22 juillet 2015

Sunset - Tale of tales

Je dois à David Calvo la découverte de ce petit studio indépendant de jeux vidéos. Leurs productions sont toujours expérimentales, d'une façon ou d'une autre, cherchant les limites du médium. En y jouant, vous ne serez pas dans votre zone de confort ou de distraction, il faudra adopter un autre regard, se décaler, mais croyez-moi, ça vaut le coup.


Après un univers onirico-biblique (Fatale, excellent), un trip de SF durassienne (si, si) plutôt bien fumé (Bientôt l'été), Tale of tales nous emmène dans en 1972, en Anchuria, un pays imaginaire d'Amérique centrale. On y joue Angela, la femme de ménage noire d'un homme riche de la capitale. Angela est une étudiante américaine, coincée en Anchuria par la crise politique qui y sévit et lui interdit de quitter le pays. Toutes les semaines, elle vient passer une heure juste avant le coucher du soleil dans l'immense appartement d'Ortega, qu'elle ne croise jamais. C'est cette routine que Sunset vous propose de jouer. Une heure en quasi temps réel dans un appartement vide, à observer les traces de la vie d'un homme. Une fois admis cet étrange point de départ, Sunset déploie tout son charme. Le jeu vidéo est un moyen ici pour enclencher l'imagination. A partir de l'immersion subjective, on se retrouve à observer les détails peuplant l'appartement, à écouter la rumeur montant de la rue, à allumer un feu dans la cheminée du patio, à lire les titres des livres abandonnés par le maître de maison, tout en entendant parfois les pensées intérieures d'Angela. L'histoire alors se situe tout autant dans l'explicite que dans l'implicite, dans ce qu'on en fait, ce qu'on en crée. Vague inquiétude, voyeurisme, et charme étrange de la routine, chaque visite étant à la fois identique et différente. Les ombres s'allongent, lumières sont belles, on se surprend à s'asseoir dans un fauteuil du maître de maison en sirotant un verre et observer en rêvant le soleil se coucher. Une expérience unique.


PS: j'ai vu que les créateurs du studio Tale of tales annonçaient qu'ils allaient cesser de faire des jeux. Quel dommage !

17 juillet 2015

Ronin - John Frankenheimer

Parfois, on se surprend à regarder des films qui à la base ne nous disaient rien. Tenez, celui-ci par exemple. Un vrai film d'action à la papa, sorti en 98 mais qui aurait pu être fait dans les années 70.


On y trouve: des poursuites interminables en voiture, un Mac Guffin tout à fait assumé, des flingues, des scènes qui se passent en France insistant bien sur le pittoresque (mais tournées sur place), sans qu'on aperçoive aucun ordinateur ni aucun téléphone portable (ou à peine). L'histoire aurait lieu dans les années 60/70, ça aurait été pareil, j'ai cru en voyant le film que De Gaulle était encore au pouvoir. La quantité de Citroën qui se font bousiller sans effets spéciaux aucuna dû suffire pour soutenir la production automobile en France pour l'année du tournage.


On y trouve surtout : des Hommes, avec un gros H. Des tatoués, des burnés, à l'ancienne. Pas des petits minets, pas des frimeurs musculeux, mais des costauds, qui ont l'expérience et le cynisme désabusé de ceux qui font ce qu'on leur dit, mais à qui on ne la fait pas.
Au fond, la seule fausse note, c'est d'avoir donné le rôle du héros à Robert de Niro. C'était un personnage pour Lino Ventura.




15 juillet 2015

Zodiac - David Fincher

A la fin des années 60, un tueur en série assassine des jeunes gens isolés. Il envoie des lettres chiffrées, mystérieuses, au San Francisco Chronicle et aux autres journaux. Un journaliste passionné, un flic acharné et un gentil dessinateur de presse suivent l'affaire et tentent, chacun de leur côté, de comprendre qui est Zodiac.


Bref, on dirait un film de serial killer américain. Sauf que. Le temps passe, les meurtres cessent, les témoignages s'estompent, les incohérences surgissent, le flic se lasse, le journaliste est viré (il boit trop)  et le dessinateur se retrouve avec une obsession qui lui bouffe la vie. Ce qu'on croyait certain ne l'est plus tant que ça, les histoires qu'on se construit remplacent les preuves, et Hollywood produit un film évoquant le tueur (ce sera le premier Dirty Harry). Le dossier devient touffu, des centaines de pages, des milliers de noms, des trucs qui se recoupent soudain et d'autres qui ne collent pas. Des suspect évidents sont innocentés par des experts dont on découvre qu'ils sont alcooliques. Une domestique se rappelle six ans trop tard d'un coup de fil du tueur qui... Tout se mélange, les gens se perdent, la fiction se délite. Voilà Zodiac, non pas un film d'enquête mais un film sur les histoires qu'on se fait, sur l'importance qu'on leur accorde, sur la manière dont elles envahissent nos vies. En vérité, c'est fascinant.




01 juillet 2015

Panique dans le métro - école de cirque de Lausanne

J'ai été tout a fait séduit par le spectacle de fin d'année de l'école de cirque de Lausanne. Intitulé panique dans le métro, il a été présenté en deux versions, celle des classes pré-professionnelles et celle des classes loisir, ces dernières représentant surtout les enfants qui font du cirque comme activité après l'école et qui ont l'occasion, ainsi, de montrer le travail accompli.
Le cirque est pour moi une affaire de corps, d'exploits et de lumières. J'aime y voir des mouvements extraordinaires, mis en scène sans tricherie, exécutés avec l'illusion de la facilité. Je suis heureux de voir les artistes y arriver, dépasser leurs limites, marcher sur une boule, jongler, agir parfaitement coordonnés, tenir des postures au trapèze assis, tourbillonner et s'arrêter au ras du sol accrochés par le ruban. Ça sent la sueur et les paillettes, la lumière est crue et colorée, la musique marque les mouvements. Et le spectacle des classes loisirs de l'école de cirque m'a offert tout ça, avec l'humilité des moyens des jeunes artistes. Oui, ils sont parfois tombés et tout n'a pas marché comme on voulait, mais au cirque on a le droit de se planter, ça donne la mesure des exploits qu'on y accomplit. Les numéros étaient très joliment arrangés et mis en scène, rendant beaux les jeunes gens engagés sur la piste.


Et un spectacle réussi contient ses moments de grâce, quand quelques chose d'étrange se produit et nous transporte. Le très jeune contorsionniste aux allures d'extraterrestre ou les jeunes hommes bondissant sur la bascule, si prêt et si fort qu'on avait l'impression que les corps allaient voler vers les spectateurs.
Un grand bravo aux professeurs, aux entraîneurs, aux élèves pour ces moments de dépassement et de rêve !




PS: l'ensemble du travail autour du spectacle était très pro, du maquillage aux garçons de piste.

16 juin 2015

L.A. confidential - James Ellroy

Je continue donc ma plongée dans les années 40/50 brûlées par la drogue, le crime et la corruption de James Ellroy. Dans ce roman, trois flics (comme dans le Grand nulle part) : Bud White, la brute obsédée par la protection des femmes battues, Edmund Exley, le brillant inspecteur qui veut tant plaire à son père, héros de guerre usurpé et fabuleux enquêteur, et Jack Vincennes, le grand V, le flic des stars, le roi de la chasse aux camés, acoquiné avec un journaliste à scandales...
Ces trois là sont jetés au milieu d'affaire (imaginaires) défrayant la chronique : le massacre du Hibou de nuit, un trafic d'héroïne, un autre de photos pornographiques, le tout impliquant des stars, des industriels, des anciens enfants-vedettes, des prostituées au visage modifié pour devenir des sosies de stars... Comme toujours chez Ellroy, nos personnages vont être chauffés à blanc par l'intrigue, se prendre des coups et encore des coups, voir brûler tout ce en quoi ils ont cru, se perdre dans leurs obsessions. Les scènes d'anthologie sont nombreuses, le récit est tortueux, l'intrigue terrible et les personnages particulièrement réussis, depuis les personnages réels, comme Mickey Cohen et Johnny Stompanato, en passant par Raymond Dieterling (clone Ellroyien de Walt Disney), jusqu'aux personnages de fictions, dominés par la figure terrible de Dudley Smith, puissance mauvaise qui traverse le Grand nulle part comme ce dernier roman.
Ce roman a toutefois selon moi quelques limites, liées à sa volonté de dépasser la chronique policière pour devenir un véritable roman policier : l'intrigue est d'une complexité énorme et m'a souvent perdu, d'autant que Ellroy se sent obligé de la résoudre. Ensuite, elle met en scène un tueur fou, comme dans le précédent roman du L.A. Quartet, et tout cet aspect de l'histoire (une bonne dose de folie et de gore) me paraît excessif. Le roman reste une lecture puissante et intense, mais j'en ai trouvé la construction un peu moins tenue que celle du Grand nulle part.
Un élément que je continue à trouver passionnant dans les romans d'Ellroy est que ses héros, tous foireux à un niveau où à un autre, restent des hommes tentant de faire le bien. Ils sont motivés par la fidélité (White), la justice (Exley et White), l'amour (Vincennes), et ils se retrouvent confronté à des destructions terrifiantes, qu'ils ont parfois
causées eux-mêmes.

Un mot sur l'adaptation en film par Curtis Hanson, que j'ai revue il y a peu. Le travail de transformation du scénario effectué pour le film a été absolument remarquable. Tout en gardant nombre de scènes fortes et de dialogues affûtés, les scénaristes ont remarquablement réécrit et simplifié l'intrigue, replaçant tous les bons éléments du roman dans leur scénario. Alors, certes, les héros sont un peu lissés et Dudley Smith n'est plus Dudley Smith, mais le film reste une remarquable adaptation, très fidèle dans l'esprit.

En tous cas, c'est certain, je lirai White jazz.

20 mai 2015

La théorie de la tartine


J'ai lu ce roman par curiosité, convaincu par ce long billet de Catherine Dufour. Pour un résumé extensif de l'intrigue, ses situations et ses personnages vous pouvez vous y reporter. Tout ce que dit le billet référencé est juste, la pavane pour une idée d'Internet défunte, les formules qui font mouche, le sens de l'air du temps, la façon de capter des personnages à la fois branques et vrais. C'est la forme parisienne-XXIème siècle du roman réaliste, ça tape là où il faut, comme la déclinaison littéraire d'un blog (plus que d'une chronique de magazine, so old school...), l'intrigue rigolote a du rythme et enchaîne les catastrophes. Ca ferait un bon film un peu déjanté, façon film français où des trentenaires commentent leur vie avec un cynisme amusé et parlent de sexe non pas dans la cuisine mais sur un channel irc.

Au fond, tout cela est très parisien, et ne m'intéresse pas beaucoup.

18 mai 2015

Taxi Téhéran - Jafar Panahi

Pauvre film. Qui a fait parler de lui parce que son réalisateur, interdit de tourner en Iran, son pays de résidence, essaie de contourner la censure qu'on lui impose en montant des plans tordus. Ici, devenir taxi et filmer ses passagers, et à travers eux parler d'eux, de lui, de sa situation, de son pays... Un dispositif de pauvre pour un pauvre film. A vrai dire, j'étais curieux de savoir si l'intérêt que suscitait le film était lié à ses qualités propres ou à la situation très pénible (ce n'est rien de le dire...) de son auteur / réalisateur / chauffeur / interprète.


Au delà des limites imposées par par la situation du cinéaste, Taxi Téhéran est un bel exercice d'oeuvre sous contrainte. Unité de lieu (tout est filmé depuis l'intérieur du taxi), unité de temps (une journée), unité de sujet. Le film est très écrit, très habilement monté, tout en finesse. S'il s'agit bien d'une petite chose que ce film, c'est une petite chose très pensée et très calculée et j'ai été très ému de me rendre compte que ce film croise la route de tout un tas de films, dont on aperçoit des moments, que Panahi aurait sans doute voulu faire à la place de celui-ci. Comme si on voyait le moment où, dans ces autres histoires, les personnages sautent dans le taxi du réalisateur, et laissent voir au spectateur étonné l'histoire qu'il pourrait raconter.
Ce Taxi Téhéran est un film pauvre, mais un vrai film de cinéma.