05 août 2025

Au bal des absents - Catherine Dufour


Claude est une chômeuse en fin de droits qui n'a pas grand-chose pour elle, excepté son petit studio. Qu'elle perd bicose, we said, "fin de droits", you know ? (c'est un peu comme le début de Vernon Subutex).
Alors quand elle reçoit une offre d'emploi chelou via LinkedIn qui l'invite à séjourner dans une improbable location AirBnB pendant quelques semaines contre rétribution, elle ne fait pas la difficile et voilà go, elle est partie dans un coin perdu de France, et la location est une grande maison vraiment confite dans le passé et bien... elle est hantée. Et même carrément TRES hantée.

Dans ce petit roman (sa densité et sa brièveté sont une de ses nombreuses qualité), Catherine Dufour explore le genre du "roman de maison hantée" dans la France des années 2020, avec réseaux sociaux, minimas sociaux et workings poors qui dorment dans leur voiture. Et c'est vraiment très bien. Il y a des idées tout le temps, du suspense, des retournements de situations, des personnages secondaires douteux et moins douteux, une héroïne tétue (qualité de pauvre) et ni très jolie ni très sympathique, à la destinée de laquelle on s'attache. On comtpe les euros, on vide le bénitier de l'église d'Iliouville, on observe le prix des vieux meubles et des petits objets sur e-bay... Le passé suinte, et colle, et mord, glacial. On se demande ce que sont devenus les domestiques et qui peut bien faire le ménage dans la maison aux fantômes. Bref, c'est rigolo, pertinent et malin. L'autrice se permet même de nous livrer, quelques trucs sur sa méthode de travail. Et tout ça ne serait rien sans le style à la fois tendre et caustique de Catherine (oui, disclaimer, je la connais et je l'aime bien - mais cette chronique est garantie sans copinage). 
D'une curieuse façon, ce livre court est un cousin de la trilogie-des-genres de Léo Henry (Le casse du continuum, la panse, Thécel). Ce n'est pas un "grand roman", ça ne veut pas l'être, c'est juste distrayant, intelligent et très bien écrit. Et assez souvent, ça fait peur.


24 juillet 2025

Kingdom of Heaven - Ridley Scott

Hier soir, avec Cecci et Marguerite, nous avons regardé Kingdom of Heaven, de Ridley Scott, qui m'avait laissé une impression mitigée à sa sortie. Alors, oui, Orlando Bloom a une seule expression durant tout le film, et il y un seul perso féminin (enfin, deux, mais le premier est mort avant le début du film), donc ça va être hard de passer le test de Bechdel. Et le héros est trop fort, il sait tout faire, apprendre à se battre en cinq minutes, fabriquer des machines de siège et monter un système d'irrigation dans un pays qu'il vient de découvrir parce que les gens qui habitent là, bêtes, n'en ont jamais eu l'idée.


"Go, and tell Saladin that Jerusalem is coming"





Mais à part ça, on a aussi des costumes superbes, des décors qui ressemblent à des tableaux, des trucs qui flottent dans l'air (cendres, pétales, papiers - Ridley Scott signature), des drapeaux, encore des drapeaux, des armées immenses, des personnages musulmans très beaux, des templiers, et quelques images vraiment puissantes. Avec des drapeaux.
Je me suis laissé prendre dans cette quête mystique pas très causante, avec une musique ample et le passage de l'ombre à la lumière, la découverte du monde par ce jeune homme en quête d'un dieu et d'un sens.
Marguerite dit que ce film a des points communs avec le treizième guerrier : un personnage qui passe d'un monde à l'autre, la rencontre des cultures et un siège désespéré. Et, fun fact, une citation musicale durant la scène de l'adoubement collectif !
Nous avons regardé la director's cut, conseillée par Sabrina K*, et d'après les revues en ligne elle est bien mieux (réellement) que la version cinéma. Le film m'a paru en tous cas avoir une belle cohérence de rythme et de dramaturgie, qui m'a emporté. Narrativement, j'aime l'idée d'un combat final dans lequel on ne souhaite la victoire d'aucun côté. Et sortir en 2005, en pleine war on terror, un film prônant une vie paisible entre chrétiens et musulmans et montrant de manière positive un chef musulmans portant la barbe, c'était quand même pas mal. 
Et le personnage du roi lépreux... J'aime déjà le film juste à cause de lui.





18 juillet 2025

Akira - Otomo

Hier soir, on a regardé Akira avec Marguerite. Je n'avais pas revu ce film depuis environ mille ans. C'était super beau. L'histoire est à peu près sous contrôle pendant 90 minutes, la fin est un grand trip apocalyptique plein d'images superbes mais qui part en complète sucette. 

Restent l'animation, de toute beauté. La scène de poursuite en moto du début, immense moment.







Quelques réflexions de visionnage 2025 :

J'avais oublié que le film était aussi violent !

La scène du gars qui emmène l'enfant et se fait prendre dans les projecteurs de la police anti-émeutes... Graphiquement, c'est incroyable.

Une grande ville brutale de 2019 aux institutions éducatives déglinguées, aux flics violents, aux troupes anti-manifestation armées de flashball et de lacrymos en immenses quantité, ça me rappelle quelque chose. Les manifs contre la réforme des retraites ?

Je ne m'étais pas rendu compte de combien le style graphique d'Otomo avait d'échos avec celui de Moebius, notamment dans le design des personnages et de leurs fringues.

L'histoire n'est pas très sympa pour ses rares persos féminins. Kaori, victime d'une tentative de viol ? Les motards s'intéressent plutôt, d'abord, à la moto, puis à Tetsuo. De toute façon elle meurt à la fin, absorbée dans Tetsuo, alors qu'elle tente des trucs... Kei est un peu plus favorisée, elle a un look cool, mais elle devient rapidement un véhicule pour Lady Kiyoko, autant pour son agentivité. (et sinon, elle passe son temps à appeler Ryu)

Bizarre que le Colonel (techniquement, un dictateur militaire) soit présenté comme un personnage aussi sympathique.



17 juillet 2025

Manhattan beach - Jennifer Egan

C'est l'été, je lis des trucs sur la plage, sortis d'une boîte à livre.

New York, 1942. Anna Kerrigan travaille au chantier naval où on fabrique de gros bateaux de guerre. Son papa  Eddie, un type cool, a disparu quelques années avant, elle vit seule avec sa mère et sa soeur handicapée... et elle va se retrouver en contact avec Dexter Styles, un homme au croisement entre le milieu des trafiquants et les grandes familles, qui pourrait être en rapport avec la disparition de son père.

Le premier truc qui me vient à l'esprit en parlant de ce roman est "c'est bien fait".

Le récit est rythmé, intéressant. Parle de l'émancipation des femmes : depuis Agnès, la mère d'Anna, ancienne "girl" de cabaret, Anna qui devient indépendante et ouvrière et qui se lance dans des trucs réservés aux hommes grâce à la guerre, en passant par les personnages qui l'entourent, Nell, Rose, les "mariées"... 

Les décors sont intéressants : les demi bas-fonds de NYC (j'ai pris ce roman en me demandant si j'y trouverais matière pour un scénario Cthulhu Confidential - non), cabarets, bars de front de mer, chantier naval, marine marchande... L'autrice s'est top top documentée, tout paraît solide, réaliste (et ça se voit). L'histoire est bien menée, c'est une sorte de fausse romance. La narration tisse plusieurs époques et plusieurs fils, bien arrangés, "by the book". Ajoutez la touche féministe, bien vue, et même un traitement sensible du handicap. Bref, rien à reprocher, une lecture de distraction, intelligente, juste super fabriquée. Ca ferait un bon film ou une bonne série TV.
 

PS: Hey, monsieur 10-18 !!!! La couv dans sa partie basse (mal découpée de la partie haute) représente un "pier", classique aménagement de bord de mer du monde anglo-saxon. L'image de ce pier vient de la première photo qui sort du googling "manhattan beach". Ce pier existe donc vraiment (pas un pb), mais dans la ville de Manhattan Beach, en Californie. C'est à dire pas du tout l'endroit où se passe l'histoire. Couv IA ou illustrateur paresseux ? Nul, en tous cas.

16 juillet 2025

Mon vrai nom est Elisabeth - Adèle Yon

 

Une peur court dans la famille de la narratrice. Les femmes, vers l'âge de 20-25 ans, deviennent folles. A partir de ce point et d'une angoisse personnelle, elle se lance dans une enquête qui l'amène rapidement jusqu'à son arrière grand-mère, Betsy... La folle, justement.

Ce livre est très intéressant car il développe deux axes : le premier, l'histoire traumatique et d'une femme des années 40 dans une famille de la bourgeoisie catho. Le second est la manière dont la narratrice raconte son enquête, ses découvertes progressives, à travers des discussions familiales et des accès aux archives, directes ou indirectes. Il y a un côté presque thriller dans cette échelle de découvertes. 

On reste dans la littérature "moi-je" (que je n'ai jamais aimée - et c'est le principal point agaçant du livre), avec ce twist d'être une tentative de prendre la parole pour ces femmes du passé à la mentalité un peu forte et à qui on l'a fait payer cher.

Je ne spoile pas le contenu de ses découvertes, même si les journaux l'ont pas mal fait ;  ça a été un des effets très forts du "roman" sur moi de découvrir les couches de la vérité en même temps que la narratrice, mais vous pouvez égrenner les TW, parce que ça fait mal. A titre perso, je considère les lettres d'amour d'André comme de beaux extraits d'histoires d'horreur familiale. 


15 juillet 2025

Exposition Soulages -- au musée Fabre

L'exposition Soulages (nommée la rencontre) au musée Fabre de Montpellier est très bien. Elle a été mon premier contact avec l'oeuvre de ce peintre. J'ai mis des repros ci-dessous, pour mémoire, mais des tas de pixels pour représenter ces peintures, celles-ci en particulier, ça ne rend rien du tout. C'est d'ailleurs peut-être la première révélation de cette visite (évidente pour moi) : ces peintures ne peuvent se comprendre que lors d'une rencontre en présence, physique, avec les objets. Cadres, aplats de noir, coups de pinceaux, reflets du lumière sur la matière... 

Soulages a expérimenté toute sa vie avec la lumière, celle qui jaillit du blanc de la toile, celle des transparences à travers le broux de noix, celle entre les grilles de ces calligraphies de lettres qui n'existent pas. Pouvoir parcourir ce travail, ces recherches, est passionnant. Juqu'à cette découverte de la "la lumière secrète du noir", encore une très belle idée, très vraie.

J'ai été enfin touché par la découverte de la relation entre l'oeuvre et l'espace (les toiles suspendues, disposées dans des espaces plus grand), qui rejoignent ce que j'ai compris de l'oeuvre de Richard Serra à travers le chef d'oeuvre de Juan Tallon. (super bouquin que je n'ai pas chroniqué ici, tiens, dommage). Les oeuvres ne sont pas seulement des objets, mais des objets qui s'inscrivent dans un espace où entrent le regard et le corps du visiteur, de la visiteuse. Cette relation du corps à l'oeuvre me parle beaucoup.

Je l'ai découverte il y a des années avec le plaisir de rendre visite à certains de mes tableaux favoris (le concert champêtre, au Louvre, les pélerins d'Emmaus de Rembrandt... et plein d'autres). Quelque chose se passe, une émotion particulière, une joie, quand on entre en présence de ces oeuvres avec lesquelles notre coeur s'accorde.

L'exposition du musée Fabre (dont je livre donc quelques images ci-dessous) est très intelligente et très bien, rassemblant aussi bien un parcours thématique de l'oeuvre que d'autres oeuvres avec lesquelles PS est en dialogue (dont quelques oeuvres de femmes, oooh), et parmi ces quelques oeuvres, tiens tiens, les mêmes pélerins dont j'ai parlé plus haut, je vous le mets tout en bas.

Calligraphies zarbi - ça a fait écho pour moi avec les recherches d'Aberlour pour la bombe iconique


PS a été inspiré par l'art pariétal et les oeuvres préhistoriques en général, comme cette pierre gravée. Est-ce que ce lien entre préhistoires et art aux limites de la perception me fait kiffer et se relie pour moi aux délires lovecraftiens ? Je ne sais pas si je vous permet de le dire.

Un outrenoir avec des slashs de blanc et un de mes préférés.

L'exemple typique du tableau fait d'acrylique brillant qui ne rend, mais alors, pas du tout en repro, alors qu'il est trop bien en vrai.

Un Mondrian qui j'aime vraiment bien. Arbre vitrail de brume.

Des lumières bizarres passant à travers des colonnes noires. 

Un des tableaux de mon best of perso de le monde. Tout le doute et l'espérance et le secret et la lumière et l'évidence dans une seule image


14 juillet 2025

NOUT - luvan

NOUT s'écrit en majuscules (en tous cas, j'ai envie de l'écrire telle). luvan s'écrit en minuscules.


Ainsi, dans les milliers/millions d'années à venir, la Terre prendra des chemins étranges. Et la vie deviendra différente. Et la conscience, différente. La vie deviendra. Qui pourrait embrasser ce vertige, de la vie, de la chimie, de la conscience ? Des distances immenses, dans transformations lentes ou rapides, de la joie et des pulsations ? C'est une des forces de la littérature de science-fiction que de nous donner à saisir, à percevoir, les vertiges du temps. On appelle ça le sense of wonder. 

NOUT est un tissage de visions, de faits, des rêves, de vibrations. NOUT relie très haut, très loin. Ce livre nous rassemble, nous, les hominides, avec l'ensemble de la vie, de la Terre et plus large encore. Mais ce n'est pas un livre froid. 


Pour nous parler de cet avenir extra-ordinaire, luvan choisit une forme rare, en SF et en littérature en général, celle de la prophétie. L'avenir vient vers nous (comme ces gouttes sur l'arcane XVIII, la lune), une décoction nous parvient en vers, en conscience partagée avec ces êtres du futur, ces nous du futur, qui s'adressent à nous à travers une femme nommée
Francesca Caccini, musicienne et compositrice. Nos descendantes, qui ont hérité d'une bonne part de notre mémoire, utilisent toutes sortes de faits, de souvenirs, d'allusions culturelles ou mythologiques pour nous parler et communiquer avec nous. Je ne comprends pas tout, Francesca ne comprend pas tout, mais ce n'est pas grave, il faut se laisser aller, se laisser émerveiller. Lire luvan est une exploration.