26 avril 2006

Gibson : pattern recognition

J'ai fini hier le dernier Gibson.
Ado, j'avais détesté puis adoré Neuromancien (et ses suites). Ces
livres ouvraient pour moi des portes fulgurantes vers un univers
étrange, pas vraiment compris, avec des des noms étranges. Notre
univers.
Beaucoup plus tard, j'ai lu les nouvelles de Gravé sur Chrome. Une
claque : une vraie écriture, une sensibilité puissante...
Puis rien d'autres.

Pattern recognition (identification des schémas, en langue d'académie)
est une sorte de thriller, plus ou moins contemporain. Je ne résume
pas l'histoire, que tout internaute saura trouver sur son site favori.
Le livre est écrit avec un style bien tranché, tout en restant facile
à lire : on suit facilement l'histoire, je me suis intéressé aux
personnages, j'ai eu envie de lire la suite, j'ai imaginé plein de
choses, de complots, de situations fractales, infiniment compliquées,
ouvrant sur d'autres situations compliquées.
Le titre m'a vraiment bien plu, surtout en voyant comment l'idée du
titre est développée dans diverses situations du roman (le film, la
maman de l'héroïne et ses PEV, la thématique des marques...)

Un peu de spoilers, maintenant. Si vous avez l'intention de lire le
bouquin, stop here! Now!
-----------

En avançant dans le livre, j'étais admiratif sur la manière dont
l'auteur parlait de notre relation à l'information et au sens des
choses. Toutes les idées de marketing présentes dans le livre, le jeu
sur les logos, les marques... Les sons qu'on assemble dans le souffle
des bandes magnétiques, les morceaux de film mis ensemble qui prennent
tel ou tel sens... La manière dont l'esprit construit du sens là où il
n'y en a pas... c'était génial.
Et on sentait bien la complexité du monde, les liens qui relient un
étudiant japonais, un russe de Chypre, une société américaine dans
l'Ohio, un hacker vivant dans une bagnole perché au-dessus d'une
falaise, et les Curtas, et...

et il y a la fin du bouquin. La quête se termine, tout s'explique,
tout est cohérent, happy end, tout ça.
Bon.

Pourquoi suis-je déçu?
L'auteur avait un sujet énorme. Il ouvre des portes sur des idées que
je trouve très belles. Et son intrigue n'en fait rien. Il nous décrit
avec talent un monde complexe. Et tout s'explique, tout devient
simple. Le coup du "milliardaire russe" est vraiment limite. La Russie
comme terre des possibles et terre d'imagination pour un auteur,
pourquoi pas? Mais là, ça ne marche pas.
Et s'il y avait eu une ouverture SF, au livre? Une conscience dans le
film? Une conspiration de filmeux dans la conspiration? Un élan vers
les étoiles, vers l'amour, vers une nouvelle forme de communication
entre les hommes, que sais-je?
Malgré des moments très excitants, le livre manque totalement
d'émerveillement, de ces situations étranges (stations spatiales,
hôtels cercueils, plongées dans le cyberspace) qui faisaient pour moi
le charme des livres précédents de l'auteur. Il se passe dans notre
monde, avec tout ce qu'il a de déprimant. Avec des grands enfants
égoïstes comme personnages. On s'attend à ce qu'il s'ouvre vers
ailleurs, vers l'humain, vers la vie... Mais non.
Bon, tant pis.
Au moins, ça aura été agréable à lire. Allez, passons à autre chose.

PS : j'hésiterai un peu avant de relire Gibson. Gardons nos bons souvenirs.

04 avril 2006

Le frère P. Lenhardt au SIDIC

Rappelle-toi, samedi. Nous étions dans le quartier latin, entre averses et rayon de soleil....
Malgré la fatigue de la semaine, nous suivions un cours au SIDIC : le patrimoine commun du Christianisme et du Judaïsme dans la lignée de Vatican II.
Vendredi soir, je ne croyais pas que nous pourrions rester assis des heures dans une petite salle pour entendre parler d'un sujet aussi technique. J'imaginais qu'on croulerait sous les documents conciliaires aux titres en latin et les incompréhensibles recommandations de l'Eglise...
Et je me trompais.
Nous avons passé une journée et demie (de vendredi soir à samedi 17h) à écouter parler un maître. Chance de vivre à Paris, chance de pouvoir faire ces rencontres...

Le frère Pierre Lenhardt (de notre dame de Sion) est un vieux monsieur érudit, qui parle d'une voix douce. Son cours naviguait à travers les évangiles, les midrashim, les bénédictions juives,  Rashi, les hassidiques, Hillel et les anciens maîtres pharisiens... Appuyé sur un épais dossier  distribué à tous les élèves, il a tenté un inventaire (bien sûr incomplet) des principaux éléments commun des foi chrétiennes et juives. Il parlait sans dogmatisme, avec une humilité incroyable, faisait naturellement des citations en grec ou en hébreux.
Son discours n'était jamais abstrait, désincarné ; on sentait tout le temps un grand amour des hommes, croyants ou incroyants. Un discours sans oeillères, ni chrétiennes, ni juives, ni historico-scientifiques...
Bref, un bonheur, un grand moment, une belle rencontre.

Dire ici ce que nous avons appris et compris serait absurde. Voici juste quelques bribes.
  • ... nous avons lu nos premiers commentaires de Rashi, le plus grand commentateur juif du moyen âge.
  • ... nous avons bien compris que ni le judaïsme ni le christianisme ne sont des religions "du livre", mais des religions de la parole. Tout n'est pas justifié par le texte, mais parfois juste par la confiance.
  • ... nous avons vus comment on pouvait publier un enseignement... sans jamais l'écrire.
  • ... nous avons découvert le paradoxe de la Révélation (le Dieu inconnu se fait connaître, mais reste le inconnu...)
  • ... nous avons appris que les commentateurs juifs, pour parler de Dieu, disent "le Lieu" (sous entendu : "inconnu")
  • Et mille autres choses, petites ou grandes, infimes à côté de ce que nous n'avons pas compris.

20 mars 2006

Filumena Marturano

Rappelle-toi, on est allés au théâtre, pour voir cette pièce italienne.
C'était à l'Athénée, le petit théâtre art nouveau tout mignon, derrière l'opéra.
J'avais un peu peur, suite à La Locandiera, avec Cristina Reali :
peut-on bien jouer en français du théâtre italien?
Mais là, la metteuse en scène était italienne. Et ça changeait tout.





D'abord, la pièce est géniale. Un sujet de mélo, ou de drame social.
Et un traitement très humain, donc une comédie. Une mère qui se bat pour ses enfants, des hommes lâches et bêtes, des gens qui crient, la société qui oppresse. Et c'est noir, et c'est drôle...
Les acteurs sont exceptionnels, particulièrement les deux personnages principaux, Filumena (Christine Gagnieux) et Don Domenico (Alain Liebolt). Les personnages secondaires sont parfaitement campés, avec
chacun sa scène savoureuse, Alfredo, la petite Lucia, Rosaria... La mise en scène évoque une grande maison du sud de l'Italie avec ses couloirs frais, et le vin et le café...


La traduction et l'adaptation et le jeu des comédiens arrivent à nous faire croire, en français, qu'on se trouve à Naples, en Italie. Ca nous a fait penser aux histoires du grand-père de Carlo...
C'était vif, enlevé, brillant. On a dit qu'on conseillerait à tout le monde d'y aller, d'autant qu'ils jouent jusqu'au 1er avril.



Photos (c) théâtre de l'Athénée


http://www.athenee-theatre.com/

15 mars 2006

Ingres au Louvre

Pour mémoire, Cecci, puisque tu oublies tout, je te rappelle que nous
sommes allés voir Ingres au Louvre.

Sur le coup, Ingres me paraissait être un peintre très bourgeois du
19ème siècle, le type à travailler pour Louis-Philippe, roi à
pantalon, gros ventre et gilet. Et les images que je connaissais de
lui (les baigneuses, le bain turc) me paraissaient molles et sans
caractère.
Avec toi, avec lui, j'ai changé d'avis.
Ingres était un élève de David (voir billet précédent), féru
d'histoire antique, de Rome, de peinture italienne. L'expo le présente
comme un travailleur très professionnel, à la technique
impressionnante, encore plus que celle de son maître. Sont exposés
dans un coin ses imitations, dessins à la façon de Raphaël (son
peintre préféré), Leonardo, Giorgione...
Ses tableaux de jeunesse (le monumental portrait de Bonaparte)
montrent une maîtrise de la mise en scène, des rendus des matières,
des tissus... Un goût pour les textures et les ors qui le rapproche
presque de Gustave Moreau. Tu as dit que l'empereur (que tu détestes)
te paraîssait devenir un dieu de l'Olympe. On en oublie le tyran
corse.

Ingres a peint dans de nombreux styles : des portaits, souvent
excellents, faisant rejaillir ce qu'il y a de meilleur dans ses
modèles (le portait du fils de Louis-Philippe, récemment acquis par le
Louvre, est une splendeur).
Des grandes compositions antiquisantes (fournies pour la visite de
l'empereur à Rome), des images mythologiques (son Oedipe et son
Jupiter me font à nouveau penser à Moreau), des peintures sensuelles
(baigneuses, odalisques, Roget Angélique), d'un érotisme simple
d'homme aux goûts simples. Des petites scènes "troubadour" reprenant
des images de l'histoire de France...
Par contre, ni toi, ni moi n'avons été convaincus par sa peinture
religieuses, nettement moins inspriée que le reste. Dieu que tous ces
martyrs sont ennuyeux...

Chez Ingres, derrière l'image lisse on trouve les bizarreries qui font
sont charme, le bleu un peu trop éclatant, les corps déformés, l'angle
de vue original... et la très grande humanité de la relation.

Aucun "grand tableau", aucun chef d'oeuvre immortel qui nous a fait
pleurer, mais une exposition très bien faite, plein de belles images,
plein de talent !


L'empereur


Portrait du duc d'Orléans

La princesse de Broglie


Roger & Angélique

L'odalisque et l'esclave


Le bain turc

Scène troubadour

La vierge à l'hostie

Oedipe et le sphinx


Le songe d'Ossian

PS : et toi et moi avons été très touchés par les portraits de madame
Ingres, que son mari paraissait aimer beaucoup. Toutes ses femmes
imaginaires, d'ailleurs, lui ressemblent un peu...

20 février 2006

Le Cid à la comédie Française


Mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman.
Nous y sommes allés mercredi 15.

Je vois jouer cette pièce pour la deuxième fois. Une des meilleures du théâtre classique français selon moi. L'histoire est géniale, les personnages sont très bons et les répliques plutôt bien écrites. Je rêve une version "heroic fantasy" écrite par Robert Howard, avec le vent âpre de l'Andalousie, les combats sauvages contre les Maures et la beauté de Chimène comme une flamme noire. Ca en jetterait, non ?



La mise en scène est sobre et met bien en avant la pièce, permettant de bien en comprendre les mécanismes et les enjeux. Elle met en avant le côté tragique de la pièce (qui a, rappelons-le, ses instants héroïques... et ses instants comiques)
La distribution est bonne.
Je n'aime pas tellement Alexandre Pavloff, qui joue un "Cid" shooté aux médicaments, vraiment pas sûr de lui ni de sa virilité (où est le héros solaire ?).
Chimène (Audrey Bonnet) est très belle, très ardente. Une silhouette en noir sur fond de flammes, une femme méditerranéenne au regard immémorial. Qui hurle vengeance et qui ne cède jamais. La pièce pourrait presque porter son nom.
Les autres acteurs sont bien, mention particulière pour le roi (le rôle le plus drôle) et la princesse, très belle, très sage, très jalouse.

Ca reste du très beau théâtre.

Photos (c) Comédie Française

Percé jusques au fond du coeur
D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,

O Dieu, l'étrange peine!
En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur le père de Chimène!

Que je sens de rudes combats!
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse:
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse:
L'un m'anime le coeur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme.
Des deux côtés mon mal est infini.
O Dieu, l'étrange peine!
Faut-il laisser un affront impuni?
Faut-il punir le père de Chimène?

Lettres de Tolkien

Deux extraits de lettres de Tolkien à son fils, citées dans Le monde, dans un article consacré à la publication en français d'une partie de sa correspondance.
Bien sûr, ça me touche beaucoup...

« Il y a deux émotions totalement différentes : l'une qui m'émeut au plus haut point et que j'éprouve quelque difficulté à évoquer – la sensation déchirante du passé disparu ; l'autre, une émotion plus "ordinaire", le triomphe, le pathos, la tragédie liée aux personnages. Celle-ci, j'apprends à l'obtenir, au fur et à mesure que j'apprends à connaître mes créatures, mais elle ne se trouve pas aussi près de mon coeur, et elle m'est imposée par le dilemme fondamental de la littérature : une histoire doit être racontée, ou il n'est pas d'histoire, mais les histoires les plus émouvantes sont celles que l'on ne raconte pas. Je pense que "Celebrimbor" t'émeut parce qu'il véhicule immédiatement la sensation qu'existent à l'infini des histoires à raconter : des montagnes au loin que l'on n'escaladera pas, des arbres lointains dont on ne s'approchera jamais » (p. 162-163)

« Une partie de l'attrait du Seigneur des anneaux est due, je pense, aux aperçus d'une vaste histoire qui se trouve à l'arrière-plan : un attrait comme celui que possède une île inviolée que l'on voit de très loin, ou des tours d'une ville lointaine miroitant dans un brouillard éclairé par le soleil. S'y rendre, c'est détruire la magie, à moins que n'apparaissent de nouvelles visions inaccessibles… » (p. 468).

02 janvier 2006

David au musée Jacquemart André

Dans le très bourgeois (et très cher!) musée Jacquemart André se tient une belle expo consacrée à David, le grand peintre français du temps de la révolution et de l'empire. Les oeuvres sont très très bien exposées et les commentaire plutôt intéressants.

Nous en sommes ressortis avec le sentiment que David était un type ambitieux, très ambitieux, un travailleur fou et obstiné (ses esquisses et dessins sont étonnants). Ses portraits datant de l'époque révolutionnaire sont très impressionnants de vibration et d'intensité, et le Marat Assassiné est un chef d'oeuvre, une image d'une puissance incroyable. Ses oeuvres ultérieures paraissent incroyablement sages. D'une grande maîtrise technique, certes, mais faites pas un homme qui assure et ne prend plus de risques.


La visite du musée aura aussi été l'occasion pour nous de revoir le petit musée italien (belle fresque de Tiepolo, oeuvres de Botticelli, Bellini, Mantegna (rien que ça!) avec le superbe combat de Saint Georges contre le dragon, de Paolo Uccello.

Un autre tableau étonnant se trouve au rez de chaussée, tout au fond des petits salons.