11 octobre 2025

Maigret à l'école - Simenon


J'ai cette même édition
 Donc un type vient traîner dans le bureau du famous commissaire Maigret et lui demander en le suppliant de se mêler de son affaire de meurtre, là-bas, en Charente. Maigret n'avait pas trop de boulot, il avait envie de boire du blanc et manger des huîtres et Jojo Simenon avait envie d'écrire une intrigue policière de village en Charente. Tous ces élements, et le dernier en particulier, suffisent pour envoyer le commissaire aux gros yeux traîner ses guètres dans le village. Spoilers: il n'aura pas d'huîtres.

Je blague, je blague, en fait, mais le roman est très bien. Pessimiste, certes, les personnages en sont pour la plupart très peu sympathiques, mais l'intrigue est super bien arrangée.  L'ambiance est pesante, le mystère traîne jusqu'au bout, la révélation finale est tout à fait pertinente et Maigret fait preuve en plusieurs occasions d'une grande finesse et d'une grande douceur, notamment dans la scène de l'interrogatoire de Jean-Paul (ceux qui ont lu comprendront de quoi je parle).

Il y a là un mystère pour moi : comment un type pas trop sympathique comme Simenon, vivant à l'époque aux USA, pouvait écrire ce genre de trucs, en une semaine... Je trouve souvent que les romans de Maigret sont très humains et touchants, et je n'arrive pas à faire coller ça avec l'idée d'un mec écrivant ça à la chaîne à 5000 km des lieux de l'intrigue. 


10 octobre 2025

Un simple accident - Jafar Panahi

Donc voilà, c'est un film iranien fauché, tourné avec comme décor principal une camionnette (ça se voit). Récompensé par la palme d'or et financé par des capitaux français. Et ça va nous dire que le "régime des mollahs", comme dit la presse, ce sont des méchants. Je vous renvoie à la super vidéo de cinéma & politique sur un certain business du cinéma "exotique" (je veux dire: pas européen ni américain).




Bon, voilà, on dit tout ça, et, en fait, ce film est super bien. J'ai pensé en le voyant que c'était tout le contraire des productions AI/CGI. Plein d'aspérités, de surprise à l'image et de vrais gens à l'écran. C'est réaliste mais c'est une fiction, une histoire qui rappelle un peu la pièce "la jeune fille et la mort", en plus fin et moins sérieux.

C'est un film à la fois flippant (on a dit, le régime, ce ne sont pas des gentils), humain, marrant, absurde, très très bien joué (j'ai adoré tous les acteurs et, en particulier, le type à la tête complètement quelconque qui joue le personnage principal). L'histoire m'a tenu en haleine jusqu'à la dernière seconde. 

Alors oui, c'est une charge, c'est frontal, le discours n'est pas très fin, mais l'ennemi, en vrai, non plus. Et si, au moins, on peut en rigoler, ce n'est pas plus mal.






Lavinia - Ursula Le Guin

J'ai donc fini de lire Lavinia. Dans ce roman, ULG raconte la vie du personnage éponyme, l’épouse d’énée à la fin de l’énéide de Virgile. Ce dernier ne parle pas beaucoup de la fille du roi Latinus. Par amour du latin, du poème d'énée, et sans doute plein d'autres raisons, Le Guin a décidé de lui donner un récit à elle.

On avait déjà lu, Cecci et moi, le livre Sirène, debout, de Nina Mac Laughlin, une réécriture brillante des métamorphoses d’Ovide, du point de vue (pas très drôle) des femmes. Mais là où Sirène debout était une série de nouvelles féministes très violentes (et pas moins appréciables), Lavinia est une œuvre plus douce (même s’il y est beaucoup question de guerre), une évocation très poétique de la vie dans la Latium durant l’antiquité, la relation aux animaux, aux plantes, aux dieux. Le Guin essaie de faire sentir ce qui était, peut-être, l’univers mental des anciens Romains, ceux d’avant l’empire. Un monde vertueux, sobre et digne. À cette belle ambition, le roman mêle aussi une romance (c’est l’histoire d’une jeune fille à marier et de jeunes chiens fous qui se battent pour elle), une histoire de guerre vue du point de vue féminin, et surtout une évocation, très méta-littéraire, de la relation de l’autrice avec son personnage et de l’autrice, et du personnage, avec Virgile lui-même, et son poème.

J’ai beaucoup aimé beaucoup les personnages, l’univers, l’histoire, tout, c'était vraiment formidable. J’avais lu quand j’étais enfant une version de l’énéide et cette affaire de nobles Troyens débarquant chez des ploucs en Italie centrale m’avait toujours parue assez peu héroïque. Lavinia me fait regarder les choses tout autrement et me donne, en plus, envie de lire l’énéide, si je trouve une traduction qui me plaît (nous en avons une à la maison, peut-être un peu trop proche du latin, à laquelle en tous cas je n’ai pas accroché). 

Je termine ce billet en citant l'autrice elle-même, à la fin de sa très intéressante postface.

Depuis que j'en ai lu histoires et légendes, je suis attirée par Rome. Pas l'Empire décadent des sagas télévisées mais la Rome primitive : la République sombre et simple, un forum non de marbre mais de bois et de brique, un peuple austère doué d'un sens aigu du devoir, de l'ordre et de la justice; des fermiers qui passaient la moitié de l'an dans les rangs de l'armée, des femmes qui tenaient les fermes en leur absence, des familles étendues qui révéraient le feu de leur âtre, les récoltes dans leur grenier, la source voisine, les esprits du lieu et de la terre. Les femmes n'étaient pas du bétail, et ne serait-ce que pour cette raison mon imagination se sent chez elle dans une maison de la Rome antique, chose impossible avec la Grèce antique. Ils avaient des esclaves, comme tout le monde à l'époque, mais les esclaves de la maisonnée, la familia, mangeaient avec les hommes et les femmes libres. Ils étaient frustes, brutaux, très différents de nous, mais il est difficile de les voir comme véritablement étrangers quand une si grande part de notre héritage culturel vient directement d'eux, la moitié de notre langue, l'essentiel de nos concepts juridiques... et peut-être aussi certaines valeurs sévères mais raffinées : la loyauté, la réserve et le sens des responsabilités qui habitent le héros de Virgile.


De manière intéressante, nous avions acheté ce livre après avoir vu la pièce qu'il a inspirée à la grande de Dorigny, il y a deux ans.

04 octobre 2025

Augustin à la mine - au TKM

C'est le début de la saison au TKM, centrée autour d'un festival d'art brut, en collaboration avec le musée du même métal installé à Lausanne. (voir cet article où j'évoque cet endroit remarquable)




La pièce commence dans le noir ; des sortes de lanternes de mine laissent deviner un sol couvert de débris minéraux. Une nouvelle lumière s'allume, au fond, éclairant de côté un visage pâle, qui nous parle. Elle est Marie Lesage. Une enfant. Elle est morte. Elle est sous la terre (dans la mine ? Dans la tombe ? Le texte est ambigu). Elle nous parle du lien entre le dessous et le dessus. Elle nous parle de son frère, le peintre, Augustin. La pièce va nous parler d'Augustin.

Augustin Lesage est né dans le Nord. Il descend à la mine, comme son père, comme son grand-père. Un jour, une voix lui parle, celle de Marie, sa soeur, dans une scène bouleversante où il semble à la fois ramper sous terre et être dans les bras de la morte. Marie lui dit qu'il sera peintre. Il se met à peindre alors qu'il n'a jamais appris. Il va parler aux esprits, évoquer les morts, guérir les vivants par ses pouvoirs psychiques, et peindre des tableaux mystérieux, géométriques, pleins de motifs liés à l'Egypte antique. Il va devenir l'objet d'études bizarres, financées par l'Institut Métapsychique International, dans les années 20.

La pièce, dans un grand souffle, nous fait vivre cette histoire. Sept acteurices sur scène, toustes sont Augustin, toustes sont tous les personnages. Les voix passent, les personnages changent de scène en scène, iels bougent comme un corps, comme plusieurs corps. Foule, groupe d'habitudés au café, mineures dans la cage, visiteurices de la première exposition d'Augustin. Les genres, les voix n'ont pas d'importance, les corps des comédiens.nes évoquent les fantômes, les morts, les voix disparues.

L'histoire d'Augustin est à la fois très mystérieuse, très curieuse, très humaine. La pièce offre une mise en scène pleine de mouvements, de danse, même, qui montrent le temps qui passe, les guerres qui viennent, l'âge et la maladie qui saisissent. Le texte porte des extraits de lettres ou de paroles de ce drôle de type que fut Augustin Lesage.

On est dans l'histoire des mines, l'histoire du Nord, l'histoire du spiritisme. On voit vivre un monde de la belle époque et des années 20 plein de surnaturel et de magie. Dans l'ombre des tunnels, entre sur terre et sous terre, en passant d'un monde à l'autre...

Et le plus beau : pendant une heure trente nous faisons la connaissance d'un peintre sans jamais voir un de ses tableaux. Si la curiosité vous prend, cherchez des images sur le réseau. Et si vous le pouvez, allez découvrir la pièce !

Photos Guillaume Perret