Ce post prend la suite de celui-ci, où je tentais de trouver une terminologie désignant un type de livres qui m'intéresse en ce moment.
Merci à Daylon et Cédric d'avoir ajouté des titres à ma liste.
- Vermillion Sands, que je n'ai jamais lu et auquel l'archipel du rêve paraît donner un écho, me semble bien correspondre à ce que je cherche.
- Drown de Junot Diaz et
- The Dew Breaker d'Edwige Danticat, que je n'ai pas lus non plus, me semblent entrer dans la liste également.
- Je rajouterai, même si je l'ai lu depuis longtemps, Ivoire, de Mike Resnick, où une douzaine de nouvelles mettant en scène des personnages variés, sont toutes reliées par les fameuses défenses de l'éléphant Malima Temboz, la montagne qui marche.
Terminologie
Pour rmd, j'aime bien le terme roman-mosaïque, mais la mosaïque comprend de très nombreuses petites pièces, un peu plus que les livres que j'évoque.
Quelle différence avec les fix-ups classiques de la SF ? Fondation, les chroniques martiennes, le cycle d'Elric, les histoires de Conan, le cycle des épées, les seigneurs de l'instrumentalité ? Quelle différence ? Il n'y en a peut-être pas, à vrai dire je crois que je cherche un terme français élégant correspondant à cette notion. Il est clair que certains des recueils classiques que je viens de citer sont une part d'un projet plus vaste (je pense à Fondation, même si dans ce cas, quand on voit la fin du cycle, on peut se dire que le projet a dépassé son auteur). On pourra aussi me faire remarquer que, concernant Elric ou Conan, le projet littéraire d'ensemble n'existe pas vraiment, qu'il ne semble pas y avoir eu l'idée d'un livre, d'un objet littéraire cohérent regroupant les histoires. Qu'on peut sans souci et sans nuire à l'ensemble retirer telle ou telle histoire du lot. Laissons donc ces fix-ups de côté, nous y reviendrons peut-être un jour.
Pour répondre aux commentaires d'Ice Hellion et de Cédric, je dirais que les romans à facettes sont des livres :
- dont les éléments peuvent se lire indépendamment (contrairement à Cédric, je trouve que c'est bien le cas de Wastburg),
- qui gagnent à être lus ensemble à la suite (car le tout est supérieur à la somme des parties)
- et qui perdraient à se voir retirer l'un des éléments qui les composent.
Techniques de collage
Comment assembler les textes afin de faire apparaître le projet du livre ?
Quelques exemples :
dans les Soldats de la mer, les nouvelles sont liées par des petits éléments intertextuels décrivant l'histoire de la Fédération. Ces éléments aident à construire la progression du livre, jusqu'aux nouvelles finales qui en explicitent le projet.
Dans Wastburg, on a un cadre très étroit (la garde de Wastburg). Les nouvelles sont proposées dans l'ordre chronologique et une histoire plus vaste apparaît dans les recoins des histoires individuelles. C'est là d'ailleurs la grande qualité et l'habileté du livre.
Dans l'archipel du rêve et Yama Loka, le projet littéraire apparaît dans les échos et les contradictions entre les textes. Car si tous ces textes parlent du même univers, ils ne tiennent pas vraiment entre eux. Certains noms, lieux, personnages se retrouvent d'un texte à l'autre, on a plus ou moins une progression, mais celle-ci est déstabilisante et renvoie à nos perceptions, aux contradictions propres de la réalité.
Quant à Ivoire, le lien (très artificiel) est fait à l'aide d'une méta-histoire mettant en scène un journaliste/chercheur interrogeant des archives et découvrant les histoires contées dans le recueil.
Si le collage comporte des éléments intertextuels, ceux-ci ne peuvent bien sûr pas être lus indépendamment.
Pourquoi écrire des livres si compliqués ?
Le processus créatif menant à un projet de ce type me paraît assez évident : on écrit un récit assez court, une nouvelle qui en appelle immédiatement d'autres. Puis un deuxième, un troisième récit dont on ressent qu'ils sont liés au premier. Puis on a envie de faire un livre avec tout ça. Alors il faut rechercher (si on ne l'avait pas déjà) le but et le projet du livre, puis décider de la manière dont les textes seront assemblés, le processus de collage, les contraintes qui présideront à l'écriture des textes suivants. C'est un jeu amusant et excitant, qui permet d'essayer d'assembler dans un même livre le meilleur des textes courts (densité, possibilités expérimentales) et l'immersion que permet le roman.
Les défauts de ce genre de littérature seraient que, contrairement à des romans classiques, l'immersion du lecteur est brisée par les changements de point de vue, de décor, d'histoire. Les personnages sont plus difficiles à approfondir, les intrigues sont moins sophistiquées, etc... Vous en voyez d'autres ?
Tous commentaires bienvenus. Stay on the line !
Oh, tu peux encore y ajouter les deux premiers bouquins de David Mitchell, Ghostwritten et Cloud Atlas. Le premier est meilleur que le second, mais tous deux suivent une logique de courts récits trouvant une résonance dans le texte suivant/précédant.
RépondreSupprimerQuant à moi, je considère le "fix-up" au premier degré: le collage de nouvelles qui n'étaient pas, à l'origine, forcément écrites pour être lues ensemble.
À titre personnel, je préfère m'appuyer sur plusieurs personnages solides que sur un unique personnage faible. Si je sais que je ne vais pas tenir la distance avec un protagoniste central, ça ne sert à rien que je le lance dans une traversée en solitaire tout au long du roman. Il faut justifier tout un tas de trucs narrativement parlant, c'est souvent capilotracté. Il faut que le héros soit présent aux endroits et au moments clés de l'intrigue, du coup on a souvent l'impression qu'il est bringuebalé au gré de l'intrigue plus qu'il ne provoque les évènements. C'est parfois intéressant, ça montre que le personnage ne décide de rien, que l'Histoire est plus forte que lui, que son destin lui est imposé, mais à la longue, c'est lassant. Les récits polyphoniques ont l'avantage de mieux coller au récit. La question n'est plus "Comment faire en sorte que mon personnage soit témoin de ça ?" mais plutôt "Qui est le meilleur témoin de cet évènement ?" La difficulté réside alors dans la détermination de l'importance des évènements. Il faut articuler l'intrigue autrement en se rappelant bien que désormais, seul le lecteur à la vision globale.
RépondreSupprimerTous les conseils d'écriture insistent sur l'idée que le lecteur doit pouvoir se sentir proche du héros afin de s'investir en lui et de l'utiliser comme un véhicule qui lui permette de visiter le microcosme du roman. En s'affranchissant de cette règle, on peut transgresser certaines lois tacites du récit, comme celle de tuer le personnage du chapitre. Il n'y a rien de plus ridicule qu'une scène soi-disante angoissante où le héros est menacé. On sait qu'il reste 200 pages après ce passage (et souvent que le héros est encore présent dans les 12 prochains tomes de la saga), il est donc difficile de frissonner de peur pour le héros, c'est couru d'avance qu'il va s'en sortir in extremis. En récit polyphonique, on peut surprendre le lecteur. On peut le placer au cœur d'une intrigue secondaire en prenant tout à coup le point de vue d'un personnage a priori secondaire et montrer qu'il est en fait bien placé pour comprendre les tenants et les aboutissants d'un complot. On peut aussi plus facilement montrer que la vérité est très relative. Ça me rappelle un film d'Hitchcock qui débute par un accident de la route. Par la suite, on écoute le témoignage de chacun des acteurs du drame et ils n'ont pas du tout vu la même chose.
(la suite, car Blogger n'accepte pas plus de 4k signes. Grrr...)
RépondreSupprimerDe manière générale, je trouve la fantasy très normée. Les récits sont souvent très traditionnels dans la forme, on manque souvent d'originalité. Je ne prône pas l'originalité systématique, mais je regrette que nous n'explorions pas d'autres méthodes narratives comme dans les autres genres littéraires. C'est quand la dernière fois que vous avez lu un huis-clos fantasy ? Ou un vrai procès, une intrigue procédurale comme dans les meilleurs bouquins de Michael Connelly ? Le droit est presque toujours absent de la fantasy. Genre une version medfan de "12 hommes en colère" ou un débat d'idées façon "La controverse de Valladolid". Un affrontement d'ego comme entre Salieri et Mozart. On reste souvent dans l'aventure, on lutte contre une menace mais on ne s'attarde surtout pas sur les hommes ou les sentiments. Comme si c'était tabou.Borges était fort pour prendre les choses à contre-pied et montrer qu'elles fonctionnent tout aussi bien. Par exemple, il a écrit les enquêtes d'un type qui est en prison. Le héros ne peut pas se rendre sur les lieux du crime, il doit tirer ses conclusions des constatations des témoins qui viennent lui rapporter les faits. J'aime bien l'idée de renverser le principe, comme avec l'inspecteur Colombo qui évacue dès le départ la question du coupable pour s'attacher à la méthode.
Pour en revenir au récit polyphonique, je tiens à citer "The Imperfectionists" qui décrit la rédaction d'un journal papier à travers les portraits de 11 employés. C'est très intéressant comme méthode, on marche dans les chaussures de chacun des protagonistes. Par contre, il n'y a pas d'intrigue. C'est une photo instantanée d'une entreprise, c'est tout. Seuls de très courts chapitres placés entre chaque nouvelle racontent l'histoire éditoriale du journal de sa création à sa fermeture. Et là encore, il n'y a pas de tension dramatique puisqu'on se doute dès le départ que le journal va fermer. L'auteur est lui-même journaliste, d'où la justesse des portraits et des situations.
J'ai aussi envie de parler de Martin Winckler qui a écrit "La maladie de Sachs", un roman construit sur un principe simple : de courts chapitres qui restituent les pensées de l'entourage du personnage principal, Bruno Sachs. Sachs est médecin, donc on le voit à travers les yeux de ses patients, de ses collègues, de ses amis, de son amante... Chaque regard posé sur lui est évidemment empreint d'une certaine subjectivité, mais l'ensemble des témoignages forme au final un portrait d'une précision saisissante. On voit ses manies, ses moments de faiblesse, ses saines colères, ses amours... et le tout construit un personnage central omniprésent mais paradoxalement absent. J'avoue, j'ai souvent eu l'envie de décrire un magicien selon le même principe, mais j'ai honte de simplement copier le procédé de Martin Winckler.
Je pense que ce livre doit etre ajoute a votre liste
RépondreSupprimerhttp://www.goodreads.com/book/show/71390.Des_milliards_de_tapis_de_cheveux
Chaque chapitre peut etre lu comme une nouvelle, mais l'ensemble racconte une histoire beaucoup plus vaste.
Ed
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RépondreSupprimerCitation d'Ursulla le Guin dans la préface de "L'anniversaire du monde", à propos de "Quatre chemins vers le pardon" :
RépondreSupprimer"Une fois de plus, je supplie qu'on trouve un nom, afin qu'on la reconnaisse, à cette forme de fiction (qui remonte au moins aussi loin que le Cranford d'Elizabeth Gaskell, et que l'on rencontre de plus en plus fréquemment, avec un intérêt grandissant) : un recueil de nouvelles liées par le lieu, les personnages, le thème et l'action, afin de constituer non pas un roman, mais un tout."