Je fixe quelques mots pour garder une trace de l'excellente pièce que nous avons vue dimanche après-midi, au théâtre de la colline. Les barbares, pièce adaptée d'après Gorki. C'était la dernière. Du théâtre russe comme j'aime : une petite ville de province, pourrie et misérable, avec son lot de petites histoires d'amour, de rancoeurs et de haines. Deux ingénieurs arrivent (avec famille) pour travailler sur l'installation du chemin de fer. Deux mondes se rencontrent, se percutent, s'usent l'un l'autre, se mêlent...
La pièce fait fortement penser à Platonov - pour le côté histoire chorale/sociale à intrigues multiples, ainsi qu'au fabuleux Révizor de Gogol, pour l'affaire de l'étranger qui arrive dans une petite ville et qui bouleverse tout (et aussi à la Forêt et à la Cerisaie...),. Mais la pièce de Gorki est plus tardive, et bien qu'elle reprenne ces thématiques, on voit qu'elles sont traitées à l'aube de la Révolution...
Au coeur de l'action, de fabuleux dialogues, âpres, vrais, enchâssés les uns dans les autres, entre des personnages tous en tension, souffrant et cherchant, qui se rencontrent et se perdent. Tout le monde parle en même temps, la tête tourne, on gagne une sorte d'ivresse à voir se déployer et se briser toutes ces vies. Dans l'ensemble des intrigues individuelles, j'aime tout particulièrement l'histoire de Igor Tcherkoum, l'ingénieur idéaliste et violent, qui cherche à ouvrir des routes de fer dans une société qu'il voit comme un cadavre pourrissant. Et son enthousiasme ira s'usant, s'usant, confronté à la ville, au monde, à des gens qu'il déteste, qu'il comprend...
Sur un plateau immense, dans un décor plein de lumières rasantes, le corps des acteurs est mis en valeur, souligné - muscles, bras et jambes... Corps collectif (quand le groupe d'habitants de la ville, véritable masse humaine, accueille les ingénieurs), corps individuels (le gros Gricha, la fine et souple Pavline, le mendiant tout sec, la délicatesse absente de Nadejda...). C'est un théâtre vivant, vibrant, avec de la musique, une fanfare, des danses, des gestes théâtraux superbes (quand Lydia plante les fleurs devant Anna...), des images fantastiques (la petite sauvageonne sur les épaules de Gricha, le maire posant le pied sur la main de son subordonné, le mendiant perché en haut de sa barrière...). De nombreux moments m'ont bouleversé, jusqu'à me serrer la gorge. Moments de déchirure, de solitude, d'abandon, d'ivresse. Toute la vie y passe, y bouillonne, dans une grande douleur. Est-ce que Gorki déteste l'humanité, pour montrer des personnages aussi bêtes, aussi souffrants? Ou bien est-ce que, au contraire, il éprouve pour elle un amour infini?
Aucune prétention, aucune tendance à l'intellectualisme : les barbares est une pièce qui se comprend immédiatement, qui saute à la gorge, dans toute sa violence. Et la troupe l'a merveilleusement rendue.
Moi je travaillais comme ouvreuse au théatre des celestins l'an dernier.
RépondreSupprimerNous avons eu les barbares pendant 2 semaines, j'ai du voir la pièce 5 ou 6 fois.
Elle me faisait le meme effet bouleversant à chaque fois.
Incroyable.