Affichage des articles dont le libellé est facettes. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est facettes. Afficher tous les articles

08 juin 2011

Le roman à facettes – dernière ?

André-François Ruaud, l'excellent directeur littéraire des Moutons électriques, m'a fait parvenir un lien vers cet article de J.M. McDermott qui, selon moi, clôt plus ou moins le débat de l'appellation.

(pour l'ensemble de mes puissantes réflexions sur le roman à facettes, cliquer ici)

I'm going to make a huge presumptive leap. I'm going to suppose that there exists such a thing as a Moisac Novel.

Je ne vais pas répéter ici le contenu de cet texte que je vous encourage à lire.
Voici ce que j'en retiens:
Il y a un roman mosaïque (ou roman à facettes, as you wish) quand un livre est composé d'éléments narratifs disjoints, dont la somme vaut plus que les parties. Ces éléments narratifs partagent des points communs, mais divergent par le cadre, les personnages, l'intrigue ou le thème... Par exemple, dans Yama Loka terminus, cadre et thèmes sont communs entre les textes. Dans les soldats de la mer, seuls les personnages changent d'une histoire à l'autre. 
Cette définition en vaut une autre et me correspond plutôt bien. Mais McDermott ajoute que "Mosaic Novel" ne peut être considéré comme un genre. Il s'agit juste d'une approche narrative particulière. Coller l'étiquette Mosaic Novel à un livre a tendance à diminuer le texte lui-même. 

A text does not have to be either a mosaic novel or not one.

Il explique l'attrait de cette forme par la tendance de l'esprit humain à combler les blancs, à distinguer un motif là où l'auteur ne fait que des suggestions. Il s'agit donc, par définition, d'une forme complexe qui laissera certains lecteurs au bord du chemin, pour peu qu'ils ne saisissent pas ce que l'auteur ne fait que suggérer. (j'ai pensé alors aux strophes blanches/absentes dans Eugène Oneguine...). Son analyse du sous-texte colonial de La cité des saints et des fous est tout à fait intéressante en ce sens.
La conclusion, élégante, rapproche la notion même de Mosaic Novel de l'essence même de la littérature, qui vise à faire distinguer des motifs dans des juxtapositions de mots et de phrases. 


Ergo, j'écris des romans mosaïque.

09 mai 2011

Le roman à facettes (encore)

Je n'ai pas tellement avancé dans ma réflexion sur cet objet bizarre, mais je tenais tout d'abord à faire remonter cette belle citation d'Ursula Le Guin, postée en commentaire du billet plus ancien par Matthieu Walraet.

Extrait donc, de  la préface de L'anniversaire du monde, à propos de Quatre chemins vers le pardon :


"Une fois de plus, je supplie qu'on trouve un nom, afin qu'on la reconnaisse, à cette forme de fiction (qui remonte au moins aussi loin que le Cranford d'Elizabeth Gaskell, et que l'on rencontre de plus en plus fréquemment, avec un intérêt grandissant) : un recueil de nouvelles liées par le lieu, les personnages, le thème et l'action, afin de constituer non pas un roman, mais un tout." 

C'est dire en quelques mots ce qu'il m'a fallu plusieurs posts pour ânonner.

Une autre petite note : Wastburg, dont je parlais, va être publié aux Moutons électriques, vous pourrez donc le lire et vous rendre compte que le livre sera devenu une grosse trilogie de BCF faire votre propre opinion.

Enfin, une difficulté pour ce genre de livres me semble être de les boucler correctement.
Quelques exemples de fin :
  • Pour les soldats de la mer, on a une nouvelle qui justifie rétrospectivement l'ensemble du livre et son projet (était-il présent dès le début, j'en doute). Ce texte, s'il a du charme, me paraît fermer un peu le potentiel imaginaire du livre.
  • Pour Yama Loka, on prend de l'altitude et on regarde Yirminadingrad depuis l'espace. Wow.
  • Pour Wastburg, on apprend quelques Grands Secrets (concept rôliste de fin de campagne).
  • Pour l'archipel du rêve, il n'y a pas vraiment de fin. Mais de toute façon, Christopher Priest n'a jamais envie de finir ses livres, me semble-t-il...
Pas tellement plus à dire pour l'instant, je me tais et retourne écrire des chroniques de films minimalistes.

16 février 2011

Le roman à facettes, suite





Ce post prend la suite de celui-ci, où je tentais de trouver une terminologie désignant un type de livres qui m'intéresse en ce moment. 
Merci à Daylon et Cédric d'avoir ajouté des titres à ma liste.



  • Vermillion Sands, que je n'ai jamais lu et auquel l'archipel du rêve paraît donner un écho, me semble bien correspondre à ce que je cherche.
  • Drown de Junot Diaz et
  • The Dew Breaker d'Edwige Danticat, que je n'ai pas lus non plus, me semblent entrer dans la liste également.
  • Je rajouterai, même si je l'ai lu depuis longtemps, Ivoire, de Mike Resnick, où une douzaine de nouvelles mettant en scène des personnages variés, sont toutes reliées par les fameuses défenses de l'éléphant Malima Temboz, la montagne qui marche.



Terminologie
Pour rmd, j'aime bien le terme roman-mosaïque, mais la mosaïque comprend de très nombreuses petites pièces, un peu plus que les livres que j'évoque.


Quelle différence avec les fix-ups classiques de la SF ? Fondation, les chroniques martiennes, le cycle d'Elric, les histoires de Conan, le cycle des épées, les seigneurs de l'instrumentalité ? Quelle différence ? Il n'y en a peut-être pas, à vrai dire je crois que je cherche un terme français élégant correspondant à cette notion. Il est clair que certains des recueils classiques que je viens de citer sont une part d'un projet plus vaste (je pense à Fondation, même si dans ce cas, quand on voit la fin du cycle, on peut se dire que le projet a dépassé son auteur). On pourra aussi me faire remarquer que, concernant Elric ou Conan, le projet littéraire d'ensemble n'existe pas vraiment, qu'il ne semble pas y avoir eu l'idée d'un livre, d'un objet littéraire cohérent regroupant les histoires. Qu'on peut sans souci et sans nuire à l'ensemble retirer telle ou telle histoire du lot. Laissons donc ces fix-ups de côté, nous y reviendrons peut-être un jour.


Pour répondre aux commentaires d'Ice Hellion et de Cédric, je dirais que les romans à facettes sont des livres :

  • dont les éléments peuvent se lire indépendamment (contrairement à Cédric, je trouve que c'est bien le cas de Wastburg),
  • qui gagnent à être lus ensemble à la suite (car le tout est supérieur à la somme des parties)
  • et qui perdraient à se voir retirer l'un des éléments qui les composent. 

Techniques de collage
Comment assembler les textes afin de faire apparaître le projet du livre ?
Quelques exemples :
dans les Soldats de la mer, les nouvelles sont liées par des petits éléments intertextuels décrivant l'histoire de la Fédération. Ces éléments aident à construire la progression du livre, jusqu'aux nouvelles finales qui en explicitent le projet.
Dans Wastburg, on a un cadre très étroit (la garde de Wastburg). Les nouvelles sont proposées dans l'ordre chronologique et une histoire plus vaste apparaît dans les recoins des histoires individuelles. C'est là d'ailleurs la grande qualité et l'habileté du livre.
Dans l'archipel du rêve et Yama Loka, le projet littéraire apparaît dans les échos et les contradictions entre les textes. Car si tous ces textes parlent du même univers, ils ne tiennent pas vraiment entre eux. Certains noms, lieux, personnages se retrouvent d'un texte à l'autre, on a plus ou moins une progression, mais celle-ci est déstabilisante et renvoie à nos perceptions, aux contradictions propres de la réalité.
Quant à Ivoire, le lien (très artificiel) est fait à l'aide d'une méta-histoire mettant en scène un journaliste/chercheur interrogeant des archives et découvrant les histoires contées dans le recueil.


Si le collage comporte des éléments intertextuels, ceux-ci ne peuvent bien sûr pas être lus indépendamment.


Pourquoi écrire des livres si compliqués ?
Le processus créatif menant à un projet de ce type me paraît assez évident : on écrit un récit assez court, une nouvelle qui en appelle immédiatement d'autres. Puis un deuxième, un troisième récit dont on ressent qu'ils sont liés au premier. Puis on a envie de faire un livre avec tout ça. Alors il faut rechercher (si on ne l'avait pas déjà) le but et le projet du livre, puis décider de la manière dont les textes seront assemblés, le processus de collage, les contraintes qui présideront à l'écriture des textes suivants. C'est un jeu amusant et excitant, qui permet d'essayer d'assembler dans un même livre le meilleur des textes courts (densité, possibilités expérimentales) et l'immersion que permet le roman.
Les défauts de ce genre de littérature seraient que, contrairement à des romans classiques, l'immersion du lecteur est brisée par les changements de point de vue, de décor, d'histoire. Les personnages sont plus difficiles à approfondir, les intrigues sont moins sophistiquées, etc... Vous en voyez d'autres ?
Tous commentaires bienvenus. Stay on the line !

19 janvier 2011

Roman à facettes / à la recherche d'une nouvelle terminologie

Quelques réflexions inspirées par la lecture des soldats de la mer (et de quelques autres livres récents)

Je lis des livres que je classe comme des romans. D'autres comme des recueils de nouvelles. Comment classeriez-vous les livres suivants ?
(je suis un peu injuste envers mes lecteurs de parler de Wastburg. Parce que le livre n'est pas publié. Mais ce que j'en dis suffira, j'espère, à étayer mon propos)

Revenons-y un instant :
Dans Yama Loka, on a 3 fois 7 textes parlant tous, de près ou de loin, de la cité de Yirminadingrad, en Europe de l'Est, au tournant du millénaire. Il n'y a aucun arc narratif reliant les textes même si la position de certains d'entre eux dans le recueil a son importance et que le recueil est ordonné. Les informations et les visions présentées de la ville sont incohérentes : parfois Yirminadingrad paraît être une ville ultra moderne à la façon de Londres ou Berlin, parfois c'est le théâtre d'une guerre civile, d'une avant-garde artistique, d'une catastrophe...
Dans l'archipel du rêve, une dizaine de textes prennent place dans ce lieu précis de l'imaginaire de Christopher Priest. Un univers en marge d'une certaine Europe des années 60, des îles, des contingents inconnus mais reliés d'une façon ou d'une autre à notre monde (de quelle façon ? Tout est là...). Là aussi, les textes ne sont pas tout à fait cohérents. Dans l'un d'entre eux, la guerre est censée avoir commencé il y a des siècles, dans d'autres elle paraît plus récente. Selon certains textes elle a lieu sur le continent Nord ou alors sur le continent Sud, etc.
Dans les soldats de la mer, ont lit plusieurs dizaines de récits mettant en scène des soldats de la Fédération. Un certain flou quant à l'univers subsiste dans certains textes (le tout premier, ainsi que l'histoire des engoulevents) : le récit pourrait porter sur des guerres oubliées de notre Europe, ou de la Vieille Europe (je reparlerai un jour de ce concept). Pour le reste, un para-texte (les extraits des chroniques de la Fédération), des allusions dans le cours des textes ainsi que le texte de conclusion mettent en place l'histoire d'un monde alternatif, celui de la Fédération, qui est clairement une Europe imaginaire, parallèle, sans christianisme, une sorte d'uchronie onirique.
Dans Wastburg, on a aussi une quinzaine de nouvelles mettant tous en scène des soldats de la garde de Wastburg. Leurs petites aventures, plus ou moins minables, donnent un long aperçu de la ville. Et là, contrairement aux livres précédents, on a une structure romanesque habile puisque, à travers la multiplication des points de vue, on aperçoit une intrigue plus générale de laquelle les personnages principaux n'ont qu'une vision partielle.
Je distingue un point qui rapproche ces quatre livres, et qui les sépare d'un recueil comme Janua Vera, de J.P. Jaworski. Janua Vera est un recueil de nouvelles toutes situées dans le même monde médiéval fantastique "classique". Les nouvelles sont intéressantes pour elles-mêmes et le livre ne fait que les rassembler. En tous cas (on me détrompera peut-être), je ne distingue pas de projet d'ensemble auquel le livre pourrait correspondre. Les quatre livres que j'ai cités au-dessus ont un projet d'ensemble et une cohérence interne, qui est essentiellement liée au fait que les histoires qui les composent sont sises dans un même univers. (tiens, je pourrais rattacher la Cité des Saints et des fous, de Jeff Vandermeer, et aussi, peut-être, The Etched City, de Kirsten Bishop, dont le projet romanesque me paraît relâché, à côté de l'intérêt de chaque partie prise individuellement)

Voici ces projets, tels que je les comprends (ils sont d'un intérêt littéraire varié. Mon idée n'est pas ici de les classer, juste de les décrire):
Yama Loka : portrait d'un ailleurs qui est le reflet éclaté et brisé de notre monde. Un lieu qui concentre nos folies.
L'archipel du rêve : décliner un jeu sur la perception, les fantasmes et les façons dont nous saisissons la réalité. L'archipel, avec son éclatement, est le lieu des histoires et des mensonges et sans doute une forme de portrait intérieur de l'auteur.
Les soldats de la mer : développer la poésie du soldat hoffmanien. Bottes cirées, pistolets d'arçon, discipline, fières moustaches et fantômes. Projet secondaire : imaginer une autre Europe.
Wastbug : une sorte de roman noir de fantasy, mettant en jeu toutes les couches sociales, du plus grand aux plus petits, et insistant sur les plus pauvres, les minables et les imbéciles attachants.

Bara-Yogoi.jpgDonc oui, ces quatre livres sont, techniquement, des recueils de nouvelles. Non, ce ne sont pas vraiment des romans (sauf peut-être Wastburg). Mais les qualifier simplement de recueils de nouvelles (à la façon des recueils de Maupassant, ou des Fictions de Borges, ou des nouvelles de Flannery O'Connor...) me paraît réducteur. Le terme fix-up ne correspond pas exactement non plus. Dans le titre de ce post, je parle de roman à facettes, histoire de proposer un nom, qui ne me satisfait pas moi-même.
D'où ces questions, chers lecteurs :
- voyez-vous le même point commun que moi entre les livres que je rapproche ?
- en connaissez-vous d'autres correspondant à cette définition ?
- oseriez-vous écrire "roman" sous le titre ? Ou alors "nouvelles" ? Ou avez-vous un autre terme à proposer ?

La question m'intéresse bien sûr dans un but très personnel, ne serait-ce que pour pouvoir décrire ce sur quoi je travaille en ce moment. "tu vois, ce sont des nouvelles, mais pas que. Elles sont liées les unes aux autres... Mais ce n'est pas vraiment un roman." Pour ajouter une petite note personnelle et rigolote : le livre CLEER a été sous-titré une fantaisie corporate: 1) parce que c'était un terme rigolo. 2) parce que sinon il aurait fallu écrire "roman" sous la couverture, et qu'une partie au moins des auteurs trouvait que ce serait tromper le lecteur.

 Dans un prochain post, je m'efforcerai de parler de la Vieille Europe, un autre concept qui m'est cher.