C'est Biaggio qui raconte : il a huit ans. Cosimo en a douze. Leur père est intimidant, leur mère est obsédée par les reconstitutions de batailles, leur grande soeur Battista est folle et leur cuisine des plats extravagants, notamment à base de rats ou d'escargots.
Viola, dix ans, la fille des voisins, solitaire et trop intelligente dit qu'ils sont tous "zinzins" dans cette famille.
Et un jour, ça craque : Cosimo refuse de manger le plat d'escargots conconcté par sa soeur. Le père veut l'y forcer. Cosimo dit non, non, non et non. Et il s'enfuit en montant dans le grand arbre du jardin. Il ne redescendra jamais.
Vous aurez reconnu le pitch du baron perché, le roman merveilleux et bizarre d'Italo Calvino. Cosimo est une adaptation pour trois acteurs (Cosimo, Biaggio et Viola) et pour enfants à partir de sept ans. Ca dure une heure et ça se passe sur la petite scène du Petit théâtre de Lausanne, toute noire, sans décor, et c'est beau et merveilleux, à fendre le coeur, à pleurer ; j'en suis sorti plein de rêves et d'images.
Au bout de l'exposition éclate la dispute, et Cosimo tombe son anorak d'enfant et s'envole et j'ai su que alors que la pièce serait très belle. L'actrice qui l'incarne monte au portique-arbre, et jouera tout le reste suspendue à des sangles tout en haut de la salle, passant de l'une à l'autre d'abord avec prudence puis avec grâce comme Cosimo devient de plus en plus aérien. Puis, allant d'arbre en arbre, le garçon passe jusqu'au-dessus du jardin des voisins et rencontre Viola, dont le regard terrible et les mots durs pourraient tordre du métal et m'ont cloué à mon banc.
Et le temps passe, Biaggio devient moins enfantin, Viola aiguise son esprit et sa volonté et Cosimo s'éloigne de plus en plus de notre humanité, par son logis, par ses mouvements, par ses mots. Le récit ose les ellipses temporelles, les narrations parallèles, les suggestions.
Bien sûr, le récit de Calvino a été adapté, et c'est très bien. Cosimo s'attarde sur la relation à trois entre le petit frère, le rêveur et l'amoureuse. Entre Cosimo et Viola, deux intransigeances se confrontent, une force irrésistible qui rencontre un objet immuable et ce sont les coeurs et les âmes qui dégustent et les personnages se transforment et sont transmués.
La pièce est magnifiquement écrite et mise en scène et jouée. J'ai été particulièrement touché par les acteurices. Camille Denkiger fait un Cosimo à la parole rare et toujours hors de l'axe, hors de la ligne, jamais là où on ne l'attend. Vivien Hebert est un très bel enfant de huit ans, de dix ans, ou plus grand, dans les postures, la diction, sans aucun effet exagéré, le personnage qui reste au sol et qui fait des compromis, pour les autres. Et Luna Desmeules joue une Viola qui est un scalpel, une tempête, une figure de feu.
Merci à ces trois-là de nous avoir emmenés aussi loin.
Note : la pièce secoue carrément, mais elle est appropriée pour les enfants, aucun doute (pas en-dessous de sept ans) tout autant que pour leurs parents. Je suis encore une fois émerveillé de la qualité de ce que peut proposer le petit théâtre de Lausanne.
Une chronique plus détaillée et plus intelligente que la mienne de ce spectacle peut être trouvée ici : https://wp.unil.ch/ateliercritique/2025/05/cosimo/
J'y ai découvert l'existence d'une autre version du baron perché, de Calvino, destinée aux enfants.