Ce livre retrace la lente évolution, pendant les cinq premiers siècles de notre ère, de la conception que les chrétiens se sont faite du Christ, pour autant qu'on puisse la connaître. Mais pour vous, qui suis-je ? Demande Jésus aux apôtres dans l'évangile de Matthieu. Et lui-même se garde bien de jamais fournir une réponse précise à cette question.
Ce mystère sur sa nature est le coeur de la foi chrétienne. Pour vous, qui suis-je ? Le livre de Frédéric Lenoir essaie de présenter les réponses que les hommes (savants) ont donné à cette question, depuis les apôtres et les contemporains, en passant les évangélisateurs, les premiers évêques, les premiers conciles, les empereurs... De l'homme étrange et contradictoire présenté par les évangiles jusqu'à la conception trinitaire de Dieu et aux discussions sur la nature simple ou double du Christ des conciles de Nicée, d'Ephèse, de Chalcédoine...
La première partie reprend les sources les plus anciennes (Josèphe, bien sûr, puis Paul et les évangiles synoptiques). La seconde partie, la plus intéressante à mon goût, montre de nombreux visages du Christ et du christianisme, durant les deux/trois premiers siècles, alors que la nouvelle religion s'installe sous une foule de visage dans l'empire romain. La troisième partie évoque le jeu des conciles, l'implication des empereurs, la marche forcée vers l'orthodoxie.
Ce livre n'est pas un essai savant, plutôt un ouvrage de vulgarisation théologique et historique. Si on accepte de lire des pages au style facile, le projet paraîtra tout à fait réussi. Le récit est clair, vivant et parvient à faire saisir des idées relativement fines. Les amateurs du jeu Credo, les amis de Des Esseintes, et ceux qui aiment les domaines de connaissance exotiques pourront être séduits par l'exposition des variations du christianisme des premiers siècles : docétisme, adoptianisme, monarchianisme, nazaréens, elkazaïtes... Le chapitre sur les gnostiques n'est pas mauvais non plus. Le livre ne révolutionnera pas votre relation (ou non-relation) au Christ, mais il a le mérite de bien exposer un certain nombre d'idées et de notions complexes, sur l'incarnation, l'Esprit Saint, la relation entre christianisme et judaïsme, la nature spécifique du christianisme (religion de la personne et pas du livre), sur la formation des textes et du canon. Il montre combien toutes ces discussions sont une tentative intéressante de rendre compte d'un mystère irréductible à travers les outils de la raison.
On comprendra notamment la nature théologique de certaines églises d'orient dont on entend parler dans le cadre de l'actualité (coptes, chaldéens, etc.), églises certes minoritaires mais issues des schismes des tous premiers siècles. L'histoire des conciles est à la fois fascinante et désolante, montrant encore combien les affaires religieuses peuvent être instrumentées pour des questions politiques, et j'en suis venu à me dire que la vraie question intéressante pour moi était la façon dont les petites gens vivaient leur relation à Dieu pendant que les évêques réunis se jetaient des invectives... Enfin, les rebondissements inattendus de l'Histoire qu'on découvre donneront aux amateurs de bonnes idées d'uchronies (j'ai notamment été très intéressé par le rôle de l'évêque Wulfila, à l'origine de l'arianisme – idée suivie à sa façon par Mary Gentle dans le livre de Cendres).
Je laisse le mot de la fin à un ancien persécuté du IIIème siècle, agacé par les querelles entre ariens et orthodoxes.
Il n'y a qu'un Dieu qui a créé le ciel et la terre et toutes les choses visibles, qui a tout fait par la force de son Verbe, et tout affermi par la sainteté de son esprit. Ce Verbe que nous appelons le Fils de Dieu ayant eu pitié de l'égarement des hommes, et de l'ignorance où ils vivaient comme des bêtes, a bien voulu naître d'une femme, vivre parmi les hommes et mourir pour leur salut. Il viendra un jour pour juger ce que chacun aura fait durant cette vie. Voilà ce que nous croyons, tout simplement.