25 février 2021

Le cercle rouge – Jean Pierre Melville

Suivant les recommandations d'Alain Korkos, et parce qu'on avait beaucoup aimé l'armée des ombres, nous avons regardé le cercle rouge. L'article d'Alain Korkos explique très bien pourquoi c'est bien, je ne vais pas reprendre ses arguments, je suis d'accord avec tout.

C'est un film au scénario très simple, aux personnages tracés en quelques lignes, avec très peu de dialogues (à part une poignée de répliques, le film est compréhensible en entier sans savoir ce que les personnages disent), avec zéro rôle féminin (sinon des silhouettes sexy pour la figuration). Les acteurs y sont des présences physiques. Alain Delon porte la moustache, Bourvil joue un rôle sérieux (et il est formidable), Yves Montand est un tireur d'élite. Tout cela passe, et c'est même absolument formidable.

 






 

Le cercle rouge est une collection de sensations, toutes en lenteur, planantes, oniriques, dans un monde faussement réaliste où les bandits roulent dans Paris en voitures américaines, où un champ boueux de Bourgogne prend des allures de far-west et un restoroute devient un diner. Une histoire sur un fil, une fiction ne reposant presque que sur des codes, des personnages qui ne sont que des marionnettes comme si tout cela n'était qu'un rêve. Et surtout des couleurs, images qui bougent, des sons, des atmosphères... Une forme d'art unique. On pourrait appeler ça : le cinéma.

22 février 2021

The Favourite - Yorgos Lanthimos

Dans ce film en costumes, on voit s'affronter deux femmes à la cour de la reine Anne de Grande-Bretagne, l'une tentant d'évincer l'autre de la proximité et de l'intimité de la reine. La période est peu connue (en France), la situation intéressante, le film est oscarisé, les actrices sont douées, mais je reste très partagé sur le film. J'en ai beaucoup aimé certains aspects, et détesté d'autres.




Ce que j'ai aimé : 

Le traitement d'une époque originale.

Une vraie qualité plastique, une manière de rendre les immenses espaces vides de ce château royal, ses lumières, les costumes. Une vraie capacité à faire ressentir les lieux et les relations.

Les courses de canards (et de homards), les jeux de cour absurdes...

Les dialogues, souvent bien envoyés.

Le personnage de la reine : seule, malade, handicapée, capricieuse (après documentation, ce portrait, issus des souvenirs de Lady Marlborough est plutôt à charge, la véritable souveraine étant dotée de plus de qualités). L'actrice qui l'incarne lui donne une présence étrange, entre le pathétique et l'inquiétant. C'est un très beau personnage de souveraine.

Le personnage de Lady Sarah Marlborough, favorite en titre de la souveraine, à la fois amicale et très dure en affaire, mais capables de revirements du coeur. Un très beau personnage (qui porte des costumes magnifiques).

Ce que je n'ai pas aimé :

L'usage cru de l'homosexualité féminine (et des relations sexuelles en général) qui ressemble à de la provoc pour bourgeois et à une projection maladroite d'un regard contemporain sur une époque. Il est amusant de constater que les points communs du film avec le Portrait de la jeune fille en feu, qui, sur ce point là, est bien meilleur. Dans la Favorite, le sexe est un instrument de pouvoir pour les personnages, et un assaisonnement pour le récit.

Le point ci-dessus me semble être lié à la vision de l'humanité que propose le film : les personnages sont tous très matérialistes, très durs, les seules relations qui existent sont les relations de pouvoir et de violence. Aucun personnage n'est aimable. Cela donne un récit plutôt ironique et trop souvent méchant. Il ne s'agit pas de dire que cette méchanceté, ce matérialisme ou cette violence n'existent pas, juste qu'elles peuvent se mêler à des relations plus sentimentales et plus sincères (seule Lady M. est montrée capable de sentiments vrais). Dans le film, la reine est juste un corps que l'on manipule ; je trouve qu'elle méritait mieux.


Edit : voici un lien vers un petit article paru dans l'Histoire, de février 2019. https://www.lhistoire.fr

05 février 2021

Die Welle -- Dennis Gansel

On a donc vu die Welle avec les enfants (et ce billet, qui est dans mes brouillons depuis février 21, n'avait jamais été publié).

Dans ce film, un prof anar dans un lycée allemand donne un cours sur l'autocratie lors d'une semaine thématique et crée un mouvement proto-fasciste parmi ses élèves, "la Vague", avec tenue officielle, salut, logo et page Myspace (on est en 2006, remember ?). Bien sûr, ça tourne mal.

Le film est honnêtement fait et pas mal joué, certains personnages sont chouettement dessinés. Nous avons trouvé que la toute fin détonnait avec le reste du récit, mais je ne vais pas en dire plus pour ne pas sploiler.

Deux remarques :

1. le film tient un discours ambigu sur les postures de gauche. Les profs "de gauche" comme Wenger et sa femme et le milieu de l'éducation sont présentés sous un jour peu favorable, les anars sont des abrutis... 

2. le truc le plus intéressant, quand même, c'est la fameuse "histoire vraie" à l'origine de cette histoire. (Spoilers: ce n'est que très partiellement vrai, et c'est ce que nous en avons fait culturellement qui est le plus intéressant. Documentez-vous, c'est étonnant.)





 


19 janvier 2021

Witness for the prosecution -- Billy Wilder

Quelle joie de découvrir un Billy Wilder qu'on ne connaissait pas ! Witness for prosecution est un film policier et un film de procès adapté d'une pièce de théâtre d'Agatha Christie. C'est un cinéma assez statique avec peu de décors et de scènes d'extérieur, mais on ne s'ennuie pas une seconde parce que c'est super bien écrit, et toujours amusant, grâce à des dialogues super précis et des acteurs excellents. On a découvert Charles Laughton, dans le rôle de l'avocat insupportable, gros, malade, gamin et pourtant généreux, Tyron Power dans celui du quidam accusé de meurtre et mon actrice préférée de tous les temps, Marlène Dietrich, dans celui de l'épouse au caractère de fer. Sans compter tous les seconds rôles, tous très bien posés et très drôles. L'intrigue est très bien menée et très habile, c'est le genre de film où le moindre détail compte, mais où tout est si habilement exposé qu'on n'a aucun problème à suivre.


On ne le classera pas parmi les meilleurs de Billy Wilder, mais même un Wilder mineur fait déjà un très bon film et une excellente distraction.
De manière amusante, je note que Marlène Dietrich y joue presque le même personnage que dans la scandaleuse de Berlin, un de mes films préférés.








04 janvier 2021

Le roi des aulnes – Michel Tournier

Littérature, magie, seconde guerre mondiale... Ma campagne Cthulhu années 40 m'a donné envie de relire (cet été, ça date un peu) le roi des aulnes.

Donc Abel Tiffauges est un ogre, graphomane et porteur d'enfants. Ce roman raconte son épopée, depuis le pensionnant Saint-Christophe jusqu'à un château prussien abritant de jeunes garçons aryens en passant par un garage, un pigeonnier, un marécage, un immense terrain de chasse... 

J'avais en le relisant les images du film de Schöndorff bien présentes en tête - ce qui prouve que l'adaptation était assez réussie.

Pour ceux qui ne l'ont pas encore lu : le roi des aulnes est un très bon roman. Bien écrit, puissant, charriant des flots d'idées énormes et magnifiques, une très belle plongée dans la psyché d'un homme qui se prend pour une créature imaginaire. 

Il ne pourra toutefois pas servir d'inspiration à vos scénarios : une des limites de la méthode littéraire de Tournier est que son livre forme un système de symboles et d'idées tressé si fort qu'il est difficile à votre propre imagination d'y trouver sa place. 



Ils ont mené les alliés à la victoire – Daniel Feldmann

Qu'est-ce qui permet de dire qu'un général est un bon général ?

Ce livre d'histoire militaire s'intéresse au métier de général de corps d'armée ou d'armée du côté allié durant la Seconde Guerre mondiale. Pour ceux qui, comme moi, ne sont pas très au fait des choses militaires, il s'agit d'officiers qui commandent de 50 000 à 300 000 hommes (quand même) sur des théâtres d'opérations grands d'une centaine de kilomètres. En livrant cinq biographies de généraux dans cette position (les Américains Patch, Hodges et Patton, le Canadien Crerar et le français de Lattre de Tassigny) le livre tente d'identifier ce qui fait et ce que fait un "bon" général : un général capable de mettre ses troupes en mouvement vers un objectif et de commander efficacement son armée, d'atteindre des objectifs à forte valeur militaire tout en épargnant l'outil que lui a confié son gouvernement (la vie de ses hommes, en fait, rien que ça).


Je ne suis ni un grand lecteur d'histoire ni d'histoire militaire et encore moins amateur de panzer porn, mais j'ai vraiment beaucoup aimé lire ce livre : une fois ouvert, je ne l'ai pas lâché.

Bien sûr, Daniel Feldmann est un bon ami et je n'avais pas eu l'occasion jusque récemment de lire ses productions dans le domaine de l'histoire militaire. Lire les livres d'un ami est une bonne manière de rester proche et de le connaître mieux. De plus je lis en ce moment toutes sortes de choses sur les années 40, pour des raisons rôlistiques (mais ma campagne n'a rien de mili).

Ça n'explique pas tout.


Le livre approche le métier de général sous un angle analytique de consultant ; les biographies sous lues et analysées avec deux axes principaux : comment le général établit-il son autorité ? est-il efficace ? Si cette analyse est sans doute pertinente pour les théoriciens de la chose militaire, et si elle forme le point d'entrée du livre, elle n'est pas ce qui m'a le plus intéressé.


J'ai avant tout aimé le drôle d'objet littéraire formé par les biographies de ces cinq hommes, faisant le même métier et se retrouvant tous à combattre sur le même théâtre d'opérations (en gros, France et Allemagne) fin 44 et début 45. Ces lignes narratives montrant cinq hommes aux caractères différents, parcourant la même période de l'histoire donnent une vision synoptique de l'époque et de la guerre, sous un angle original et passionnant. Le style précis du livre, toujours plaisant, permet de connaître ces personnages en quelques dizaines de pages chacun et parvient à les rendre présents et vivants. On se prend à apprécier la modestie efficace de Patch, à s'énerver contre de Lattre, à avoir envie de donner des baffes à quelques autres. Le récit laisse percevoir les drames, aussi bien personnels (presque tous ont perdu un fils dans la guerre, l'un d'entre eux s'est effondré sous la pression) qu'historiques : les combats inutiles, les offensives où se perdent des milliers d'hommes, les hivers misérables de la troupe...

La guerre est grand et puissant récit. Quoi qu'on pense de l'armée ou de la chose militaire (l'auteur de ces lignes n'est pas un grand admirateur de l'uniforme), ces centaines de milliers d'hommes se battant à l'aide de machines terrifiantes durant des mois et des années sont les héros d'un récit vertigineux, dans toute son absurdité meurtrière, et on peut penser qu'il y a peu de métiers plus fascinants (dans l'horreur ou dans la technicité) que de devoir diriger ces opérations. L'objet du livre y trouve toute sa justification.


Je ne sais pas dire ce que vaut Ils ont mené les alliés... en tant que livre d'histoire militaire ou en tant qu'analyse du leadership d'officiers alliés. Mais par son objet, par son écriture, par sa capacité à rendre vivants ses personnages, il forme une intéressante réussite littéraire. À quand le tome 2 décrivant de la même manière les généraux allemands, italiens ou japonais ?


16 décembre 2020

Bifrost 99 -- les nouvelles

J'ai lu les nouvelles du Bifrost 99. Quelques notes pour ne pas oublier.

La souris et un jour comme les autres, de Shirley Jackson : je dois être un peu bouché parce que je n'ai pas compris la chute de ces deux textes. J'en pense exactement la même chose que ce que je pense de la loterie. Intéressant, bien écrit, mais daté.

Noir vaisseaux apparus au sud du paradis, Caitlin R Kiernan : que se passe-t-il sur Terre une fois que R'lyeh est sortie des flots ? Rien de très réjouissant, mais tout dépend ensuite de la manière dont on le raconte. Ce texte est une apocalypse, au sens du genre de récit biblique. Un récit de fin des temps chargé en images extraordinaires. J'ai bien aimé, ça témoigne de la richesse et de l'intérêt du courant néo-lovecraftien de nos jours.

Guide sorcier de l’évasion : atlas pratique des contrées réelles et imaginaires, par Alix. E. Harrow, est un texte charmant sur la lecture d'évasion et sa nécessité. Rien de plus à en dire.

Par les visages, d'Olivier Caruso, est un post-apo bobo parisien, avec de belles images, des personnages bien plantés et de jolis éléments (les recettes de cuisine, la soeur en reflet spatial). Je n'ai toutefois pas vraiment réussi à y croire.