31 décembre 2019

Les fourberies de Scapin – par la Comédie Française

Nous avons emmené Rosa et Marguerite à la salle Richelieu pour la première fois cet hiver, pour voir du Molière monté par Denis Podalydès, autant dire que nous étions certains du genre de spectacle que nous allions voir : du théâtre à la manière du Français, avec un texte bien dit, des acteurs en place, le jeu des corps et des mouvements, les entrées et les sorties impeccables. Et c’est ce que nous avons vu, la salle riait, les enfants riaient et nous riions aussi. La pièce tournait à fond, énergique du début à la fin, de la scène d’exposition à la scène de la galère (et des cent écus) en passant par la scène du sac. 


La mise en scène de Denis Podalydès est riche et chatoyante. Elle place l’histoire sur une scène en travaux (une cale sèche de navires, sur le port de Naples), colore le récit d’Italie, ouvre des pistes d’interprétations originales. Les deux jeunes premiers (Léandre et Octave) sont l’un, bravache stupide, l’autre pleutre. Les deux pères bafoués retiennent une part de dignité et de tristesse. Les deux jeunes femmes paraissent bien légères et on se dit que de Léandre ou de Scapin, Zerbinette la gitane ne choisit Léandre que pour son argent et que s’il n’était question que de s’amuser… 


Scapin, enfin, apparaît nu, sortant d’un enfer éclairé de jaune. Il bondit partout, armé de sa souplesse physique et de son habileté verbale. On se demande pourquoi il ne tente pas de faucher plus d’argent aux deux vieux, pourquoi il aide ces jeunes imbéciles. Et à la fin, le fameux coup de marteau sur la tête, est-ce vraiment une ruse pour se faire pardonner où la toute dernière insolence d’un maître en machinations ? 
Quant à l’écriture… Au premier abord Jean-Baptiste P. se moque du spectateur tout comme de la vraisemblance. On a sur scène deux vieillards avares, deux jeunes inconséquents, deux jeunes filles de naissance mystérieuse, deux valets, et deux fois la même intrigue : le jeune idiot s’est épris/a épousé la jeune fille contre l’avis de son père. Après on se cache, on ruse, on ment, on vole, on se déguise (et le spectateur rigole bien d’autant que tout ça n’est pas très long). 
Je pensais que les fourberies dataient des débuts de la troupe de Molière, quand, avant de plaire au roi, il fallait plaire ou peuple. Pas de peinture de caractère élaborée mais des ruses et des baffes et un personnage de rusé entourloupeur qui arnaque les bourgeois. Mais Molière l’a écrite deux ans avant sa mort, alors qu’il était Valet du roi et un des artistes les plus en vue de son temps. Comme pour se détendre, s’amuser, fuir la bienséance, la vraisemblance, retourner aux sources
De son temps, la pièce a été un échec, la troupe l’a jouée une petite vingtaine de fois. Molière tenait le rôle de Scapin, il avait 49 ans et Denis Podalydès se demande s’il avait encore l’énergie de faire marcher ce personnage et cette pièce qui sont du théâtre pur. L’histoire tient à peine debout, à moins qu’on la pousse à toutes forces, pour en faire un moment de présence pure, de théâtre pur. C’est ce que fait la troupe de la Comédie Française, qui jouait cette pièce pour la 1167ème fois en un peu plus de 300 ans.
Les pièces de Molière me paraissent maintenant comme des œuvres faillibles, bancales, pas si évidentes à faire tourner et à faire vivre. Cela les rend d’autant plus attachantes. 

Photos © Christophe Raynaud de Lage (merci à la Comédie Française de me les avoir transmises)

27 décembre 2019

Défi – au cirque d'hiver Bouglione


Bouglione partage avec Knie le fait d’offrir du cirque traditionnel, à grand spectacle, avec des artistes internationaux, des animaux et des jolies danseuses (qui proviennent d’ailleurs de la même troupe, les Ukrainiens et Ukrainiennes de Bingo). Le spectacle de cette année, Défi, fonctionne très bien et nous a beaucoup plu, malgré des numéros qui n’étaient pas tous d’un immense interêt. Si le spectacle tient, dans ce cas, c’est grâce à la troupe de clowns des Without socks, un trio de clowns muets russes, ambiance cinéma burlesque 1900. Ces trois là ont rythmé l’ensemble du spectacle avec deux numéros principaux (la photo du chasseur et la scène magique qui fait danser) et une poignée de gags qui ont donné une teinte gaie et mélancolique à la représentation. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu de clowns aussi bons (Knie peine à en trouver et ceux de Bouglione de l’an passé, s’ils étaient amusants, ne fonctionnaient pas aussi bien que ces Without socks). 
 

 
 
Le cirque d’hiver profite aussi de sa salle exceptionnelle, à l’atmosphère unique, de son orchestre énergique et son monsieur loyal on ne peut plus classique, qui nous convainc à chaque fois que nous nous trouvons dans un lieu et à un moment exceptionnel.
 
Faisons un petit retour, numéro par numéro.






Après une intro énergique et dansée des artistes de Bingo (que j’admire beaucoup, et dont semblent faire partie les trois femmes du trip cappuccino et Artur Dudov), on commence par un numéro de chameaux de Régina Bouglione, à l’intérêt très limité (je me souviens en avoir eu un bien plus beau chez Knie voici quelques années). Les bêtes tournent paresseusement et amusent par leur balancement. 
 
 

Victoria Bouglione présente ensuite un numéro de cerceaux, avec quelques très beaux passages: cerceau « immobile » en l’air, ou bien Hula-hop avec des dizaines de cerceaux) et quelques beaux effets de clignotements numériques sur des cerceaux illuminés par des leds. Je suis moins convaincu par le côté sexy du numéro. 
 
 

Nuit blanche offrait un très beau spectacle ambiance pierrots de la butte Montmartre avec un couple au monocycle jonglant avec les sphères blanches des réverbères. De beaux gestes et une grande poésie. 
 
 

Je pense que nous avions déjà vu le numéro d’avion radiocommandé de Daniel Golla (mes archives disent que oui, en 2014). Je ne suis pas trop amateur de ces numéros « de drones » mais celui-ci ne manque pas de charme.



Le trio féminin cappuccino (une blonde, une rousse, une noire) présentait un numéro de portés et de main à main techniquement très réussi, mêlant souplesses et mouvements en force, au côté sexy très assumé, avec déhanchements suggestifs, fesses et seins mis en avant dans un vrai défi au bon goût. C’était à la fois intéressant (je crois que je voyais pour la première fois ces numéros « de force » exécutés par des femmes) et embarrassant.




Lancé par les Without socks, le clown allemand Konstantin nous raconte l’histoire d’un petit gros buveur de bière, salaryman années cinquante, qui veut perdre du ventre et termine enfermé dans une variante de la roue cyr. Superbe. 
 
 Puis, avant l’entracte, le numéro le plus WTF de la soirée, en concurrence serrée avec son petit frère du deuxième acte, Evgeny Komisarenko avec ses chiens blancs. On dépasse là le n’importe quoi usuel des numéros de petits animaux mignons pour atteindre une forme de monde parallèle absurde où sept chiens de taille décroissante se dandinent à la queue-leu-leu sur deux pattes. 
 
 

Au deuxième acte, Artur Dudov fait une jolie démonstration de mât chinois, une de mes disciplines préférées. 
 
 

Puis Asel Saralaeva (une belle Kirghize) tente de nous convaincre qu’on peut faire des numéros de cirque avec des chats. Echec, selon moi. Les chiens ridicules semblent au moins capable de se concentrer plus de quinze secondes. Le chats, eux, entrent en scène, font un petit tour et ressortent, ping, pour être remplacés par le suivant qui voudra bien montrer des trucs qu’à peu près n’importe quel chat domestique démontrera un jour où il ne se sentira pas trop feignant. Deuxième moment WTF de la soirée. 
 

 

Natalia et Sampion montent ensuite un numéro original de ruban aériens avec piano. C’est de l’amour romantique de cirque, à la fin les amants s’envolent et s’enlacent dans les airs, avec quelques très belles images magiques. 
 
 

En avant-dernier, le duo AA, portés et main à main de deux super costauds épais comme je suis large. Impressionnant et très bien fait, mais sans réussir à dégager la poésie du numéro du même style que nous avions vu chez Knie. 
 
 

Enfin, en conclusion, un superbe numéro de roue de la mort du Duo Shock, qui fait très très peur.

Je suis frappé en relisant cet article de voir que ce spectacle m’a paru bon alors que le niveau et l’intérêt des numéros était très inégal. Construire un spectacle de cirque qui forme un tout, capture le spectateur pour ne plus le lâcher est un art difficile, et un défi réussi cette année au cirque d’hiver. On essaiera d’aller voir le spectacle l’an prochain !