Voilà un bouquin prometteur : un jeune prof, l'agrégation juste passée, part vers son premier poste dans un collège très difficile d'une ville de province, Logres. Il a trouvé à se loger chez Madame Van Reth, veuve étrange d'un collectionneur d'érotiques du 18ème siècle, dans une non moins étrange maison. L'écriture, hypnotisante, nous fait assister au voyage halluciné du héros dans le train qui le mène à Logres et à ses débuts dans le collège qui, il faut bien le dire, est une antichambre de l'enfer. Et puis il y a ces mauvaises nuits, ce téléphone qui s'obstine à sonner dans la grande maison trop vide, et les bruits insupportables qui sortent du pavillon de parpaing des Hellequin, les caïds du lieux, des ces dîners abominables du cercle culturel de Logres, et ces morts de la première guerre mondiale qui rampent sous la boue du champs des Ecargues... La raison de notre prof part à la dérive, et nous aussi, pour notre plus grand plaisir.
L'écriture habile de l'auteur sait donner voix à une galerie de personnages bizarres, le prof cynique, le proviseur shooté aux circulaires de l'Education Nationale, l'avocat médiatique et puant, la poétesse féministe nimbée de dentelles noires...
On pense aux films de David Lynch, à l'échelle de Jacob, à ces moments où le fantastique envahit la réalité parce que le fantastique est la réalité. Et dans sa peinture de Logres en enfer, Pierre Jourde donne à sentir la nature profondément étrange et effrayante du monde. Pas mal.
Malheureusement, son roman a quelques problèmes. Le premier est, me semble-t-il, que l'auteur, tout à son ambiance, a totalement oublié de raconter une histoire intéressante. La dérive solipsiste de son personnage aurait pu en être le sujet si ce dernier avait été un peu moins (ou un peu plus, au choix) une insupportable loque chouineuse. Sinon, à quoi bon tout ça? Pourquoi avoir créé autant de personnages intéressants (les Hellequin, le docteur, les Schutz...) pour n'en rien faire?
Deuxième point, l'auteur est un prof, et ça se voit. Le texte mentionne avec mépris ces profs aigris qui ne cessent de parler de leurs élèves. Sur sa deuxième partie, le roman m'a fait penser à celui d'un prof aigri qui ne cesse de parler de l'éducation nationale... et, autant l'auteur a l'imagination puissante et féroce quand il part dans le fantasme, autant ses récits semi-réalistes des formations pédagogiques de l'éducation nationale n'offrent, en vérité, aucun intérêt pour le lecteur non-prof (et pour le lecteur-prof? je l'ignore). Bref, j'ai fini par sauter les longues diatribes sur l'architecture démente de l'ISFP et le fonctionnement du "système"... Dommage.
Reste la fin du roman, atteinte après une centaine de pages d'ennui pédagogique, et relativement convenue. Ami lecteur, suis mon conseil, abandonne le texte à la moitié, tu auras un excellent souvenir de ce roman !
PS : Festins Secrets m'a heureusement rappelé un excellent roman fantastique, traitant un sujet proche tout en évitant complètement l'ennui : Villa Bini, de l'excellente et trop rare Serena Gentilhomme.
PPS : merci à PAT de m'avoir donné envie de lire Festins Secrets. Je n'ai pas autant apprécié que lui le roman, mais ça reste un texte très intéressant.
Ouf! Je ne suis pas le seul a être resté sur ma faim en finissant ce roman. Je commençais à me croire moins doué que les autres lecteurs. Je veux dire que je n'ai pas compris l'histoire (s'il y en a une). Qu'est-il effectivement arrivé à Mr Van Reed? Qui était cette fille dans la grotte? Que faisaient exactement tous ces gens? Je suis peut-être vieillot, mais quand je lis un roman (une "histoire"), je tiens à comprendre "ce qui se passe".
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