Voici une expression bien chargée : « l'histoire de France ». Qu'on m'autorise une petite digression personnelle : j'ai grandi avec « l'histoire de France ». Gamin, j'ai adoré lire l'histoire de France en bande dessinée - ah, l'épopée des croisades, Jeanne d'Arc, Clovis sur son bouclier… (sait-on que Milo Manara a collaboré à cette série ?), j'ai aimé les rois maudits, les fortune de France, et tout un tas de romans historiques que j'ai oubliés. Il y a en moi un petit patriote qui aime son pays, ses défaites, ses crimes, ses légendes. Puis j'ai appris, par la lecture des historiens, par celle, directe, des témoignages du passé, combien ce récit est justement un récit, un point de vue, une épopée qui vise à construire une identité, qu'on peut accepter, ou réfuter, ou raconter autrement. La recherche historique moderne passe son temps à écrire, tout autant que l'histoire des faits et des hommes, l'histoire du récit qu'on en fait. Fin de la digression, passons à notre livre.
On a retrouvé l'histoire de France, de Jean-Paul Demoule est un plaidoyer pour l'archéologie, notamment pour l'archéologie préventive, telle que celle menée par l'INRAP, en France, depuis une vingtaine d'années, INRAP dont l'auteur a été le directeur.
Le livre part d'une interrogation intéressante : comment se fait-il que notre plus grand musée d'archéologie, le Louvre, ne contienne aucune pièce archéologique trouvée sur le territoire français ? Quelle relation la France a-t-elle à sa propre archéologie ?
Dans une première partie, l'auteur propose sainement, à partir des trouvailles étonnantes de l'archéologie récente, de revisiter l'histoire de France telle qu'elle a été longtemps (et est peut-être encore) racontée. Qui étaient les « hommes préhistoriques » qui ont habité la France en premier ? Quelle particularité de peuplement pour ce bout de territoire en bout de péninsule ? Qui étaient les hommes des âges « du bronze » et « du fer »? Qui étaient les Gaulois ? Y avait-il tant de différences culturelles entre les Romains et les Gaulois ? (on pourra se rapporter à cette lecture) Peut-on dire de nouvelles choses du moyen-âge ? Et que nous apporte l'archéologie du XXème siècle ? Celle de nos productions industrielles, de nos champs de bataille ? Les archéologues, habiles à inventorier et dater de grandes quantités de résidus et d'objets peuvent-ils nous aider à comprendre nos propres productions ? (le récit de travaux archéologiques effectués sur des poubelles contemporaines par des archéologues américains est tout à fait intéressant). Je vous laisse deviner que les réponses de l'auteur sont loin de ce qu'on croit convenu et acquis…
La seconde partie s'intéresse à la nature et au rôle de l'archéologie. Après avoir expliqué que les constructions du second XXème siècle ont bousillé des milliers de sites archéologiques (en premier lieu parce qu'on ne savait pas les reconnaître - les constructions en pierre ayant été rare, il faut avoir l'oeil pour retrouver les traces de maisons de bois, par exemple) l'auteur montre combien le discours des politiciens et des décideurs méprise ces traces du passé et considère sans sympathie le « temps perdu » par les archéologues à fouiller la terre au lieu de laisser les pelleteuses installer l'autoroute ou la voie du TGV… J'avoue avoir été surpris par le ton de mépris et de mauvaise foi de certains discours de députés retranscris dans ce livre. Autant d'ignorance crasse… et ce, pour quoi ? Ce plaidoyer pro-domo est aussi un cri du coeur et l'appel à la défense d'un métier indispensable à la compréhension de qui et ce que nous sommes.
L'auteur propose alors une autre histoire, telle que proposée par la connaissance de nos traces et de nos objets. Histoire de ce que nous tenons pour évident : nos vêtements (pourquoi sont-ils ajustés et couvrants et non pas légers ou bien amples ?), nos maisons (de quand date la maison individuelle ?), notre paysage, nos repas, nos objets - jusqu'aux voitures et aux ordinateurs. Histoire aussi des relations de pouvoir, des inégalités sociales (qui n'ont pas toujours existé, se sont accrues et réduites de nombreuses fois dans l'histoire), du pouvoir masculin sur les femmes (qui, lui, semble avoir toujours existé), de notre relation à l'au-delà.
J'arrête là ce déjà long billet. Ce livre est passionnant et pas sans défauts, il est un cri sincère, qui offre son flanc à la discussion à la critique. C'est un plaidoyer pour l'archéologie et les archéologues, qui donne envie de devenir archéologue (même si ça paraît être un métier difficile à exercer), qui explique combien cette activité est moderne et loin d'Indiana Jones. Comme souvent les discours de scientifiques, et voulant mettre en avant ses résultats, il oublie de montrer tout ce qu'on ne sait pas, tout ce qu'on ne comprend pas, tout ce qui n'est qu'hypothèse (en ce sens, le travail effectué par Stephen Baxter dans évolution donnait un bon aperçu de tout ce qu'on ignorait sur notre passé) - « tout ce qu'on ne voit pas et qui est immense ». Sa thèse sur le refoulé de l'histoire nationale est assez discutable, son discours est parfois un peu répétitif, ses interprétations sur la religion un peu lapidaires, loin de la finesse du discours d'un Paul Veyne. Mais ce livre est un cri du coeur, l'expression d'une passion et un regard clair et épuré sur notre histoire. En ces temps (le fait n'a rien de nouveau) de récupération et de simplification des récits historiques, il est d'une lecture très recommandable et recommandée.
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