Suite encore des rediffusions entamées par ce billet. Un autre article issu du Bifrost spécial Tolkien.
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Oxford, en 1919. Dans la cité universitaire évoluent quatre
personnages, tous blessés d’une façon ou une autre par la guerre qui
vient de s’achever, tous à un tournant de leur vie. T. E. « Ned »
Lawrence, venu défendre la cause de ses amis arabes aux négociations du
traité de Versailles et forcé par son éditeur à se remettre à son
manuscrit. C. S. « Jack » Lewis, menant une étrange vie entre
l’université et la famille de son meilleur ami disparu ; le poète Robert
Graves et John Ronald Reuel Tolkien, ce dernier hanté par les spectres
des amis disparus dans les tranchées de la somme.
Dans cet étrange roman de l’auteur italien Wu Ming 4, on entre dans la vie de trois créateurs de mythes
et dans celle d’un homme qui en devint un lui-même. Un projet
difficile : mettre en scène des personnages réels et raconter la
naissance, suite au traumatisme de la Grande Guerre, de certains des
mythes de notre époque.
De fait, ce roman très ambitieux est globalement raté : le
rapprochement des quatre voix ne crée aucune dynamique romanesque, on a
l’impression d’une série d’extraits juxtaposés qui feraient entendre un
discours un peu trop subtil pour l’oreille du lecteur, sans jamais trop
savoir où nous porte le récit.
Si l’œuvre est imparfaite, elle comporte toutefois de beaux
morceaux : l’évocation du monde universitaire anglais des années 1920
avec ses règles rigides et ses révoltes à venir. Les doutes, la
personnalité ambiguë et la mise en scène par lui-même (et par un
journaliste américain) de la légende de celui qu’on appelle déjà
Lawrence d’Arabie. La vie de famille singulière de ce futur grand
moraliste de Jack Lewis, qui entre dans le foyer et dans le lit de la
mère de son ami disparu, ou bien les choix entre poésie, vie de famille,
université et épicerie du futur mythographe, Robert Graves.
Pour se concentrer sur Tolkien, le jeune homme mis en scène par le
roman (il a 28 ans) est un beau personnage, hanté par l’indicible
douleur de la guerre et de la perte, comprenant que c’est dans le
travail de ses poèmes écrits à l’hôpital après sa blessure (« La Chute de Gondolin »)
que se trouvera le salut de son esprit. Wu Ming 4 propose là une belle
figure de créateur en devenir, qui se croit obligé de choisir entre son
travail universitaire « sérieux » pour subvenir à la vie de sa famille,
et une œuvre dont il pense qu’il n’y a rien à espérer, un jeune homme
amoureux et aimé de son épouse Edith, savourant le plaisir des
promenades dans le paysage campagnard de l’Oxforshire, et triste à
mourir de devoir partir enseigner dans la grise ville de Leeds.
L’auteur semble s’être abondamment documenté sur ses personnages et
leur cadre de vie. Pourquoi ne pas nous avoir livré quatre essais
biographiques ? Qu’apporte ici la fiction ? Je n’ai pas su le
distinguer, et c’est là mon plus grand regret concernant ce livre plutôt
bien écrit, attachant, mais qui m’a laissé au bord du chemin.
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