23 juin 2020

Le chagrin et la pitié – Marcel Ophüls

Alors que je me documentais sur les années quarante et l'occupation (pour une campagne de jeu de rôle dont je parlerai peut-être ici), j'étais complètement passé à côté de ce film, dont je connaissais l'existence mais pas le sujet (en fait, je dois avouer que je connaissais le titre à cause de Woody Allen faisant la queue dans cinéma pour aller le voir avec Annie Hall https://youtu.be/XyOt0jQMO5Q?t=137).



Le documentaire de Marcel Ophüls, tourné à la fin des années 60, parle de l'occupation à travers une collection de témoignages et de bandes d'actualité. Même s'il n'a plus la même force révélatrice qu'à l'époque (la période de Vichy est mieux connue maintenant), le film reste passionnant parce qu'il dévoile des visages, des paroles, des personnes, filmées de manière très proche. Certains ont été des résistants, d'autres des hommes politiques, d'autres enfin ont collaboré d'une façon ou d'une autre. Et le film, s'il montre clairement que beaucoup n'ont pas été héroïques, n'est pas un réquisitoire type "tous pourris". Il montre que chacun avait ses raisons, que les gens ont fait face, plus ou moins bien, aux circonstances, avec leurs idées, ce qu'ils avaient, ce qu'ils étaient.



Je note la quasi absence des femmes, sauf dans la toute dernière partie avec le témoignage de la coiffeuse. Là, le film souffre d'un vrai manque.

Le film est centré autour de la ville de Clermont Ferrand ; la plupart des témoins y sont reliés d'une façon ou d'une autre. Le montage est remarquable (les témoignages se mettent en lumière les uns les autres). Les gens sont regardés, écoutés sans accusation, et laissent passer quelque chose de l'époque, même si plus de vingt ans ont passé.



Parmi les témoins, pour faire envie à mes lecteurs.

Un capitaine de l'armée allemande, stationné à Clermont pendant la guerre.
Sir Anthony Eden, Earl of Avon, ministère des affaires étrangères de Churchill
Pierre Mendès-France, embarqué sur le Massilia et jugé à Clermont (et évadé !)
Un groupe de paysans résistants
Un colonel de résistants gaulliste devenu vendeur de télévisions
Un pharmacien bourgeois de Clermont
L'interprète français de Hitler (!)
Le gendre de Pierre Laval, qui prend la défense de son parent
L'avocat de Mendès et de certaines victimes de l'épuration
Un vendeur de chaussures clermontois
Un général anglais qui n'aimait pas tant que ça les Français
Un ancien Waffen SS de la division Charlemagne (son témoignage, très honnête et fin, m'a beaucoup touché et aide beaucoup à comprendre l'époque)
Un allemand fait prisonnier à Clermont
Une femme victime de l'épuration...

et beaucoup plus (le film dure 4h30, vous le sentirez pas passer)



J'ai trouvé la fin particulièrement atroce. Durant la dernière heure sont évoquées la situation des juifs et, sans creuser assez, les spécificités bien dégueulasses de l'antisémitisme à la française, et surtout l'épuration et les tortures de la fin de la guerre, en particulier sur les femmes.

Pour reboucler avec l'extrait vidéo plus haut, je conclurai avec l'introduction de l'article du NY Times paru à la sortie du film, qui en parle très bien et dit bien ce qu'est ce film.


TOWARD the middle of the second half of “The Sorrow and The Pity” (Le Chagrin et La Pitié), Marcel Ophuls' 4½‐hour documentary now at the Beekman Theater, the director interviews Madame Solange, a beautician in Clermont‐Ferrand, a woman who may or may not be younger than she looks, which is the drab but neat 60 of someone who pays no attention whatsoever to chic. During the Nazi occupation, she had minded her own business and had been a Pétainist, but not because she was Catholic or especially political. She was simply fond of the old marshal, the hero of Verdun who, at France's fall in 1940, had made his country the gift of his person as the Nazi puppet premier.

Shortly after the liberation, Mme. Solange was arrested and tortured, charged with having attempted to betray a Resistance officer by means of an anonymous letter, which had been intercepted before it reached the Nazi authorities. As Mme. Solange talks, the camera studies her in close‐up, but neither her eyes nor her hands, which fold, unfold, then fold again a handkerchief, tell us what we want to know. There are moments when she sounds like Lee Harvey Oswald's mother talking to Jean Staf ford, hinting of evidence ignored and of conspiracies too complicated ever to ex plain coherently. At other moments, she is the accident al victim of history. It was, Mme. Solange recalls without emotion, a time of letters of denunciation, as if letters of denunciation were a fad or a style, like Empress Eugénie hats, that would (and did) pass away.

Mme. Solange was tried, convicted and sentenced to 15 years at hard labor.

At this point, 31 years after France's collapse, it is impossible to believe in either Mme. Solange's innocence or guilt—and this is, for me, the most agonizing effect of Mr. Ophuls' extraordinary film, which is less concerned with provable guilt or innocence than with the awesome possibilities of human behavior, with the mysterious processes that can as easily produce a hero as a traitor, or some one who would prefer not to become involved at all.









11 juin 2020

Autant en emporte le vent -- George Cukor et Victor Fleming

Tiens, puisqu'on en parle en ce moment. On a regardé ce classique pendant le confinement. Donc, Tara, la terre ne ment pas, Rhett Butler vous êtes une vile crapule, Tara, je retournerai à Tara (Atlanta brûle, des femmes en crinoline donnent des gifles).




Je gardais un bon souvenir de cet très très long film et si l'aspect épique du début m'a de nouveau plu, le spectacle de ces bourgeois nouveaux riches vivant dans un luxe obscène de la fin m'a donné la nausée. Oui, la présentation des noirs est raciste et oui, Scarlett est totalement insupportable (d'ailleurs, ni Cecci ni les enfants ne l'ont supportée).

Il y a une forme d'exploit dans ce film, que j'ai apprécié à sa juste mesure, c'est de garder à l'écran pendant trois heures un personnage féminin ambitieux, capricieux, obstiné dans son erreur jusqu'à le payer au prix le plus fort. Ce simple choix scénaristique, de tenir tout ce temps une histoire d'amour en erreur, est suffisamment audacieux pour garder de l'intérêt à ce grand spectacle.




09 juin 2020

Watership Down – Richard Adams

En des temps très anciens, Krik créa les étoiles. Il créa aussi le monde, car le monde est l’une d’entre elles. Il les créa en répandant ses crottes à travers le ciel, et c’est pour cela que les arbres et les plantes poussent si bien aujourd’hui sur la Terre.

Un des plus grands crimes dont je me sens responsable en ayant négligé ce blog pendant de nombreux mois est d'avoir oublié de parler de ce roman.
Quelques faits littéraires sont établis : les plus grands romans de fantasy au monde sont anglais. Pensez fantasy, pensez jeunesse, vous tomberez sur des auteurs anglais. Et certains chefs d'oeuvre ne sont pas connus comme ils le méritent de notre côté de la Manche.

Prenez celui-ci.
Fyveer le voyant fait des rêves terrifiants. Son peuple est sous la menace d'un immense danger, la mort, le sang, des envahisseurs terrifiants. Mais les autorités refusent de l'écouter, à l'exception de son frère, Hazel. Celui-ci, se rebellant contre le chef de la communauté, rassemble un petit groupe d'aventuriers pas très malins qui, suivant les visions de Fyveer, se lance dans la quête d'un pays plus heureux, loin vers le sud. Le peuple de nos voyageurs a ses légendes autour de la création du monde, de leur héros mythique, dont la sagesse les guide dans leurs aventures dangereuses. Ils affronteront des monstres, visiteront des cités étranges, feront face à la faim et au mauvais temps, perdront des compagnons et gagneront en sagesse.

Watership Down est un roman de voyage, de survie, plein de confrontations, de batailles, d'héroïsme et d'attention à la nature. Le suspense est permanent, les personnages merveilleux, le récit d'une grande invention et profondeur morale, bref, c'est merveilleux. En plus l'édition française est très belle. Ne vous en privez pas !

(Ha oui, j'avais oublié, les héros du roman sont des lapins. Vous ne regarderez plus jamais les lapins de la même manière.)

La Terre tout entière sera ton ennemie, Prince-aux-mille-ennemis, chaque fois qu'ils t'attraperont, ils te tueront. Mais d'abord, ils devront t'attraper... Toi qui creuses, toi qui écoutes, toi qui cours, prince prompt à donner l'alerte. Sois ruse et malice, et ton peuple ne sera jamais exterminé.

08 juin 2020

Le grand bleu – Luc Besson











Encore un film français connu que je n'avais jamais vu. Deux heures trente de rivalité amicale de deux plongeurs en apnée, Jacques et Enzo. Je vais commencer par dire tout ce qui m'a gavé : le rôle de potiche des femmes, les scènes de sexe filmées dans le goût des années 80, les clichés très limite sur les Américains, les Italiens ou les Japonais, des trucs qui font partie malheureusement de la signature Besson et qui n'iront pas en s'arrangeant avec l'âge.

Parce que malgré ça, j'ai quand même aimé le film, et en particulier sa première partie. Il créée un univers étrange, presque onirique, autour de ce monde de la plongée. Jean-Marc Barr pose un bonhomme vraiment étrange, presque extra-terrestre (un peu comme le personnage de Christophe Lambert dans Subway, si mes souvenirs sont justes). Le personnage d'Enzo aurait tout pour être un méchant connard et il est bien plus fin que ça, la rivalité amicale des deux est à la fois effrayante et douce. Besson se sert de ce monde (villes de méditerranée, delphinariums, spots de plongée...) pour créer un univers plastique original et fort et de belles images de cinéma. En fait, c'est un vrai film : des images, de la musique, une histoire.

Les enfants ont aimé.


05 juin 2020

Au clair de la lune -- Christophe Donner

Drôle de bouquin, offert par le voisin Harri. On y raconte des inventeurs du début du XIXème siècle, Nicéphore Nièpce et Edouard Scott de Martinville, créateurs respectivement de la technique d'enregistrement de la lumière sur un support physique, et de l'enregistrement du son sur un support physique, et tous les deux oubliés de l'histoire parce que plus habile ou plus malins qu'eux ont sur développer leur invention.
Le livre fait revivre avec élégance ce monde d'inventeurs, de savants, de bourgeois, de socialistes de la France et de l'Europe des années 1800 à 1850. C'est bourré d'idées, d'érudition, c'est très souvent marrant et jamais ennuyeux. On se fait promener d'atelier en maison d'imprimeurs, de dépôt de brevets en conférences à l'Académie des Sciences, jusqu'à lire les contrats proposés par les arnaqueurs.
Pas de morale, pas de bons sentiments ni de goût excessif du pathétique, mais plutôt un intérêt pour la manière dont viennent les idées, comment on les garde, comment on les perd, comment elles changent la vie des hommes, et un vrai amour des personnages.
Pour terminer par une comparaison flatteuse, ça m'a fait penser par sa manière de manier l'érudition aux nouvelles savantes de Léo Henry.

04 juin 2020

Le cinquième élément -- Luc Besson

C'était un devoir de classe des enfants (ne me demandez pas plus de détails) : regarder le cinquième élément, en étudier le rythme, la présentation des personnages...
On a passé un bon moment en famille, on a souvent rigolé, et après qu'en reste-t-il ?



J'ai aimé les créations plastiques du film, les Mondo-Shawan, les décors, les armes, les trucs et les machins qui font du bruit et de la lumière. Par moments, le film a l'insolence foutraque et violente des histoires de l'Incal et laisse sentir un univers foufou sans morale.

Mais, même sentiment qu'à la sortie : les montagnes russes sont distrayantes, mais l'histoire ne prend pas, on n'a pas le temps de croire à l'univers, aux personnages, pas envie de s'y attacher. C'est trop frénétique boum boum. Passée la scène d'intro, vraiment bien posée, tout se met à aller de plus en plus vite et ça saoule.
Je trouve que Bruce Willis jouant un soldat buriné n'est pas le bon héros de ce récit, que Leeloo est complètement sous-exploitée, unique personnage féminin d'un récit pas franchement progressiste. A la fin, il ne nous reste rien pour rêver.




02 juin 2020

La grande vadrouille -- Gérard Oury

Difficile à croire, mais celui-ci je ne l'avais jamais vu.
Nous l'avons regardé dans le cadre de la série années 40, et aussi pour faire découvrir Louis de Funès et Bourvil aux enfants.
Je vais supposer que l'ensemble de mes lecteurs connaissent le sujet de cette grosse farce pour ajouter quelques considérations personnelles.



Je m'attendais à une grosse farce lourde, et oui, c'est une grosse farce mais c'est aussi un film très honnête, qui tient son récit, avec des personnages bien écrits et attachants. 
La production est riche, avec de beaux décors façon tour de France des sites insolites, avec des scènes d'action souvent rigolotes.
Et quand on me montre une scène de poursuite avec des nazis en moto et des rebondissements marrants, j'en viens à me demander si la Grande vadrouille n'a pas influencé certains passages d'Indiana Jones... (oui, Oury n'est pas Spielberg pour la maîtrise du rythme et de la bagarre, mais j'ai eu parfois le sentiment que...).
Le film a plein de scènes réussies et de rebondissements rigolos, jusqu'à la poursuite finale que j'ai trouvée très belle.


Bref, ça m'a bien plu.
Les enfants ont trouvé ça "rigolo". Une de leurs copines en visite a paru ne pas vraiment comprendre ce qu'on trouvait à ce genre d'histoire.