent le cyberpunk ? Et un parfum prolongé des années 80 ? Exact. Toxoplasma est infusé de l'esprit de ce temps. Non pas par retour nostalgique et tentative de taper dans l'émotion et le portefeuille de nos enfances (je vous parle à vous, qui avez grandi en même temps que moi. Si vous êtes plus jeunes, ce n'est pas grave, je ne vous en veux pas), mais parce que cette matière culturelle – cyber, Grille, séries Z en VHS, jeu de rôle... est le substrat sur lequel Calvo bâtit et explore depuis ses premiers livres, non pas un but en soi, mais une matière à partir de laquelle construire un monde littéraire.
Nikki enquête sur la mort d'un raton-laveur décapité (based on a true story). Elle enquête pour donner un sens à sa vie, tenter d'agir dans un monde qui part grave en sucette, essayer de sortir de ses délires, de son expertise culturelle inutile. Toucher le sang, les traces, la vie... et remonter aux sources des visions qui la traversent : la forêt, l'homme à tête de ruche. Pendant ce temps, sa copine Kim prépare le run de sa vie... En-dessous de tout ça, comme presque toujours chez Calvo, les mythes grecs, l'antiquité grecque, devenue ici une sorte de substrat sémantique commun des runners de la Grille.
Toxoplasma est un roman un peu branque, un peu mal foutu... On ne comprend pas toujours tout, on se perd ici ou là, on se demande pourquoi ça et on n'aura peut-être pas la réponse. Mais on s'en moque, l'important n'est pas là, car Toxo nous emporte, sur son énergie, sa joie, son enthousiasme, son envie de partager ses angoisses, ses surprises, l'envie qu'il donne de créer nos propres vie. Sa langue elle-même est originale et excitante, pleine d'argots et de traits québecois.
Si vous ne connaissez pas le travail de Calvo, Toxo est un bon point d'entrée. Il est facile d'accès, marrant, énergique et les idées exposées sont souvent épatantes. Si vous connaissez le travail de Calvo, ce roman-ci est la suite d'une construction ininterrompue qui court depuis Delius, Wonderful, traverse les recueils de nouvelles et les délires mallarméens d'Elliott et le très bon Colline. Pour moi, c'est avec Wonderful que Toxoplasma a plus de parenté. Répétition à vingt ans de distance du même schéma : fin du monde et course pour donner du sens à une existence, avec la même poésie, la même force, et une bien plus grande maturité littéraire et politique. La grande classe.
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