12 mai 2011

Kafka sur le rivage, au théâtre Benno Besson

[edit] ce billet a déjà été brièvement publié, puis shooté par le gros bug de blogger. Je le ressors donc.

J'avoue que je n'étais pas très chaud. Cecci avait choisi d'aller voir une tentative d'adaptation d'un roman de Murakami (que je n'ai pas lu), montée dans un théâtre régional suisse (où nous n'étions allés qu'une fois pour une voir un spectacle pas très convainquant...), un spectacle où des Européens joueraient des Japonais, bref, j'ai failli dire "on n'y va pas, on reste à la maison".
J'aurais eu bien tort.


Ce spectacle est ma première expérience de théâtre narratif : il s'agit d'une adaptation de roman [1], ça se sent, qui mêle plusieurs points de vue, plusieurs niveaux d'action, montés un peu comme au cinéma, avec des simultanéités et des alternances. J'ai tout de suite senti sur scène l'univers de Murakami, où l'imagination infuse le monde (ou l'inverse?), où des personnages sympathiques, paumés, étranges, hybrides, se rencontrent et se transforment.
L'histoire ? Kafka Tamura, un ado, fuit son père et une mystérieuse prédication oedipienne, pour aller s'enfermer dans une petite bibliothèque historique, quelque part sur Shikoku. Pourquoi perd-il parfois conscience ? Pourquoi a-t-il du sang sur sa chemise ? Parviendra-t-il à coucher avec l'une des jolies femmes qu'il croisera ? Qu'est-ce qu'essaie de lui dire Oshima-San, le mystérieux bibliothécaire qui cite Aristote à tout bout de champ ? Par ailleurs Nagata, un vieux bizarre et illettré, capable de parler aux chats, rencontre Johnny Walker (celui de la bouteille de whisky, si, si, la scène est énorme), sauve Sésame la chatte en fuite et se lance dans un voyage vers le sud, vers la même petite ville que celle où Kafka s'est réfugiée, en compagnie d'un routier sympathique. Mais quel rapport entre Tanaka et les enfants endormis, en 1944, sur la colline du bol de riz ? Et qu'est-ce que cette maudite pierre de l'entrée ?


On trouvera dans cette histoire de puissantes images, des résonances, le sang des règles et le sang des meurtres, des chats qui parlent illuminés comme des lanternes japonaises, des moments d'inquiétude et des moments de fraternité. Des images pop s'incarnent, une chanson d'amour mystérieuse résonne dans la bibliothèque, des somnambules sont des fantômes et les fantômes ne peuvent pas dormir, des hommes sont des femmes qui sont des hommes, les choses s'hybrident et se mêlent, et la coiffeuse ne fait rien de sexuel, non, non (et cesse de t'excuser à tout bout de champ).
J'ai senti une partie des spectateurs paumés par ces mélanges de réalité et d'imagination. Moi, je me sentais chez moi, tant tout ceci sonnait juste et vrai. La vie est ainsi et la responsabilité commence dans les rêves ("même si personne ne pourra t'inculper pour responsabilité onirique !").

Et le spectacle ? Il a laissé jaillir cet univers, avec un décor simple et des dispositifs visuels astucieux, avec ses chats illuminés et ses acteurs changeant de peau. J'ai vu les cars, les stations d'autoroute, les petits restaurants, la bibliothèque/monument historique, les fantômes, les fantasmes, les têtes de chats coupées dans le frigidaire (j'ai juste loupé la fille à 15000 yens). Et si les acteurs ne l'étaient pas, les personnages étaient indubitablement japonais, grâce à un remarquable travail sur la gestuelle, les attitudes corporelles, les distances et les proximités. Bref, c'était du théâtre. J'aurais juste aimé pouvoir revoir cette histoire et la montrer à mes amis, un soir d'été.
Si jamais elle passe près de chez vous, ne la manquez pas.


[1] faite par Frank Galati, un auteur dramatique Etats-Unien


Kafka sur le rivage, par la compagnie l'outil de la ressemblance.



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