13 novembre 2024

Les fourberies de Scapin - au TKM

On est plutôt dans une bonne période, côté spectacle vivant.

Quand, il y a deux ans, le TKM a proposé les fourberies de Scapin, on venait d'en voir une très bonne version à la Comédie française, alors on avait passé notre tour. Heureusement, Omar Porras a la très bonne idée de re-jouer les pièces qui ont marché. Son Scapin date en réalité de 2009, repris en 2022 avec Laurent Natrella dans le rôle titre. C'était donc là la reprise en 2024 du spectacle de 2022, tout ça d'une pièce de vieille de 353 ans. Une mise en scène classique d'un classique.

Donc ça se passe dans un bar, ou une cantina, ou je ne sais quoi. C'est un endroit coloré, criard, avec des espèces de triplettes de Belleville au service. Les personnages sont tous laids et exagérés, bougent comme des marionnettes. Argante est un petit vieux avec une grande cravate et des lunettes années 80, Géronte est une femme permanentée et avide, Hyacinthe porte un appareil dentaire, Léandre est un petit crétin épais qui lit entre sur scène avec un magazine de Q, Octave est une jeune imbécile touchant en pantalon moulant rose, et là vous vous dites : festival de mauvais goût et d'outrance, et c'est vrai.

Et Scapin est un grand échalas aux mains incroyables (dont on se dit qu'elles ont été torturées un jour), un renard à la tignasse rousse, à la fois diabolique et humain, qui aide l'amour et va jouer à nous venger des malheurs du monde.

Une des choses les plus fortes que le théâtre fait pour moi, c'est ce créer des univers sur scène. Faire croire à l'existence de mondes différents (regardez mes dernières chroniques sur Immergés ou Racontars arctiques, par ex.). 

Là où la Comédie française nous avais proposé un Scapin by the book (très bon !), Européen, imprégné de l'histoire européenne ; Porras, lui, crée un Scapin métissé, hybride, mêlant des influences culturelles que je sais pas toutes reconnaître (oui, il y a de la télénovella, du catch, de la magie et combien d'autres choses...). Et pourtant on ne perd pas Molière, oh non.

La pièce révèle ici combien elle est géniale. Jouissance d'intrigues et de théâtre. Irréaliste dans son intrigue improbable, mais profonde dans les sentiments qu'elle crée chez le spectateurs, envie de joie, de rire, de mouvement, d'amour et de violence. Un exutoire. 

Les acteurs sont incroyables, l'univers merveilleux, il y a des milliers d'idées. Des genoux qui craquent, des flingues qui tirent, des toilettes qu'on débouche, Octave qui saute par la fenêtre, Sylvestre qui se brûle sur une casserole, le vieux qui crache de la bouffe en parlant, des mouchoirs qui pleurent, des liasses de billets qui passent de mains en mains, les secours qui arrivent parce "l'acteur jouant Scapin a eu un petit souci en coulisses" et Géronte qui shoote dans la valise de l'autre imbécile.

Bref, ce Scapin rend heureux. Merci à toutes et tous les artistes qui l'ont fait vivre.









12 novembre 2024

Racontars arctiques - au festival de marionnettes de Neuchâtel

En ces temps mauvais, je jette ici quelques mots sur des spectacles merveilleux que nous avons vus ces derniers jours.  

Racontars arctiques par le collectif la ruée vers l'or, venu du Canada, est une adaptation en marionnettes d'une BD adaptée d'un recueil de récits de Jorn Riel, écrivain danois, qui mettent en scène des types qui vivent tout seul dans de petites cabanes au Groenland. Une sociabilité de mecs, de chasseurs, de solitaires. On va découvrir un univers bizarre, avec des animaux, des privations, la crasse et des tas de comportements bizarres. 

Ce spectacle est un des trucs les plus étonnants que j'aie vu, aussi bien matériellement qu'artistiquement. Les trois acteurs sur scène mobilisent leurs corps, leurs visages, des petites cabanes, des marionnettes en mousse, des tous petits personnages... pour faire vivre cet univers de récits. On n'est pas là dans le témoignage mais dans le tall tale, les récits exagérés touchants et drôles de types durs dans un monde dur. Et grâce à la musique improvisée sur scène, aux changements d'échelles, aux idées qui fusent en permanence, ce monde aux personnages drôles, touchant et idiots prend vie et nous inclus et on voit et on rit. La troupe a un talent dingue, des idées dingues.

C'est très beau.