23 décembre 2011

Barberousse – Akira Kurosawa

Le pendu et Cecci ont vu Barberousse, d'Akira Kurosawa



Malgré le titre et la présence de Toshiro Mifune, ce film n'est pas un film de samouraï (j'avais cru, en regardant vite-fait l'affiche). Il y est question de Fusamoto, un jeune médecin ambitieux, à Tokyo au début du 19ème siècle, qui se retrouve affecté dans un hospice pour très pauvres sous les ordres de l'irascible Barberousse. Film très long, aux nombreux personnages, Barberousse est aussi une oeuvre exceptionnelle. Par la construction tramée de son récit, qui mêle à un thème principal (un égoïste élargit sa vision du monde) de nombreuses histoires secondaires, comme dans un roman à tiroirs, histoires de pauvres gens, de suicides tragiques, d'amour et d'apprivoisement.
On ne s'attendra pas à des twists compliqués, la force du film réside dans la simplicité des récits, portés par une mise en scène à la fois claire et puissante, passant du réalisme à une forme d'onirisme poétique (les jeux d'ombres, notamment). La beauté plastique et formelle du film est sidérante, les lumières, les cadres sont splendides. J'ai été très ému par la manière de Kurosawa de filmer Otoyo, l'enfant maltraitée, en caressant son visage d'ombres et de lumières.


Le grand thème du film est la guérison, qui, pour le héros, est tout autant physique, que morale et spirituelle, et cela malgré le malheur et la pauvreté, malgré le flot du mal et de la souffrance.


Toshiro Mifume donne au personnage de Barberousse une énergie ombrageuse, qui porte l'ensemble de l'histoire. Barberousse fait partie de ces films qui sont beaux tout le temps. On le recommande chaudement !

05 décembre 2011

Le suicidé - à Vidy

L'idée du suicide embellissait ma vie...

Après une bonne pièce de Thomas Bernhard, le naufragé, qui traitait du même sujet, Cecci et moi avons continué notre saison "la vie est belle" à Vidy, en allant voir le suicidé, de Nikolaï Erdman.


Le pitch de la pièce est génial : Semione se réveille en pleine nuit, il est au chômage, il se dispute avec sa femme et lance que, quitte à mener une vie comme ça, autant mourir. Puis il sort. A partir de ce moment, elle est persuadée qu'il veut se tuer et va rameuter tout le monde pour l'en empêcher. L'idée, qui n'était pas présente dans la tête de Semia, fait son chemin, d'autant que le futur suicidé devient très courtisé pour toutes sortes de bonnes et mauvaises raisons... L'histoire se déroule dans la Russie post-révolutionnaire des années 20, pleine de paumés, de chômeurs, d'intellectuels réprimés. Derrière une comédie énorme, des gags en rafale, l'escalade de l'absurde, on voit s'agiter tout un peuple effrayé, replié sur lui-même. Et partout, tout le temps, au-dessus de tous ces gens plane l'ombre de la mort.


Malgré la célébrité d'Erdman, malgré les plus hautes recommandations, la pièce datant de 1928 n'a jamais pu être montée avant 1990 en Russie. Tout dictateur bien éduqué aurait immédiatement envoyé en exil en Sibérie un satiriste pareil. Staline ne s'en est pas privé.

La mise en scène de Patrick Pineau est énergique et dynamique gardant bien présents les différents tons de la pièce de la grosse rigolade à la peur grinçante. C'est un théâtre du corps et des postures, à la façon de la Comédie Française, comme j'adore. Les différents acteurs se donnent à fond, notamment Patrick Pineau lui-même dans le rôle de Semione Semionovich Podsékalnikov, mais aussi Anne Alvaro dans le rôle de la belle-mère, Sylvie Orcier dans celui de Maria et l'extraordinaire coursier Iégorouchka, interprété par Manuel Le Lièvre.

Sous le socialisme,
il n'y aura plus de femmes (oooh),
plus d'hommes (oooh),
seulement...
des masses.
 


Photos : (c) Théâtre de Vidy / Philippe Delacroix

01 décembre 2011

Vanitas - Tale of Tales

Une étrange production du studio Tale of Tales. Une application pour votre téléphone ? Un jeu ? Une nature morte a la façon des Hollandais du 17eme siècle ? Une production en tous cas aussi bizarre que le Salomé dont j'avais déjà parlé.

 


30 novembre 2011

Source code - Duncan Jones

Le pendu et Cecci ont vu Source code, de Duncan Jones








Dans ce film, on trouve : un type qui se réveille amnésique dans un train. Une militaire qui lui parle par écran interposé. Une capsule/prison glacée. Une délicieuse incertitude SF dans les premières minutes. Des grosses idées marrantes avec un petit nombre de lieux (un train, une base militaire, un parking). Quelques twists plus ou moins cohérents à la fin.
On trouve aussi, malheureusement, des personnages écrits à la truelle à clichés, du sens du devoir, des adieux à son papa, des dialogues vraiment faibles. Bref, c'est marrant mais ça ne casse pas trois pattes à un canard.

09 novembre 2011

Le fleuve des dieux - Ian Mc Donald

L'inde, 2047, une partition plus loin. Varanaci, la cité des dieux, au bord du Gange, capitale du Bharat. Voilà trois ans que la mousson n'est pas venue.
M. Nanda est un agent du ministère, chargé de l'excommunication des IA rebelles, celles qui voudraient approcher le niveau 3, l'intelligence divine.
Parvati est sa femme, campagnarde bien élevée installée dans un beau lotissement du gouvernement.
Shiv est un petit bandit des bas-fonds.
Tal est un neutre, ni homme, ni femme, ni les deux, ni aucun des deux, qui travaille pour Town and Country, le Soap opéra dont les acteurs eux-mêmes sont des intelligences artificielles (inconscientes de leurs état, bien sûr).
Vishram Ray est l'héritier d'un empire économique, mais aussi un humoriste de second rang...
Voilà quelques uns des protagonistes de ce roman épais, touffu, compliqué, plein de noeuds et de détours. Visiter à la fois l'Inde et le futur, ça dépayse. Les castes, les nationalismes, les dieux, les IA, Town and Country, le cricket, les combats d'animaux génétiquement modifiés, les neutres... Le lecteur en a pour les yeux, pour l'imagination, ça fuse dans tous les sens tout en restant compréhensible, c'est là tout le talent de l'auteur.
J'ai aimé un certain nombre de scènes fortes, l'attaque du train, l'iceberg dérivant sur l'océan indien, les aventures malheureuses de Shiv, la rencontre avec le mystérieux N.K. Jivanji...
Je n'ai pas tout compris à l'intrigue, trop touffue pour moi, mais ça n'avait au fond pas d'importance, parce qu'il y a dans ce gros roman un lot impressionnant d'idées et de concepts excitants. Une lecture de voyage, tout à fait recommandée !


PS : et bravo au traducteur. Le travail accompli est impressionnant.

08 novembre 2011

Paranoia Agent - Satoshi Kon



Après avoir revu Paprika, nous avons eu envie de replonger dans le travail de Satoshi Kon. Paranoia Agent est une série de 13 épisodes de 26 minutes, d'une grande richesse et complexité thématique. A la base on a une enquête : deux flics poursuivent l'agresseur d'une jeune femme. Rapidement les bizarreries s'accumulent : la jeune femme est créatrice d'une peluche à succès (kawai !!!), l'agresseur s'en prend à d'autres gens, tous aux limites du désespoir. Les premiers épisodes nous placent dans la subjectivité d'une série de personnages, tous en proie à de fortes pressions : une prostituée schizophrène, un journaliste douteux, un premier de la classe, un flic qui fait construire sa maison avec l'argent des yakuza... Puis l'histoire se complexifie, les niveaux de fiction se télescopent.




La série construit tout d'abord de très beaux personnages, touchants et humains, pris dans des ambiances de ville, d'hallucinations, de rêve. On se retrouve sans cesse en train d'interpréter ce qu'on voit : est-ce à travers les yeux de celui-ci ? Dans les fantasmes de celui-là ? Les indices visuels se multiplient, se répondent, s'annulent. Sacs poubelles, sac à main rouge, peluche maromi, la petite vielle SDF ici et le vieillard mourant là... Ont-ils un sens ? Ou seulement celui que nous voulons leur donner ?


Graphiquement la série a aussi la touche Satoshi Kon. C'est naturellement moins beau que ses films, mais les audaces formelles sont nombreuses : insertion de mangas ou d'univers de jeux vidéos, d'animés pour enfants, et même une vertigineuse et hilarante mise en abyme avec un excellent épisode dans le milieu des créateurs de séries de dessins animés... jusqu'aux très beaux décors vraiment 2D (ceux qui ont vu comprendront) des derniers épisodes. La série est servie de plus par une excellente musique, un bon générique et un système de visions prophétiques qui n'aurait pas déplu à la femme à la buche de Twin Peaks.




On pourra reprocher certains épisodes plus faibles, moins bien dessinés, à l'utilité narrative moins bonne. Ils sont minoritaires et n'ont de toute façon rien de honteux. A côté de cela, certains épisodes (bouche gourmande, vivre comme un homme, douce Maromi...) sont de petits chefs d'oeuvres narratifs, en 26 minutes... Quant à la chute, je l'ai trouvée très belle.
Un avertissement aussi : c'est une série vraiment adulte, par ses thématiques et sa complexité. Elle demande une participation active du spectateur, le discours est ambigu, toutes les réponses ne sont pas données loin de là. Les amateurs de Lynch et de beaux mystères seront en terrain conquis...
A part Paprika, je n'avais jamais vu de série animée montrant de manière aussi intelligente notre monde urbain contemporain, avec la pression sociale, la technologie, la société de consommation, qu'elle soit matérielle ou culturelle, les différents niveaux de fiction et la manière dont ils nous aident ou nous empêchent de vivre.


31 octobre 2011

Rainbow Mist – Léo Henry et Fred Boot

Par la magie d'un curieux calendrier et d'un disque de jazz, Vincent Vermont se retrouve propulsé barman dans le New York des années 60, au Rainbow Mist. Il ne tarde pas à apprendre les codes de Harlem, gangsters, arrangements et cocktails, dont le mythique Rosy Gimlet. Bien sûr, il a des ennuis, bien sûr il tombe amoureux de Bess ("pas ce qui se fait de plus original, cette saison"), la dernière diva du swing. Il y aura des piques, le Klan, le racisme et les douces soirées la grosse pomme, la ville aux avenues en zig-zag.
Une histoire mélancolique, des a-plats énergiques de Fred Boot, un texte qui swingue... J'ai aimé me laisser porter, même si je n'ai pas tout compris.
Cette BD est lisible gratuitement ici.
Et commandable pas trop cher là.