27 novembre 2020

Alias Caracalla – Daniel Cordier

Alias Caracalla est un livre de souvenir du résistant Daniel Cordier, qui vient de nous quitter à l'âge de cent ans. J'avais découvert le personnage dans la chouette émission de arrêt sur images dont il était l'invité. J'avais aimé sa légèreté, son esprit, son humilité. Un type étonnant.

Caracalla, c'est son pseudonyme de résistant. Pas le vrai, en fait, mais celui que l'écrivain Roger Vailland lui a donné dans son très bon roman sur la résistance écrit pendant la résistance. Le passage évoquant Cordier/Caracalla, la scène des gateaux dans le restaurant, est un de plus touchants du livre et, d'après Cordier, il est vrai.

Alias Caracalla est un étonnant livre de mémoires, écrit très longtemps après les faits mais appuyé sur de nombreuses recherches, racontant l'engagement du jeune Daniel dans la résistance. Depuis la capitulation de juin 40 jusqu'à l'arrestation de Jean Moulin.

On y verra l'évolution idéologique du jeune homme, de jeune camelot du roi antisémite à quasi socialiste, on découvrira les rencontres avec De Gaulle, l'entraînement en Angleterre, l'énergie, la frustration, puis toute une étonnante vie de fonctionnaire de la résistance quand Cordier devient à Lyon le secrétaire de celui qu'il admire, Jean Moulin. Ce n'est pas la même vision de la résistance que celle de Lucie Aubrac (même si ça se passe dans la même ville). Cordier se planque, transmet des messages, coordonne, distribue de l'argent... On découvre une vie de stress et d'ennui, au coeur des réseaux, là où se décide la politique des mouvements de résistance, quand Moulin, envoyé de De Gaulle, tente de fonder le mythique CNR.

Le livre est facile à lire, précis, souvent intéressant, parfois ennuyeux dans sa méticulosité et sa précision. Cordier parle de lui quasi comme d'un étranger, un homme d'avant d'où naîtra l'homme de maintenant. Le plus étonnant dans cet étonnant destin est la manière dont quelques mois de collaboration avec un homme qu'il admire forgeront le parcours de toute une vie.

Détestant l'ambiance "ancien combattants", Cordier se détachera de la résistance et des honneurs dans la fin des années 40, deviendra marchand d'art (suite à sa découverte de l'art moderne avec Moulin), puis consacrera la fin de sa vie à défendre un internationalisme dans lequel je me reconnais, et la mémoire de son mentor.



Le problème à trois corps -- Liu Cixin

De la SF chinoise chez Actes Sud, dont mon patron me parlait dans les couloirs au bureau, ça valait le coup d'y jeter un coup d'oeil !
Le livre aborde, en grand, le thème du premier contact et de l'invasion extra-terrestre. On y retrouvera aussi jeux vidéos immersifs, nano matériaux et les conséquences de la révolution culturelle.
Les personnages sont assez plats et peu sympathiques, mais le sense of wonder de certaines scènes est si puissant qu'on brûle d'envie de découvrir le chapitre suivant, et le suivant encore.
Le livre m'a fait penser à Spin, de Robert Charles Wilson, en moins humaniste et encore plus allumé.


Paul à Québec -- Michel Rabagliati

Lu cette bédé sur le conseil de Titiou : une chronique familiale (je ne sais pas à quel point c'est la fiction), assez douce, d'une vie qui se met à dérailler quand le grand-père tombe gravement malade. J'ai aimé le talent de l'auteur pour rendre sensibles des décors urbains moches d'Amérique du Nord et sa manière de faire passer la langue de ses personnages. La chronique de la maladie est bien sûr émouvante. Le moment le plus fort et le plus juste du livre est celui où le vieil homme, au détour d'une balade, raconte à son gendre les peines et douleurs d'une enfance pauvre dans le Québec des années 40. On a le sentiment que c'est sur cette rencontre que le livre est construit.

Pour le reste, c'est de la bédé contemporaine réaliste bien sage. Dessins clairs en N&B, récit tout doux, un peu d'ennui, pas de quoi casser trois pattes à un canard.

26 novembre 2020

Rommel -- Cédric Mas et Daniel Feldmann

 Je lis surtout de la fiction, parfois quelques essais ou livres historiques, et jamais de bouquins d'histoire militaire (même si je m'achetais guerre et histoire avant les longs trajets en TGV, du temps où il y avait de longs trajets en TGV). Mais bon, on vieillit, on change, et en ce moment je fais jouer du jeu de rôle deuxième guerre mondiale, et, disclaimer, je connais un des deux auteurs de cette biographie de Rommel. J'ai donc lu mon premier livre d'histoire mili, avec des cartes, des noms de généraux allemands, un dictateur à petite moustache (et quelques officiers étrangers en guest-stars).

Pour être entièrement honnête, j'avais seulement l'intention de lire les premières pages, "pour voir comment c'était fait", puis je me suis retrouvé à tout lire en quelques jours tant j'ai apprécié le livre. Il n'est pas très long, écrit de manière synthétique mais très facile d'accès et j'ai trouvé son approche intéressante, sachant qu'au départ je n'avais aucune opinion (ni fascination, ni détestation, rien) pour Erwin Rommel, le général allemand le plus fameux de la deuxième guerre mondiale.

Le livre n'est pas une biographie. Il s'attache plutôt à retracer une carrière militaire, en cherchant à comprendre quel officier était Rommel. Quelles étaient ses compétences, ses atouts, sa vision de la guerre, comment ces éléments ont évolué à travers le temps. Entré dans l'armée par opportunité, Rommel s'est battu héroïquement et plutôt efficacement durant la 1ère guerre mondiale dans les rares opérations de mouvement de ce conflit plutôt statique (en Roumanie et en Italie, je n'avais jamais entendu parler des opérations roumaines), a stagné entre les deux guerres avant de devenir un instructeur très apprécié et sans doute très doué. En 1940, il se retrouve à la tête d'une division de chars qui va participer (entre coups de génie, coups de bluff et grosses foirades) à l'écrasante victoire allemande dans la campagne de France. 

Le livre consacre ensuite de longues pages aux campagnes d'Afrique (là aussi, je connaissais très mal). Mélange de coups de génie, de défaites humiliantes et de réussites brillantes... Rommel manque de réussir à prendre l'Egypte, puis ne cesse de prendre des coups quand la situation se retourne fin 42. On le voit enfin en semi-disgrâce, puis devenant un des architectes du mur de l'Atlantique, et enfin tenant efficacement face aux Anglo-Saxons pendant quelques semaines en Normandie après le débarquement. La situation était alors très dure et même l'excellent commandant qu'il était devenu n'a pu la retourner. Le livre se termine par une évocation de sa chute politique, quand il est contraint au suicide après avoir été associé à la conspiration qui a échoué à faire tuer Hitler en juillet 44.

Les éléments biographiques (sa vie de famille, sa trajectoire sociale) et politiques (sa relation au nazisme et à Hitler, sa participation aux atrocités allemandes en Italie fin 43) ne sont pas éludés, mais vus essentiellement pour l'éclairage qu'ils apportent à sa carrière et à ses opérations militaires. Le livre tente un éclairage psychologique et une exploration des ressorts humains du personnage (son goût des honneurs, son égoïsme, mais aussi la manière dont il apprend à écouter, à collaborer, et son étrange fascination pour Hitler). Les auteurs traitent leur sujet sans complaisance ni détestation, leur texte n'est ni du panzer porn, ni une évaluation politique à l'aune des passions de notre temps.

Sans avoir aucune connaissance de ce domaine, j'ai trouvé le livre facile à lire et à comprendre. J'ai été souvent passionné par les développements consacrés à cet étrange métier de la guerre, illustré à travers le cas pratique d'un officier particulier, dans son humanité. 




08 novembre 2020

Portrait de la jeune fille en feu – Céline Sciamma

En 1770, Marianne, jeune femme peintre est appelée sur une île pour peindre le portrait d'Héloïse, une jeune femme destinée à être mariée en Italie. Petit problème, Héloïse n'a pas envie d'être peinte. Marianne va donc passer pour sa dame de compagnie.

Dans ce film, on trouvera des scènes de peinture, de portrait et de fabrication de la peinture très réussie. Une ambiance d'île bretonne isolée (mais où personne ne parle breton).  Très peu de lignes de dialogues masculines (c'est quasiment un film en non mixité, et ça marche plutôt bien). Un jeu très beau sur le regard, le souvenir, le sens d'une histoire d'amour (vaut-il mieux la vivre maintenant ou bien s'en rappeler ?) avec un écho intéressant du conte d'Orphée. Cinq jours de grâce en pleine égalité entre la demoiselle noble, l'artiste et la servante. Une scène d'avortement (la première que je vois au cinéma). Quelques dialogues trop sérieux. Quelques images surprenantes et parfois comiques. Une image et des lumières très belles.

C'est un beau film qui reste dans la tête, dont les perspectives tournent et se retournent, qui fait qu'on essaie, encore après, de comprendre les gestes des personnages.