J'ai donc fini de lire Lavinia. Dans ce roman, ULG raconte la vie du personnage éponyme, l’épouse d’énée à la fin de l’énéide de Virgile. Ce dernier ne
parle pas beaucoup de la fille du roi Latinus. Par amour du latin, du poème d'énée, et sans doute plein d'autres raisons, Le Guin a décidé de lui donner un récit à
elle.
On
avait déjà lu, Cecci et moi, le livre Sirène, debout, de Nina Mac
Laughlin, une réécriture brillante des métamorphoses d’Ovide, du point
de vue (pas très drôle) des femmes. Mais là où Sirène debout était une série de
nouvelles féministes très violentes (et pas moins appréciables), Lavinia
est une œuvre plus douce (même s’il y est beaucoup question de guerre), une
évocation très poétique de la vie dans la Latium durant l’antiquité, la
relation aux animaux, aux plantes, aux dieux. Le Guin essaie de faire sentir ce
qui était, peut-être, l’univers mental des anciens Romains, ceux d’avant
l’empire. Un monde vertueux, sobre et digne. À cette belle ambition, le roman
mêle aussi une romance (c’est l’histoire d’une jeune fille à marier et de
jeunes chiens fous qui se battent pour elle), une histoire de guerre vue du
point de vue féminin, et surtout une évocation, très méta-littéraire, de la
relation de l’autrice avec son personnage et de l’autrice, et du personnage,
avec Virgile lui-même, et son poème.
J’ai beaucoup aimé beaucoup les personnages, l’univers, l’histoire, tout, c'était vraiment formidable. J’avais lu quand j’étais
enfant une version de l’énéide et cette affaire de nobles Troyens
débarquant chez des ploucs en Italie centrale m’avait toujours parue assez peu
héroïque. Lavinia me fait regarder les choses tout autrement et me
donne, en plus, envie de lire l’énéide, si je trouve une traduction qui
me plaît (nous en avons une à la maison, peut-être un peu trop proche du latin,
à laquelle en tous cas je n’ai pas accroché).
Je termine ce billet en citant l'autrice elle-même, à la fin de sa très intéressante postface.
Depuis que j'en ai lu histoires et légendes, je suis attirée par Rome. Pas l'Empire décadent des sagas télévisées mais la Rome primitive : la République sombre et simple, un forum non de marbre mais de bois et de brique, un peuple austère doué d'un sens aigu du devoir, de l'ordre et de la justice; des fermiers qui passaient la moitié de l'an dans les rangs de l'armée, des femmes qui tenaient les fermes en leur absence, des familles étendues qui révéraient le feu de leur âtre, les récoltes dans leur grenier, la source voisine, les esprits du lieu et de la terre. Les femmes n'étaient pas du bétail, et ne serait-ce que pour cette raison mon imagination se sent chez elle dans une maison de la Rome antique, chose impossible avec la Grèce antique. Ils avaient des esclaves, comme tout le monde à l'époque, mais les esclaves de la maisonnée, la familia, mangeaient avec les hommes et les femmes libres. Ils étaient frustes, brutaux, très différents de nous, mais il est difficile de les voir comme véritablement étrangers quand une si grande part de notre héritage culturel vient directement d'eux, la moitié de notre langue, l'essentiel de nos concepts juridiques... et peut-être aussi certaines valeurs sévères mais raffinées : la loyauté, la réserve et le sens des responsabilités qui habitent le héros de Virgile.
De manière intéressante, nous avions acheté ce livre après avoir vu la pièce qu'il a inspirée à la grande de Dorigny, il y a deux ans.