10 mars 2016

La Mouette, selon Ostermeier -- à Vidy



C’est une expérience inédite pour nous que de voir deux fois la même pièce de théâtre — dans des mises en scènes différentes ! — en moins de un an. Cet été, nous avions pu admirer la troupe japonaise Chiten dans une présentation très incarnée et intériorisée de la pièce de Tchékov. Quelques mois plus tard, après une résidence au théâtre de Vidy, c’est Thomas Ostermeier qui présente la pièce, en français s’il vous plaît.


On retrouve donc Kostia Treplev, fils de la fameuse actrice Irina Arkadina, qui cuve sa dépression à la campagne et tente de monter une pièce expérimentale devant sa mère et sa cour. Le texte français utilisé par Ostermeier est moderne, et si la pièce n’est pas déconstruite, comme par les Japonais, on la sent fortement entrelardée de considérations contemporaines, dont un hilarant passage sur le théâtre moderne où Ostermeier semble se moquer de tout ce qu’il va faire (ou ne pas faire) ensuite… Ces insertions m’ont fait un peu peur, mais j’avais été déstabilisé de la même façon par le début très 70s de son ennemi du peuple, alors j’ai pris sur moi, d’autant que le texte français est habile et rythmé (il est dû à Olivier Cadiot)

"La Mouette est une comédie avec trois rôles de femmes et six rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage (vue sur un lac), beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action, tout mon poids d’amour." (Tchekov) 


Dans la mise en scène de Kostia, Nina en vierge sacrificielle déclame un texte de métaphysique-animiste bizarre, Kostia passe de l’électro à fond, poignarde un cadavre de bouc et s’asperge de sang les bras en croix, ça dépote, et Irina éclate d’un rire moqueur. Pendant les deux heures qui vont suivre, on va accompagner les plaisanteries, le mal-être de ces personnages en vacances au bord du lac, on va assister à leur hésitations et leurs compromissions, sans jamais cesser de les aimer et d’avoir peur, et de nous désoler pour eux. Les acteurs, pour la plupart déjà vus dans les Revenants, sont tous bons, tous brûlants, avec un très beau jeu de corps, de postures, de visages.



D’un point de vue de mise en scène, Ostermeier a adopté une sorte de tréteau façon Commedia Dell’Arte, au bord duquel les acteurs hors scène attendent leur tour. Sur cet espace apparaissent, de façon toute imaginaire, la terrasse, la plage, le salon, la chambre de Trigorine. Tout est impeccablement réglé, jusqu’aus superbes scènes de neige du finale.


La mouette selon Ostermeier est une expérience théâtrale puissante, qui secoue l’âme et noue les entrailles. Il n’y est question que d’art et d’amour. En quittant la salle, je me sentais plus humain.

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