31 août 2012

Re-lectures : 3 albums de Tintin

Avoir des enfants me ramène à mon enfance. En BD, j'ai été élevé aux séries Dupuis, à Asterix, à Tintin et à Blake et Mortimer, qui ont, bon gré mal gré forgé mon regard sur la bande dessinée, définissant ce qui sera pour moi les plus classiques des bandes dessinées.
Lire Tintin à deux jeunes personnes de quatre et cinq ans m'a permis de redécouvrir ces albums que je n'avais pas ouverts depuis sans doute vingt ans. Ce sont ces impressions de re-découverte que je veux partager ici. (pour être précis, je n'ai pas commencé par Tintin mais par les Schtroumphs et Johan et Pirlouit, j'y reviendrai sans doute).


L'île noire
Commencé sans y croire pour distraire des enfants épuisés, le récit a marché du tonnerre. De fait, ce n'est qu'une longue course-poursuite, sur 60 pages, sans presque aucun moment pour souffler. Tous les moyens de transport y passent : voiture, train, ferry, avion à hélice, à réaction, barque... Les épisodes s'enchaînent à toute allure : accident, capture, contre-capture, bagarre, incendie, un vrai récit d'action au rythme effréné ponctué de situations burlesques et de gags qui, s'ils paraîtront sans doute datés à l'adulte fonctionnent parfaitement sur des petits qui éclatent de rire. J'ai compris en lisant cet album cette notion (controversée, je crois) de ligne claire. Au premier coup d'oeil, les enfants saisissent tout ce qui est important dans les cases et comprennent parfaitement l'action. Hergé est totalement lisible. Le plus amusant de l'affaire est que le scénario n'a aucune importance Tintin voit des bandits, les bandits se croient découverts, Tintin court après les bandits – sans savoir pourquoi il court – les bandits veulent tuer Tintin. Le très joli passage écossais illustré sur la couverture n'occupe que les dernières pages...

Le secret de la licorne

Curieux album, très déséquilibré. Vague mystère au sujet d'une maquette de bateau, histoire indolente de pick-pocket donnant l'occasion aux Dupontd de chercher mille fois leurs portefeuilles, une fusillade curieusement pas dans le ton, un retournement de situation téléphoné (la manière dont le portefeuille Loiseau est retrouvé...). On est en intérieur la plupart du temps, dans des décors nus. On téléphone, on monte et on descend des escaliers, et j'ai du mal à croire à ces riches antiquaires tuant pour un bout de parchemin dont ils ne peuvent être certains de la valeur... Restent pourtant deux morceaux de bravoure : l'enlèvement de Tintin dans les caves de Moulinsart (et les scènes d'action qui s'en suivant, même mélange de bagarre et de burlesque que dans l'île noire) et surtout le récit dans le récit racontant l'affrontement entre le Chevalier de Hadoque et Rackham le rouge, basé sur un procédé narratif brillant (On voit surtout Haddock raconter à Tintin, qui tente de l'empêcher de boire)...
Un point m'a étonné (après visite récente du musée de la marine, à Londres) : comment se fait-il que la Licorne, vaisseau de ligne puissamment armé, fuie devant le brick de Rackham le rouge ? Il aurait suffit de le tenir à distance et de le couler. Et même, lors de l'abordage, les soldats à bord de la Licorne auraient dû repousser sans problème l'abordage des pirates. Ceux-ci n'avaient pas grande motivation pour s'attaquer au vaisseau de ligne : ils sont riches du trésor, pourquoi risquer leur peau ?
Une hypothèse crédible : la licorne navigue en fait avec un équipage réduit, trop peu de canonniers et pas de combattants. Rackham le savait et avait en fait tendu une embuscade à Hadoque : après avoir coulé le galion espagnol, il visait plus haut et voulait un navire plus puissant...
Qu'en pensent mes lecteurs ?
(et enfin, pourquoi Hadoque, pourtant français, écrit-il XX° de longitude W ?)


Le trésor de Rackham le rouge
Là aussi un drôle d'album, mieux rythmé que le précédent. Pas de méchant, aucun bandit, juste un mystère et une exploration, une aventure marine et une chasse au trésor dans les formes. Traversée, navigation, sous-marin, scaphandre, mystère autour de la présence de Tournesol, fausses pistes, Dupondt pompistes, Tournesol toujours plus à l'Ouest, requins. L'histoire a beaucoup de charme et le mystère est bien mené, et dévoilé. Un vrai plaisir, tout est bien qui finit bien.

Et vous, avez-vous relu récemment des BDs d'enfance ?


29 août 2012

Le Haut-Lieu et autres espace inhabitables

J'ai abordé ce livre avec un a-priori positif : excellent titre, superbe couverture de Daylon (en lunes d'encre), réputation flatteuse de l'auteur. Le Haut-Lieu est un recueil de nouvelles entre le fantastique et la science-fiction, allant de Jules Verne à Borges en passant par Métropolis. J'ai commencé pourtant par être un peu déçu.
Le Haut-Lieu est aussi le titre du premier texte, une novella très agréable à lire basée sur idée angoissante, la visite d'un grand appartement de l'île Saint-Louis dont les pièces une à une disparaissent. Joli vertige sur la création, mise en abyme des jeux de la mémoire et de l'illusion, les idées sont très séduisantes, ce qui m'a fait regretter des personnages en 2D et une explication psychologisante un peu légère.
J'ai apprécié le gouffre aux chimères, basé sur une très belle idée dont je ne suis pas sûr d'avoir saisi toutes les références. De même pour Superscience, texte qui semble lié à un univers qui m'a échappé mais on je crois déceler le même genre d'influences que dans la Brigade chimérique. Le chasse aux ombres molles est une pochade dispensable. Origami est le premier texte qui m'a pleinement séduit, jouant avec humour sur la modification de la réalité induite par son observation
 Quant à la régulation de Richard Mars... Cette dernière novella est un texte époustouflant, mêlant bribes de chroniques intimes, transformation en Dieu, en rat, histoire cosmique de l'univers, croissance et destructions des civilisations... Un vertige de bout en bout, toujours parfaitement maîtrisé. La grande classe.

09 août 2012

Hunger games - Suzanne Collins

Quelque part aux Etats-Unis, après la catastrophe climatico/économique... Le pays est divisé en douze districts, tous spécialisés, dominés par le Capitole, une sorte d'Eden techno-dictatorial, qui rafle chaque année un adolescent de chaque sexe dans chaque districts pour les faire s'affronter à mort dans une arène naturelle, dans une sorte de croisement entre télé-réalité et spectacles du Colisée.
Katniss est une jeune fille pauvre qui subvient au besoin de sa famille en chassant à l'arc dans les terres sauvages. Avec le fils du boulanger du district (son amoureux transi et secret), elle est choisie pour les "jeux de la faim". Malgré son esprit rebelle, elle est alors prise dans l'engrenage ludo-médiatique et participe au grand combat sous l'oeil avide des caméras...
La première partie du roman évoque la vie dans le district 12, sorte d'enfer minier à la Dickens. Crasse, faim, pauvreté et nobles personnes qui s'en sortent. Dans la seconde partie, Katniss est relookée par un grand couturier et apprend à parler face à une caméra. Elle sympathise avec son designer personnel, apprend à connaître son rugueux mentor, noue une romance "je-fais-semblant-de-t'aimer-pour-les-caméras, mais en fait je tombe un peu amoureuse de toi" avec son camarade de district. Le public l'apprécie et ses juges lui donnent la meilleure note. 
La troisième partie est une énorme scène d'action, bien menée et palpitante, dans un esprit "il ne peut en rester qu'un". Les amis de Katniss sont heureusement éliminés par d'autres concurrents, lui évitant trop de tourments moraux...

Malgré le cadre dystopique, Hunger games relève plutôt d'une sorte de conte. Jeune fille pauvre, mentor bienveillant, transformation en princesse, chasse cruelle dans la forêt... Le plus intéressant est bien sûr l'idée de base, qui rappelle un peu la légende les jeunes gens athéniens envoyés en Crête nourrir le minotaure. Cette cruauté, même si elle n'est pas assumée (bien que participante, Katniss reste pure toute du long), est le principal attrait du livre. Pour le reste l'écriture est indigente et simpliste, l'univers n'a pas vraiment de cohérence (autre que celle du conte), les clichés sont partout : adolescente mal dans sa peau qui se découvre jolie, robes de princesse, romance de lycée. Seule originalité : l'attention portée à la nourriture (c.f. le titre). Il est amusant (et cynique) que le livre place en vérité le lecteur dans la position du public des Hunger games, présentés comme une horrible institution...

Ce cynisme est d'ailleurs le point qui m'ennuie le plus dans ce livre. J'aurais peut-être pardonné à un auteur débutant ce festival de clichés et cette écriture bête à pleurer (et encore...). Suzanne Collins est une scénariste et une romancière confirmée, je dois donc en déduire que c'est exprès qu'elle prend ses lecteurs pour des imbéciles. C'est bien triste. Bienvenue chez le Guillaume Musso du post-apo.


06 août 2012

Roland Wagner

Je me retrouve à écrire quelque chose de curieusement similaire à ce qu'écrit Fabrice Colin. Je suis triste, pardonnez ma maladresse.

En 1997, j'étais étudiant, je venais de publier mon premier roman chez Mnémos. 
Dans Casus Belli, un type nommé Roland Wagner donnait des conseils de lecture de SF, les seuls dont je disposais alors. Grâce à eux, j'ai lu quelques auteurs pas trop mauvais : Roger Zelazny, George Alec Effinger, Walter Jon Williams, John Brunner, Jean-Claude Dunyach, Robert Silverberg (j'en oublie sûrement)... Il avait l'air de savoir de quoi il parlait, il m'a aidé à me faire une culture. Parmi ceux que j'oublie, le fabuleux Temps du twist, de Joel Houssin, qui m'a convaincu qu'on pouvait lire (et écrire) de la science-fiction de langue française, et que ça pouvait même avoir de la gueule.
En 98, je découvre plusieurs choses : Roland Wagner est un auteur (ah oui ?), et il a cité mon livre dans sa rubrique de Casus, ma toute première critique !
On s'est rencontrés dans la vraie vie à la fin de l'année, lors du festival Visions du futur organisé près de la mairie du XVIIIème. J'ai découvert un homme sensible, pudique, gentil, doté d'une immense culture des littératures populaires. Il présidait alors le jury du prix Julia Verlanger, que j'ai reçu cette année là. Ca aide à prendre confiance en soi.
Ces années ont été très importantes pour moi. Beaucoup de choix, de décisions, même si tous les enjeux n'étaient pas visibles. Etre soutenu, alors, par des personnes d'une telle qualité, ça a une immense valeur.
Merci Roland.

05 août 2012

Les Chronolithes - Robert Charles Wilson

Voici quelques trucs pour reconnaître un roman de Robert Charles Wilson, si vous en croisez un dont on aurait arraché la couverture :
C'est très facile à lire : style clair, sans effets, un peu lisse, techniques de narrations efficaces sans être épileptiques. Le héros est un type moyen, sympa, un peu mou, genre classe moyenne américaine, père divorcé, problèmes familiaux. Et surtout, c'est là le truc crucial, le pitch est ENORME. Dans les  Chronolithes, un conquérant du futur, Kuin, envoie tous les quelques mois des obélisques de verre dans le passé pour annoncer ses victoires militaires qui auront lieu vingt ans plus tard, déprimant d'avance ses futurs ennemis et créant, en quelque sorte, une prophétie autoréalisatrice...
Sans être aussi fou et inventif que Spin, les Chronolithes est une grande réussite : cohérence du récit, des personnages, de l'intrigue. Suspense insoutenable qui donne envie de tourner les pages, sans abus de techniques de thriller. De plus le roman est assez court (300 pages), et on saura combien j'aime les auteurs qui arrivent à tout dire en peu de mots...
Mais la force de ce roman repose sur autre chose : d'abord, sur une amusante mise en abyme du rôle de l'écrivain qui construit son intrigue à l'envers et qui parcourt à sa façon les chaînes de causalité. Et surtout sur un sentiment assez fort chez moi, l'angoisse de l'avenir, l'impression de l'inéluctabilité de la catastrophe. Le livre vaut autant par son astucieux argument que par la peinture impressionniste et crédible de notre futur, cohérente d'un roman à l'autre de l'auteur.
En bref, une science-fiction très intelligente, facile à lire, par un auteur pas dépourvu d'ambition littéraire. Voilà qui me donne très envie de me tourner vers Blind lake...

03 août 2012

Le prophète et le Vizir - Yves et Ada Rémy

Très curieux et joli livre publié par les éditions Dystopia. Tout comme le remarquable recueil de Lisa Tuttle, celui-ci est un travail de passionnés qui auront voulu rendre disponible, sous une forme élégante, un nouveau texte d'Yves et Ada Rémy. J'ai déjà parlé sur ce blog de la forte impression que m'avaient faite leurs soldats de la mer, recueil-collage remarquable sur thème d'aventures et de contes militaires du XIXème siècle.
Ici, dans un esprit voisin, on a droit à deux récits mettant en scène des personnages historiques du monde arabe médiéval. Le premier récit commence comme un conte, avec tous les accessoires des mille et une nuits, ornements, arabesques, noms chantournés et rebondissements étranges. On y fera connaissance avec un ancien pécheur de perles doté par un procédé plutôt original du don de prescience, qui, faisant le tour de la méditerranée, aura des visions curieuses du futur de son univers. Le récit est très joliment écrit, traversant plusieurs genres comme si sa genèse avait eu plusieurs périodes : on passe du conte merveilleux au récit de voyage puis on glisse vers une sorte de fantastique moral comme une nouvelle de Dino Buzzati.
Dans le second récit, on verra une lutte acérée sur fond de désert et de soleil ardent entre un Vizir cruel et le destin qui veut lui ravir ses enfants, les deux récits étant liés par une prophétie.
On trouve dans ce petit livre un joli plaisir d'écriture, appuyé par une langue élégante et classique. Si le cadre est très différent des Soldats de la mer, les deux livres se rejoignent par un certain esprit du fantastique, qui se rapproche plus du XIXème siècle que de l'évolution contemporaine des genres.
Pour glisser sur une appréciation plus subjective et mal définie, je dirais toutefois qu'il y a dans l'écriture des Rémy quelque chose qui ne parvient pas totalement à me convaincre. Leur travail est de très bon niveau, mais ne parvient pas à me hisser jusqu'au vertige. Peut-être manque-t-il encore quelques étapes de distillation. Je ne sais pas.
Rien qui doive toutefois détourner de ce petit livre le lecteur amateur et curieux.