19 décembre 2005
Mémoires d'un tricheur
...de Sacha Guitry, avec Francis Huster dans le (mono)rôle éponyme.
Nous avons assisté à la 150ème, dans le classieux théâtre Edouard VII.
Ce n'est pas du grand théâtre. Pas de morale profonde, pas de remise en cause de l'existence. Une petite pièce (un quasi monologue), dite par un bon acteur. Beaucoup de mots d'esprit, un esprit souvent méchant, jamais vulgaire, avec une vraie joie de vivre. Pas de cynisme, juste une moquerie un peu caustique.
La pièce est une aimable plaisanterie, un peu comme une anecdote un peu longue et savoureuse, à déguster au salon avec un verre de whisky (ou de champagne, pour être dans l'esprit du narrateur). Si on n'en attend pas plus, alors on sera bien servi.
16 décembre 2005
L'amour des trois oranges
...à l'opéra Bastille, une des salles de spectacle les plus laides du monde.
C'est un opéra bizarre, très enlevé, joyeux, avec des danseurs, jongleurs, cracheurs de feu... Des parades, des géants, plein de gens sur scène, de belles images féériques (beaucoup plus féériques que la pesante "flûte enchantée" que nous avions vue l'an dernier). Mais à Bastille, le public est bien élevé, il n'applaudit pas trop.
L'histoire est drôle, invraisemblable, avec des personnages de commédia dell'Arte (le livret est inspiré d'une pièce de Carlo Gozzi). Ca bouge bien, on saute, on virevolte, et on oublie pas de chanter (en français, langue de création du spectacle !).
Les personnages s'appellent : le roi de Trèfle, Celio le mage, la Cuisinière Creonte, le princesse Ninette, Smeraldine, Truffaldino, Farfallo, Pantalon, et la Fata Morgana !
La Fata Morgana
La musique de Prokofiev est pleine d'énergie, faisant corps avec l'intrigue. Pas d'airs, pas de mélodie, pas de morceaux de bravoure, juste un rythme, une matière mouvante, puissante, qui est l'essence même de cette histoire onirique enfantine, pleine d'une jolie cohérence interne.
Parmi les très beaux instants, au début du 3ème acte, le mage Celio (une sorte de Mandrake un peu ridicule, avec smoking, gilet rouge, haut-de-forme, grand manteau noir) est seul dans une brume bleue magique, dans un cercle de lumière. La brume se déplace en vagues autour de lui, tombe dans la fosse de l'orchestre. Il appelle "Farfallo! Farfallo!", une sorte de démon... et crac! apparaît auprès de lui un double parodique de lui-même, gilet rouge qui tombe sur les cuisses et haut-de-forme de ramoneur... Un beau morceau de rêve.
12 décembre 2005
Sécession viennoise
Ce samedi, Cecci et moi sommes allés voir l'expo sur la Sécession Viennoise au Grand Palais.
Comme prévu, il y avait un monde fou, une queue interminable, et ça se pressait dans les salles pour pouvoir voir les tableaux.
Contrairement à l'exposition du musée d'Orsay (voir un des billets précédents), celle-ci était assez peu pédagogique. J'ai vite cessé de lire les textes, rasoirs, qui accompagnaient les tableaux.
Les tableaux, venons-y. Je ne connais pas grand chose aux artistes de cette époque, donc mes réflexions paraîtront peut-être ignares...
A part Klimt, les artistes présentés (Schiele, Kokoschka et Moser) ont traité des sujets extrêmement souvent morbides. Les premières salles, une fois passés les ors de Klimt, ne sont pas très réjouissantes.
Les choses s'améliorent dans le salle des paysages, où on voit de belles compositions (toujours très tristes, je trouve) de Schiele. Lignes verticales et horizontales, toits gris des villes, grisaille de la campagne. Je n'avais aucun mal à y associer la morosité d'une vie viennoise avant et pendant la Grande Guerre.
Les oeuvres que j'ai trouvées les plus saisissantes sont venues à la fin, avec les dessins (les dessins de Klimt sont magnifiques) et les portraits (et auto-portraits de Schiele). Les portraits, très tourmentés et violents, paraissent souvent cracher la vérité de leurs sujets.
J'ai beaucoup rêvé sur l'image que Schiele donnait de lui, jeune saltimbanque un peu fou aux cheveux bleus.
Quelques tableaux marquants :
les tableaux de Klimt sont tous très intéressants à voir, à cause de la richesse des matières, des textures... J'aime particulièrement celui-ci, Danaé, parce qu'il a réussi à représenter quelque chose d'impossible à concevoir... Comment Zeus a pu féconder Danaé sous la forme d'une pluie d'or.
Klimt, dans un autre genre. J'ai oublié le titre du tableau, il fait partie d'une série "paysagère".
De Kokoschka, des amants (nus). Cecci est persuadée avec moi qu'il s'agit d'Adam et Eve juste après avoir été chassés du paradis.
Schiele, dans le genre morbide (je n'aime pas trop, mais celui-ci est marquant). On imagine bien ce tableau dans le bureau d'un psychiatre. Un homme et la mort.
Schiele, un paysage touchant, mais bien déprimant. En même temps, on se figure bien l'Europe centrale comme ça.
De Schiele encore, un personnage fantastique.
Un autoportrait de Schiele, dans la veine du personnage fantastique.
De Schiele, un autre autoportrait. Je trouve celui-ci absolument génial. Par le découpage, les contorsions du corps (qui n'a ni pieds, ni mains !), le jeu de couleurs, la répartition des taches rouges...
Je conclus avec Klimt, la dame au chapeau, beau support de rêveries.
Comme prévu, il y avait un monde fou, une queue interminable, et ça se pressait dans les salles pour pouvoir voir les tableaux.
Contrairement à l'exposition du musée d'Orsay (voir un des billets précédents), celle-ci était assez peu pédagogique. J'ai vite cessé de lire les textes, rasoirs, qui accompagnaient les tableaux.
Les tableaux, venons-y. Je ne connais pas grand chose aux artistes de cette époque, donc mes réflexions paraîtront peut-être ignares...
A part Klimt, les artistes présentés (Schiele, Kokoschka et Moser) ont traité des sujets extrêmement souvent morbides. Les premières salles, une fois passés les ors de Klimt, ne sont pas très réjouissantes.
Les choses s'améliorent dans le salle des paysages, où on voit de belles compositions (toujours très tristes, je trouve) de Schiele. Lignes verticales et horizontales, toits gris des villes, grisaille de la campagne. Je n'avais aucun mal à y associer la morosité d'une vie viennoise avant et pendant la Grande Guerre.
Les oeuvres que j'ai trouvées les plus saisissantes sont venues à la fin, avec les dessins (les dessins de Klimt sont magnifiques) et les portraits (et auto-portraits de Schiele). Les portraits, très tourmentés et violents, paraissent souvent cracher la vérité de leurs sujets.
J'ai beaucoup rêvé sur l'image que Schiele donnait de lui, jeune saltimbanque un peu fou aux cheveux bleus.
Quelques tableaux marquants :
les tableaux de Klimt sont tous très intéressants à voir, à cause de la richesse des matières, des textures... J'aime particulièrement celui-ci, Danaé, parce qu'il a réussi à représenter quelque chose d'impossible à concevoir... Comment Zeus a pu féconder Danaé sous la forme d'une pluie d'or.
Klimt, dans un autre genre. J'ai oublié le titre du tableau, il fait partie d'une série "paysagère".
De Kokoschka, des amants (nus). Cecci est persuadée avec moi qu'il s'agit d'Adam et Eve juste après avoir été chassés du paradis.
Schiele, dans le genre morbide (je n'aime pas trop, mais celui-ci est marquant). On imagine bien ce tableau dans le bureau d'un psychiatre. Un homme et la mort.
Schiele, un paysage touchant, mais bien déprimant. En même temps, on se figure bien l'Europe centrale comme ça.
De Schiele encore, un personnage fantastique.
Un autoportrait de Schiele, dans la veine du personnage fantastique.
De Schiele, un autre autoportrait. Je trouve celui-ci absolument génial. Par le découpage, les contorsions du corps (qui n'a ni pieds, ni mains !), le jeu de couleurs, la répartition des taches rouges...
Je conclus avec Klimt, la dame au chapeau, beau support de rêveries.
01 décembre 2005
La séparation (Christopher Priest)
A fine fable of how the world is haunted by the ghosts of our what-might-have-beens (voir ici)
Je viens de finir de lire la séparation, de Christopher Priest, un auteur de science-fiction anglais très flegmatique et très intéressant. J'avais décidé de lire ses livres après avoir bavardé avec lui à un festival, comme quoi ça vaut toujours le coup pour un auteur de passer un peut de temps avec un lecteur...
La séparation est un roman sur le thème de la seconde guerre mondiale (vue du point de vue anglais) et des histoires alternatives (uchronies). Il me paraît très difficile à résumer. Il y est question de l'offre de paix faite en mai 41 par l'Allemagne au Royaume-Uni, de frères jumeaux homozygotes, d'hommes politiques qui se font remplacer par des sosies pour leurs meetings... et d'Histoire.
Comme chez Dick, le personnage principal est plongé dans des réalités alternatives, rêve, ne sait pas qu'il rêve, se réveille plusieurs fois de suite sans s'être endormi... Contrairement à Dick, le roman garde une certaine retenue, sans plonger lui-même dans la folie (il se contente d'y plonger ses personnages).
Si vous aimez l'histoire, les spéculations historiques, si vous vous interrogez sur le sens des actions, sur ce que votre vie serait devenue si..., alors le roman peut vous intriguer, voire vous fasciner comme il l'a fait pour moi. Je ne suis pas assez fin connaisseur de la période pour apprécier les détails de l'intrigue, mais certaines spéculations sont assez excitantes intellectuellement.
De plus, ce roman est aussi une histoire de pilotes et de bombardements, de missions de nuit, de villes plongées dans les ténèbres et déchirées par les bombes...
C'est un livre prenant, bien écrit, mais qui laisse une étrange impression de rêve dont on se serait mal réveillé. Alors que les jours raccourcissent, ça ne m'a pas beaucoup aidé pour planter les pieds dans la réalité. Comme lu dans une autre critique, un roman somnambule...
21 novembre 2005
Rousskoié Isskoustvo
Ce dimanche, visite de l'exposition au musée d'Orsay sur l'Art russe dans la seconde moitié du XIXème siècle.
Nous avions déjà vu pas mal de peintures russes (prononcer le mot avec toute la fierté nationale possible) au musée russe de Saint Petersbourg. Grâce à l'expo du musée d'Orsay, nous avons pu y comprendre un peu quelque chose. Et c'est très beau.
Il n'y avait pas trop de monde, pas mal de russes (ô surprise!) et quelques citations écrites en VO qui nous ont permis de juger que nous faisions des progrès dans la compréhension de la langue de Tolstoï.
L'expo présente beaucoup de peintures en grand format, très bien éclairées, très frappantes. Des paysages, des scènes légendaires ou de contes de fée, des scènes de la vie quotidienne, peintes par des peintre engagés. J'ai moins aimé la partie arts décoratifs, un peu kitsch, mais pas très importante en taille. Une très belle salle est consacrée à Vroubel, peintre très marqué par le moyen-âge et très moderne à la fois. On voit aussi de nombreuses photos, artistiques ou bien de reportages, ces dernières étant les plus intéressantes (par exemple, les photos rapportées par Tchékov des bagnards de Sakhaline, dans la troisième salle).
L'ensemble des oeuvres exposées paraît baignée dans une lumière très blanche, très pâle, qui fait rêver d'une infinie pureté. Le "retour aux sources" des artistes fait surgir un monde très rustique, froid, dur, où les maisons sont en bois, les meubles sculptés. Dieux étranges au visage rond, femmes-oiseaux, impératices-cygne... Un monde très barbare, en plein XIXème siècle.
Voici quelques tableaux qui m'ont marqué.
Le preux à la croisée des chemins, de Victor Vasnetov. Nous l'avions déjà vu à Saint Petersbourg, ça a été un grand plaisir de le revoir. J'y vois tout un monde, pendant russe de celui des légendes celtiques et arthuriennes. Steppes et marécages pour tout horizon. La stèle dit: celui qui va tout droit, aura faim et froid. Qui prend à droite perdra son cheval. Qui prend à gauche mourra, mais son cheval vivra. Vous allez où?
Au-dessus du repos éternel, de Isaac Levitan. Ce que je disais sur la lumière. L'image ici ne rend rien, naturellement, mais il est superbe.
Le Christ au désert, de Ivan Kramskoï. Le Chist ici est russe, clairement. Regardez ses yeux. Et ce paysage froid, autour de lui... C'est un russe qui médite sur sa condition d'homme et sur le malheur du monde.
L'apothéose de la guerre, de ?? (perdu la référence). Le peinte a voyagé au Turkmenistan, pendant les campagnes que les russes y menaient. Il évoque le souvenir de Tamerlan.
Ils ne l'attendaient pas, d'Ilya Repine. Le retour du déporté politique. Les visages sont fous. Repine gardait cette peinture chez lui et ne l'exposait pas. On le comprend.
Le démon assis, de Vroubel. Reprend un thème qui obsédait le peintre, issu d'un poème de Lermontov. Ce démon n'est pas le diable, il se rapproche de l'esprit tourmenté de l'artiste.
Un sombre Esprit, un exilé
Sur notre terre pécheresse
Planait, quand l'essaim désolé
Des souvenirs soudain se presse
Devant le voyageur ailé.
Il revoit les jours d'allégresse
Où, Chérubin resplendissant,
La comète ardente, en passant,
De sa crinière lumineuse
L'effleurait en le caressant ;
Les temps où, dans la nuit brumeuse
De l'éternelle immensité,
Du désir de savoir hanté,
Avide, il suivait à la trace
Les caravanes de l'espace...
M.Lermontov " Le Démon" (1829)
Je ne fais que citer certaines des pièces qui m'ont le plus marqué. L'exposition montre de nombreux autres tableaux frappants ou intéressants !
Ici, le commentaire (bien fait) de l'expo sur le site du Musée d'Orsay.
Nous avions déjà vu pas mal de peintures russes (prononcer le mot avec toute la fierté nationale possible) au musée russe de Saint Petersbourg. Grâce à l'expo du musée d'Orsay, nous avons pu y comprendre un peu quelque chose. Et c'est très beau.
Il n'y avait pas trop de monde, pas mal de russes (ô surprise!) et quelques citations écrites en VO qui nous ont permis de juger que nous faisions des progrès dans la compréhension de la langue de Tolstoï.
L'expo présente beaucoup de peintures en grand format, très bien éclairées, très frappantes. Des paysages, des scènes légendaires ou de contes de fée, des scènes de la vie quotidienne, peintes par des peintre engagés. J'ai moins aimé la partie arts décoratifs, un peu kitsch, mais pas très importante en taille. Une très belle salle est consacrée à Vroubel, peintre très marqué par le moyen-âge et très moderne à la fois. On voit aussi de nombreuses photos, artistiques ou bien de reportages, ces dernières étant les plus intéressantes (par exemple, les photos rapportées par Tchékov des bagnards de Sakhaline, dans la troisième salle).
L'ensemble des oeuvres exposées paraît baignée dans une lumière très blanche, très pâle, qui fait rêver d'une infinie pureté. Le "retour aux sources" des artistes fait surgir un monde très rustique, froid, dur, où les maisons sont en bois, les meubles sculptés. Dieux étranges au visage rond, femmes-oiseaux, impératices-cygne... Un monde très barbare, en plein XIXème siècle.
Voici quelques tableaux qui m'ont marqué.
Le preux à la croisée des chemins, de Victor Vasnetov. Nous l'avions déjà vu à Saint Petersbourg, ça a été un grand plaisir de le revoir. J'y vois tout un monde, pendant russe de celui des légendes celtiques et arthuriennes. Steppes et marécages pour tout horizon. La stèle dit: celui qui va tout droit, aura faim et froid. Qui prend à droite perdra son cheval. Qui prend à gauche mourra, mais son cheval vivra. Vous allez où?
Au-dessus du repos éternel, de Isaac Levitan. Ce que je disais sur la lumière. L'image ici ne rend rien, naturellement, mais il est superbe.
Le Christ au désert, de Ivan Kramskoï. Le Chist ici est russe, clairement. Regardez ses yeux. Et ce paysage froid, autour de lui... C'est un russe qui médite sur sa condition d'homme et sur le malheur du monde.
L'apothéose de la guerre, de ?? (perdu la référence). Le peinte a voyagé au Turkmenistan, pendant les campagnes que les russes y menaient. Il évoque le souvenir de Tamerlan.
Ils ne l'attendaient pas, d'Ilya Repine. Le retour du déporté politique. Les visages sont fous. Repine gardait cette peinture chez lui et ne l'exposait pas. On le comprend.
Le démon assis, de Vroubel. Reprend un thème qui obsédait le peintre, issu d'un poème de Lermontov. Ce démon n'est pas le diable, il se rapproche de l'esprit tourmenté de l'artiste.
Un sombre Esprit, un exilé
Sur notre terre pécheresse
Planait, quand l'essaim désolé
Des souvenirs soudain se presse
Devant le voyageur ailé.
Il revoit les jours d'allégresse
Où, Chérubin resplendissant,
La comète ardente, en passant,
De sa crinière lumineuse
L'effleurait en le caressant ;
Les temps où, dans la nuit brumeuse
De l'éternelle immensité,
Du désir de savoir hanté,
Avide, il suivait à la trace
Les caravanes de l'espace...
M.Lermontov " Le Démon" (1829)
Je ne fais que citer certaines des pièces qui m'ont le plus marqué. L'exposition montre de nombreux autres tableaux frappants ou intéressants !
Ici, le commentaire (bien fait) de l'expo sur le site du Musée d'Orsay.
15 novembre 2005
King Kong
Après avoir vu sur Internet la bande annonce du film de Peter Jackson, dont l'atmosphère "pulps" m'a séduit, j'ai regardé en DVD le film original, de 1933.
C'est un chef d'oeuvre !
Un pur bonheur d'aventures "Pulps" : une carte au trésor, un mystérieux cargo, un producteur de cinéma sans scrupules, des indigènes sauvages, un marin viril, un cuisinier chinois, des dinosaures... Et la belle ! (Fay Wray) Et la bête ! (Kong)
Concernant l'histoire, que ceux qui pensent la connaître se ravisent. King Kong n'est pas un film de monstres kitsch mais c'est un film d'aventures, d'exotisme, et une belle histoire d'amour tragique. Le scénario, avec son film dans le fillm, en fait une vraie histoire de cinéma.
Les effets spéciaux sont essentiellements faits avec des marionettes, animées en image par image, qui donnent des images parfois un peu sombres, parfois un peu saccadées... mais très poétiques. Les monstres en général, et Kong en particulier ont été conçus, puis animés avec un véritable amour. La gestuelle de Kong est pleine de ces petits détails touchants qui font les grands animateurs. Alors oui, les effets spéciaux sont datés, mais ils ne sont pas "cheap".
Parmi les acteurs, j'ai adoré le personnage cynique et enthousiaste du producteur/réalisateur (Carl Denham, joué par Robert Armstrong) et bien sûr Fay Wray est magnifique : évaporée, sensuelle, fragile, troublante. Elle dégage un charme érotique auquel personne (dans le film, bien sûr) ne reste indifférent.
La King Kong Homepage contient, dans la FAQ ou ailleurs, de nombreuses informations fascinantes.
Saviez-vous, par exemple, que la RKO avait commencé à produire un film d'aventures nommé "Creation", où des sous-mariniers affrontaient des dinosaures sur une île sauvage ? Le projet, trop onéreux, a été abandonné et King Kong a été tourné en réutilisant les maquettes et éléments qui avaient déjà été construits.
La scène où Kong jette les marins dans le gouffre en agitant le tronc, suivie de celle du combat contre le T-Rex, ont été tournées pour convaincre les dirigeants de la RKO de faire le film. Ils ont été séduits.
Le film est ressorti sur les écrans plusieurs fois après 1933, souvent assombri (pour paraître moins gore) et censuré. Kong ne piétine plus les marins, il ne jette plus dans le vide la pauvre femme arrachée à son sommeil dans l'hôtel, il n'effeuille plus Fay Wray... La version du 60ème anniversaire (dispo en DVD) a heureusement restauré ces scènes, qui, pour moi, montrent que le cinéma des années 30 n'avait rien à envier au cinéma plus contemporain pour ce qui est de la violence et de l'érotisme.
La plus belle histoire liée à Kong (à mon humble avis) est celle du destin du "Great Wall", le grand mur barrant l'île sur lequel s'agitent les indigènes. Il avait bien sûr été bâti pour le tournage (comment, en quels matériaux?, je l'ignore...) et donc a souvent été réutilisé pour d'autres films, après avoir été un peu aménagé, bien sûr.
Il a connu une fin violente en 1938, après avoir été transformé en "mur" de maisons sudistes : Victor Fleming l'a fait brûler (avec d'autres) pour reconsituer le grand incendie d'Atlanta dans "Autant en emporte le vent". Un mythe en rejoint un autre...
02 novembre 2005
Longtemps, j'ai cherché la pierre noire...
Longtemps, j'ai cherché la pierre noire qui purifie l'âme de la mort. Quand je dis longtemps, je pense à un puits sans fond, à un tunnel creusé avec mes doigts, avec mes dents, dans l'espoir têtu d'apercevoir, ne serait-ce qu'une minute, une longue et éternelle minute, un rayon de lumière, une étincelle qui s'imprimerait au fond de mon oeil, que mes entrailles garderaient, protégeraient comme un secret. Elle serait là, habiterait ma poitrine et nourrirait l'infini de mes nuits, là, dans cette tombe, au fond de la terre humide, sentant l'homme vidé de son humanité à coups de pelle, lui arrachant la peau, lui retirant le regard, la voix, la raison.
Je serai bref parce que je ne me sens pas capable de parler de ce livre. Le Maroc, un coup d'état manqué, des prisonniers. Une immense souffrance, des hommes avilis, les oiseaux comme seuls visiteurs, et sinon, les scorpions, la mort. La force des mots, la joie des histoires qui font vivre, une quête folle de la lumière tout au coeur des ténèbres, dans une nuit qui ne cesse jamais.
Le livre s'appelle Cette aveuglante absence de lumière.
Tahar Ben Jelloun l'a écrit.
Je serai bref parce que je ne me sens pas capable de parler de ce livre. Le Maroc, un coup d'état manqué, des prisonniers. Une immense souffrance, des hommes avilis, les oiseaux comme seuls visiteurs, et sinon, les scorpions, la mort. La force des mots, la joie des histoires qui font vivre, une quête folle de la lumière tout au coeur des ténèbres, dans une nuit qui ne cesse jamais.
Le livre s'appelle Cette aveuglante absence de lumière.
Tahar Ben Jelloun l'a écrit.
26 octobre 2005
Un grand roman d’heroic fantasy française !
L’heroic fantasy française existe, je l’ai rencontrée dans une collection de littérature générale ! On connaît la réticence de certains auteurs à se faire publier dans des collections aux couvertures bariolées, de peur sans doute d’y perdre quelques lecteurs. C’est sans doute ce qu’a pensé Gustave Flaubert, un nouvel auteur pourtant très prometteur pour le genre. Son étonnant roman, nommé "Salammbô" du nom de l'héroïne, prouve qu’il existe une chance durable pour que ma littérature favorite finisse par être reconnue en France.
Carthage et sa civilisation cruelle du temps d’Hamilcar Barca sont le centre et le principal sujet de ce livre. L’auteur prétend dans une petite annexe s’être énormément documenté et avoir tout lu sur son sujet, sans doute pour faire croire aux critiques littéraires qu’il a écrit un roman historique, genre à la mode de nos jours. Mais il n’y a pas besoin de beaucoup creuser pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas là d’un tas d’érudition mal digérée et de références empilées les unes sur les autres, mais d’une puissante rêverie, d’un monde imaginaire fou et chatoyant, d’une Carthage aussi irréelle et fantasmée que le sont les dieux et héros des tableaux de Gustave Moreau.
Ce monsieur Flaubert écrase de son ombre tous les auteurs francophones qui ont essayé de marcher sur les pas de Tolkien. Quelles images incroyables ! Quelle cohérence, quelle harmonie, entre les Dieux, les palais, les paysages, les vêtements ! Les étonnantes sonorités des noms de lieux, personnages, matières et pierres précieuses nous transportent dans un ailleurs lointain. Dans une civilisation qui ne peut nous être qu’étrangère puisque vaincue et disparue sans quasiment laisser de traces, mais où l’on trouve des hommes dans les sentiments desquels on peut se reconnaître.
Je n’ai encore rien dit de l’intrigue, foisonnante, complexe, remarquable. On y trouvera, sans ennui aucun, des scènes de batailles, une fête extraordinaire, de la politique, de la magie, le cambriolage d’un temple sacré (digne de Fafhrd et le souricier gris !), des ruses mortelles, des sacrifices humains… et des batailles, encore. Il y est question de la guerre d’une vieille cité contre ses mercenaires, de l’amour impossible d’un barbare pour une princesse perdue dans sa quête mystique. La vie, partout, est présente. On meurt beaucoup, dans Salammbô, le sang coule, mais c’est pour mieux régénérer le monde.
L’auteur anglo-saxon dont l’imaginaire de Gustave Flaubert se rapproche le plus est sans doute Michael Moorcock, celui d’Elric et surtout de Gloriana : comme lui, le Français aime les univers baroques, les fins du monde bariolées, les atmosphère à l’érotisme étrange… Mais que le lecteur se rassure : point de trilogie interminable ici ! Le roman est d’un seul tenant, dense, équilibré, parfaitement construit, de la scène d’introduction à l’étonnante et nécessaire chute. Comme chez Tolkien, l’univers est complet, cohérent et maîtrisé, il semble même être le but et le fondement de l’œuvre. Les batailles sont aussi épiques et sanglantes que celles de Robert Howard, et j’ai déjà mentionné la surprenante parenté avec les livres de Fritz Leiber.
Mais contrairement à tous ces auteurs que je ne peux lire que traduits, notre auteur est francophone et son roman est servi par une langue fabuleuse qui est la véritable porte d’entrée de son monde imaginaire, qui amène toute la vérité de ce songe. Il n’y a qu’avec Nôo, de Stefan Wul, que je me suis senti ainsi transporté par la magie de l’écriture.
Avec Salammbô, Gustave Flaubert a donné à la littérature française de l’imaginaire une œuvre incontournable pour tous les amateurs du genre. On ne peut que lui souhaiter une longue et fructueuse carrière !
Carthage et sa civilisation cruelle du temps d’Hamilcar Barca sont le centre et le principal sujet de ce livre. L’auteur prétend dans une petite annexe s’être énormément documenté et avoir tout lu sur son sujet, sans doute pour faire croire aux critiques littéraires qu’il a écrit un roman historique, genre à la mode de nos jours. Mais il n’y a pas besoin de beaucoup creuser pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas là d’un tas d’érudition mal digérée et de références empilées les unes sur les autres, mais d’une puissante rêverie, d’un monde imaginaire fou et chatoyant, d’une Carthage aussi irréelle et fantasmée que le sont les dieux et héros des tableaux de Gustave Moreau.
Ce monsieur Flaubert écrase de son ombre tous les auteurs francophones qui ont essayé de marcher sur les pas de Tolkien. Quelles images incroyables ! Quelle cohérence, quelle harmonie, entre les Dieux, les palais, les paysages, les vêtements ! Les étonnantes sonorités des noms de lieux, personnages, matières et pierres précieuses nous transportent dans un ailleurs lointain. Dans une civilisation qui ne peut nous être qu’étrangère puisque vaincue et disparue sans quasiment laisser de traces, mais où l’on trouve des hommes dans les sentiments desquels on peut se reconnaître.
Je n’ai encore rien dit de l’intrigue, foisonnante, complexe, remarquable. On y trouvera, sans ennui aucun, des scènes de batailles, une fête extraordinaire, de la politique, de la magie, le cambriolage d’un temple sacré (digne de Fafhrd et le souricier gris !), des ruses mortelles, des sacrifices humains… et des batailles, encore. Il y est question de la guerre d’une vieille cité contre ses mercenaires, de l’amour impossible d’un barbare pour une princesse perdue dans sa quête mystique. La vie, partout, est présente. On meurt beaucoup, dans Salammbô, le sang coule, mais c’est pour mieux régénérer le monde.
L’auteur anglo-saxon dont l’imaginaire de Gustave Flaubert se rapproche le plus est sans doute Michael Moorcock, celui d’Elric et surtout de Gloriana : comme lui, le Français aime les univers baroques, les fins du monde bariolées, les atmosphère à l’érotisme étrange… Mais que le lecteur se rassure : point de trilogie interminable ici ! Le roman est d’un seul tenant, dense, équilibré, parfaitement construit, de la scène d’introduction à l’étonnante et nécessaire chute. Comme chez Tolkien, l’univers est complet, cohérent et maîtrisé, il semble même être le but et le fondement de l’œuvre. Les batailles sont aussi épiques et sanglantes que celles de Robert Howard, et j’ai déjà mentionné la surprenante parenté avec les livres de Fritz Leiber.
Mais contrairement à tous ces auteurs que je ne peux lire que traduits, notre auteur est francophone et son roman est servi par une langue fabuleuse qui est la véritable porte d’entrée de son monde imaginaire, qui amène toute la vérité de ce songe. Il n’y a qu’avec Nôo, de Stefan Wul, que je me suis senti ainsi transporté par la magie de l’écriture.
Avec Salammbô, Gustave Flaubert a donné à la littérature française de l’imaginaire une œuvre incontournable pour tous les amateurs du genre. On ne peut que lui souhaiter une longue et fructueuse carrière !
Ref : Salammbô – Gustave Flaubert - éditions Folio, etc.
PS : admirez au passage la qualité de l'illustration de couverture!
PS : admirez au passage la qualité de l'illustration de couverture!
21 octobre 2005
Conan chez l'Autre Alex
"Crom, I have never prayed you before...."
J'ai vu Conan The Barbarian en grand format et en VO pour la première fois de ma vie dimanche dernier.
Jusqu'à maintenant, je n'avais regardé mon film préféré que sur des VHS pourries, en VF.
"Qu'est-ce qu'il y a de mieux dans la vie, Conan?"
J'écoutais la musique à fond sur mon walkman en poussant la wheel of pain dans de grands bruits de chaînes. Et je chargeais en plein galop sur les choeurs de Basil Polédouris dès qu'une occasion de bataille se présentait...
L'Autre Alex , chez qui nous l'avons regardé, disait que redécouvrir ainsi un film qu'on aime pouvait briser le mythe, l'image qu'on s'en était faite. Remarque qui me concernait tout à fait : je connais "Conan" par coeur, en imagination en tout cas. En fait, je ne l'avais pas revu depuis des années.
J'ai donc été obligé de voir que oui, c'est vrai, Schwarzenegger était un gros culturiste épais qui tient son épée n'importe comment, et d'admettre que Subotaï était le copain de surf de John Milius. Et puis le film a un discours un peu facho et anti-hippies pas très fin et quelques gadgets 'années 80' vraiment de mauvais goût (la réapparition de Valeria, par exemple...).
De plus, notre hôte nous a fait écouter les commentaires du film par John & Arnold, themselves... Commentaires qui oscillent entre l'idiotie totale et l'aberrant, avec quelques moments à hurler de rire quand ce gros bêta d'Arnold se met à raconter l'histoire alors que John tente de faire sentir sa vision...
Seule la musique de Basil Polédouris, qui porte le film, ne se montre jamais décevante.
Mais j'aime Conan, et l'oeuvre de Robert Howard en général. Je me sens depuis longtemps une immense sympathie pour "Two Gun Bob", garçon mal dans sa peau et mal dans son monde, qui a couché sur le papier tant d'aventures sauvages.
Ce qui fait la différence entre les textes d'Howard et ceux de tous ses imitateurs c'est que Howard croyait profondément à ce qu'il écrivait. Il évoque lui-même ces instants où la grande ombre de Conan se penchait sur son épaule pour lui dicter ses aventures. Howard voyait le monde en noir et rouge, plein de spasmes de fureur, de forces ténébreuses et incompréhensibles...
Face à ces forces, des hommes se tiennent. Non, pas des dieux, pas des géants, mais des hommes, de simples hommes, qui par moment arrivent à faire reculer la mort et triompher la vie.
Voilà pourquoi j'aime le film, malgré ses outrances et son mauvais goût : c'est un film sans second degré, qui ne se moque ni de lui-même, ni du spectateur. Un film qui croit à Conan, au Conan de Robert Howard. On sent dans le film le souffle de l'aventure, le monde très ancien, les civilisations disparues qui dorment dans la terre, tous ces os des héros morts sur lesquels nous marchons.
Aucun autre film d'heroic fantasy ne m'a jamais paru aussi authentique, aussi complètement cohérent, aussi intègre. Le réalisateur n'a-t-il pas fait construire l'immense escalier de Thulsa Doom ?
Et le film, à chaque fois, emporte mon adhésion par son image finale. Roi, par ses propres mains.
Know, oh prince, that between the years when the oceans drank Atlantis and the gleaming cities, and the years of the rise of the Sons of Aryas, there was an Age undreamed of, when shining kingdoms lay spread across the world like blue mantles beneath the stars /.../ Hither came Conan, the Cimmerian, black-haired, sullen-eyed, sword in hand, a thief, a reaver, a slayer, with gigantic melancholies and gigantic mirth, to tread the jeweled thrones of the Earth under his sandalled feet.
– The Nemedian Chronicles, as quoted in The Phoenix on the Sword (1932), by Robert E. Howard.
20 octobre 2005
Rabih Abou Khalil à la Cigale
Lundi, Cecci et moi sommes allés voir Rabih Abou Khalil à la Cigale.
On avait choisi ce concert pour un certain nombre de mauvaises raisons :
1) il était programmé dans le cadre du JVC Jazz Festival, qui nous avait déjà fait découvrir Buddy Guy au Rex, sans doute le meilleur concert de ma vie.
2) on connaissait l'artiste, car Cecci en possédait quelques disques quand nous nous sommes rencontrés. Disques que je trouvais agréables, faciles à écouter, mais dont j'aurais été bien incapables de fredonner une mélodie (sauf le titre Blue Camel)
3) on aime bien la Cigale où nous avions déjà vu les Wriggles (ce qui n'a rien à voir).
Tout ça annonçait le concert foiré. J'avoue, je suis parfois pessimiste.
A vrai dire, je ne comprends rien au jazz. Je ne suis pas musicien et c'est une musique beaucoup trop compliquée pour moi. La plupart des disques de jazz me font baîller parce qu'ils n'arrivent pas à retenir mon attention. Souvent, je les passe quand on reçoit des invités parce qu'ils mettent une belle ambiance dorée et qu'ils ne gênent pas la conversation.
Je n'y comprends rien, mais j'aime bien quand même et quelques artistes, via leurs disques, ont réussi à me toucher : Django Reinhardt et Chet Baker... Mais ne nous éloignons pas trop loin de la Cigale.
En première partie, Thierry "Titi" Robin et son trio (guitare/oud/bouzouk + accordéon + percus) assurent une demi-douzaine de morceaux très agréables dont la joyeuse énergie me ravit. Ca sonne très fort, c'est bon enfant, le percussionniste a l'air complètement fou, c'est très agréable, le public est séduit.
En seconde partie, éclairage intimiste, un grand piano noir s'est glissé sur la scène comme une grosse bête intimidante. Les artistes rentrent, on les distingue à peine. Je devine que Abou Khalil est cette silhouette recroquevillée sur son oud (sorte de luth arabe). Une grosse batterie brillante fait face au piano côté jardin. On sent que la musique va être autrement plus sérieuse qu'en première partie.
Ca y est, ça commence. Notes de piano. Pincement de l'oud entremêlés de silences. Scintillements planants de la batterie. Le piano et l'oud ont l'air d'être ennemis, les sons de ces instruments me paraissent tout à fait discordants, je me dis que la partie n'est pas gagnée.
Le pianiste (Joachim Kühn, co-compositeur de tous les morceaux) a l'air fou. Il hoche la tête bizarrement, est tout tordu sur son piano. Tout à l'heure, il se lèvera et prendra son saxo pour en faire des solos de possédé, comme le personnage de Bill Pullmann dans Lost Highway. Et Abou Khalil ne bouge quasiment pas, sauf un peu les épaules, tout concentré, recroquevillée, resserré sur son instrument. Seul le batteur a l'air à peu près sain, mais ça ne va pas durer.
Et les morceaux progressent, l'oud et le piano semblent se rapprocher, des rythmes naissent, des échos de l'un à l'autre encadrés par de longues vibrations de batterie.
Ca s'amplifie, ça rebondit, ça monte, ça sonne, ça me scotche sur mon siège. Les instruments sont amplifiés, un gros son remplit l'obscurité de la salle de concert, un gros son qui fait trembler les murs, qui me résonne dans la poitrine. C'est du jazz, ça? Ces grosses vibrations, ces échos piquants d'oud et de piano? Si ça c'est du jazz, alors je veux bien écouter du jazz toute ma vie!
Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas arracher les chaises? Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas secouer la tête gros un gros fan de Nirvana?
Les morceaux défilent, rapides ou calmes, gais ou mélancoliques, introduits avec humour par Abou Khalil qui, à ce seul moment, paraît se détacher un peu de son instrument.
Moi, je suis conquis, séduit, j'oublie tout, je plonge dans une grande vibration syncopée. Cecci aime aussi, on se serre très fort pour écouter, je ressors tout rêveur et planant sur le boulevard. Waow.
Bien sûr, j'ai acheté le disque en sortant de la salle. Petite déception, il est tout en finesse, subtilité et discrétion, quand le concert passait en force. Encore de la musique trop compliquée pour moi. Mais je l'écouterai avec plaisir, en me souvenant de ces moments possédés.
On avait choisi ce concert pour un certain nombre de mauvaises raisons :
1) il était programmé dans le cadre du JVC Jazz Festival, qui nous avait déjà fait découvrir Buddy Guy au Rex, sans doute le meilleur concert de ma vie.
2) on connaissait l'artiste, car Cecci en possédait quelques disques quand nous nous sommes rencontrés. Disques que je trouvais agréables, faciles à écouter, mais dont j'aurais été bien incapables de fredonner une mélodie (sauf le titre Blue Camel)
3) on aime bien la Cigale où nous avions déjà vu les Wriggles (ce qui n'a rien à voir).
Tout ça annonçait le concert foiré. J'avoue, je suis parfois pessimiste.
A vrai dire, je ne comprends rien au jazz. Je ne suis pas musicien et c'est une musique beaucoup trop compliquée pour moi. La plupart des disques de jazz me font baîller parce qu'ils n'arrivent pas à retenir mon attention. Souvent, je les passe quand on reçoit des invités parce qu'ils mettent une belle ambiance dorée et qu'ils ne gênent pas la conversation.
Je n'y comprends rien, mais j'aime bien quand même et quelques artistes, via leurs disques, ont réussi à me toucher : Django Reinhardt et Chet Baker... Mais ne nous éloignons pas trop loin de la Cigale.
En première partie, Thierry "Titi" Robin et son trio (guitare/oud/bouzouk + accordéon + percus) assurent une demi-douzaine de morceaux très agréables dont la joyeuse énergie me ravit. Ca sonne très fort, c'est bon enfant, le percussionniste a l'air complètement fou, c'est très agréable, le public est séduit.
En seconde partie, éclairage intimiste, un grand piano noir s'est glissé sur la scène comme une grosse bête intimidante. Les artistes rentrent, on les distingue à peine. Je devine que Abou Khalil est cette silhouette recroquevillée sur son oud (sorte de luth arabe). Une grosse batterie brillante fait face au piano côté jardin. On sent que la musique va être autrement plus sérieuse qu'en première partie.
Ca y est, ça commence. Notes de piano. Pincement de l'oud entremêlés de silences. Scintillements planants de la batterie. Le piano et l'oud ont l'air d'être ennemis, les sons de ces instruments me paraissent tout à fait discordants, je me dis que la partie n'est pas gagnée.
Le pianiste (Joachim Kühn, co-compositeur de tous les morceaux) a l'air fou. Il hoche la tête bizarrement, est tout tordu sur son piano. Tout à l'heure, il se lèvera et prendra son saxo pour en faire des solos de possédé, comme le personnage de Bill Pullmann dans Lost Highway. Et Abou Khalil ne bouge quasiment pas, sauf un peu les épaules, tout concentré, recroquevillée, resserré sur son instrument. Seul le batteur a l'air à peu près sain, mais ça ne va pas durer.
Et les morceaux progressent, l'oud et le piano semblent se rapprocher, des rythmes naissent, des échos de l'un à l'autre encadrés par de longues vibrations de batterie.
Ca s'amplifie, ça rebondit, ça monte, ça sonne, ça me scotche sur mon siège. Les instruments sont amplifiés, un gros son remplit l'obscurité de la salle de concert, un gros son qui fait trembler les murs, qui me résonne dans la poitrine. C'est du jazz, ça? Ces grosses vibrations, ces échos piquants d'oud et de piano? Si ça c'est du jazz, alors je veux bien écouter du jazz toute ma vie!
Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas arracher les chaises? Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas secouer la tête gros un gros fan de Nirvana?
Les morceaux défilent, rapides ou calmes, gais ou mélancoliques, introduits avec humour par Abou Khalil qui, à ce seul moment, paraît se détacher un peu de son instrument.
Moi, je suis conquis, séduit, j'oublie tout, je plonge dans une grande vibration syncopée. Cecci aime aussi, on se serre très fort pour écouter, je ressors tout rêveur et planant sur le boulevard. Waow.
Bien sûr, j'ai acheté le disque en sortant de la salle. Petite déception, il est tout en finesse, subtilité et discrétion, quand le concert passait en force. Encore de la musique trop compliquée pour moi. Mais je l'écouterai avec plaisir, en me souvenant de ces moments possédés.