13 décembre 2022

Cold Island


Cold Island
est une série islandaise mettant en scène des enquêtes de police dans le pays des geysers. Elle a occupé nos soirées ces six derniers mois.

Les scénarios, de qualité, ont été écrits pour l'essentiel par Yrsa Sigurdadottir d'après ses propres romans, sauf pour la dernière saison, au ton très différent.

Le héros des trois première saisons est un vieux flic proche de la retraite, Erik Sigurdsson, ancien responsable de la sécurité du gouvernement, retourné à la police judiciaire pour ses dernières années de carrière. Son ancrage dans le pays et son goût pour les vieux bateaux en bois font partie du charme des récits.

L'héroïne des derniers récits est une jeune inspectrice chaotique et énergique, moins typique (elle est d'origine sud américaine du côté de sa maman).





Saison 1 : Les crocs du dragon
Une enquête du commissaire Erik Sigurdsson, sur fond de manipulations immobilières et de jeunes filles tombées dans la prostitution. L'enquête met en scène, comme à chaque fois, le manque de moyens complet de la police islandaise (peu de crimes = peu de policiers) ; Sigurdsson mène cette affaire accompagné des deux stagiaires de l'équipe, un grand sportif et une jeune inspectrice criminologue énergique, Lina, qui prendra plus d'importance dans la suite.

Saison 2 : ADN
Seconde enquête du commissaire Sigurdsson : récit haletant de meurtres et de vengeance médicale. Le dernier épisode, confrontant Sigurdsson et l'assassin, est d'une grande puissance.

Saison 3 : Les sept chevaux
De loin la saison la plus ambitieuse de la série, avec une capsule temporelle, un meurtre ancien, un juge disparu en mer et un envoûtant et mystérieux chef de famille d'une ville de pécheurs. Sigurdsson parviendra-t-il à résoudre l'affaire avant sa mise à la retraite ? Le récit a l'audace de quitter le cadre classique de l'enquête pour s'étendre sur plusieurs mois, voire plusieurs années, et se termine par un finale haletant.

spin-off : Beautiful beings 
Sous prétexte de présenter une enquête de jeunesse de Sirgurdsson, ce film raconte avec une beauté élégiaque le quotidien amer, et parfois magique, d'une bande de garçon des années 90.

La série n'était supposée durer que sur trois saisons, d'autant que le personnage principal finit par quitter le métier. Mais, devant le succès de ces récits mettant en scène ce fascinant pays, la production a relancé de nouvelles saisons, avec une nouvelle héroïne, plus jeune et plus chaotique, Lina Bjarnsdottir, collaboratrice de Sigurdsson dans les premières histoires.
Les nouveaux épisodes se teintent de fantastique et s'intéressent aussi aux relations sentimentales et sexuelles de l'héroïne, plus amusante que le tranquille Sigurdsson.

Saison 4 : la bouche de l'enfer
Un étudiant meurt étranglé, peut-être un accident lié à ses pratiques déviantes ? Le scénario, très habile, mêle vieux manuscrits médiévaux, société secrète étudiante et une mystérieuse famille allemande. On y découvre l'aspect magique de l'île des glaces... On notera la présence d'un acteur français dans le rôle du petit ami de Lina (la production de la série est majoritairement française)

Saison 5 : harcèlements
Le scénario se teinte de social pour cette seconde enquête de Lina Bjarnsdottir autour de la disparition d'une lycéenne. Le sujet des violences adolescentes est abordé avec tact.

Saison 6 : Cages
La saison finale prend une série de virages que les fans apprécieront, ou pas. Le côté fantastique est assumé, on quitte l'île glacée pour la France (production française !), pour une histoire alambiquée autour de disparition d'adolescents enfermés dans des cages et torturés. Le nouveau scénariste est français et si son histoire est palpitante, on se permettra de la trouver moins réaliste et moins ancrée socialement que les scénarios bien ficelés d'Yrsa Sigurdadottir. De même, les nouveaux acteurs sont majoritairement français, rejoints par quelques brillants seconds rôles anglais pour un récit situé dans les environs de Bordeaux.
Trois fois plus longues que les saisons précédentes, cette saison finale n'est pas avare de scènes spectaculaires : prises d'otage, poursuites, scènes d'assaut presque militaires sur fond de fantastique cosmique. Une sortie de True detective à la française. 
De manière étonnante, la transposition de l'énergique Lina Bjarnsdottir dans les paysages du bordelais fonctionne plutôt bien. Vue à travers les yeux de ses collègues gendarmes, enquêteurs, l'Islandaise devient une sorte d'elfe, ou de fée, ou de troll, bouleversant tout sur son passage.


Bon, bien sûr, cette série n'existe pas et l'image d'illustration a été générée par DALL-E. Merci à Cecci d'avoir adapté en scénarios les romans (réels) d'Yrsa Sigurdadottir. Les rôlistes reconnaîtront d'où venait la dernière saison. Et comme je l'avais découvert il y a quelques années, jouer des histoires policières, c'est formidable.
Encore des histoires dont on se souviendra.

07 décembre 2022

Festival de marionnettes de Neuchâtel

Un tout petit billet pour rappeler deux spectacles que nous avons vus au festival de marionnettes de Neuchâtel.

Le premier : Sans arrêt, par Pierre Meunier et Marguerite Bordat.

Le rapport avec les marionnettes est un peu lointain. Disons que c'est un spectacle autour d'un objet : une tête, celle de Pierre Meunier, sculptée par Marguerite Bordat. Un homme âgé et beau parleur, qui fait des bons mots. Une femme, qui sculpte sa tête et cherche la vérité de l'autre. Ca pourrait être narcissique et bavard et pas du tout.

Je pense que chaque représentation est différente, suivant l'état de la tête. Que les dialogues sont improvisés. Et c'est complètement fascinant : je n'avais jamais vu ça. Une sculptrice à l'oeuvre, la tête et le modèle en même temps, la matière, plastique sous les mains... Ce spectacle ne ressemble à rien de connu. Nous avons beaucoup aimé.

La vidéo ci-dessous en donne une vague idée:



Le second : Babylon, du stuffed puppet theater.
Un groupe de réfugiés, sur une plage, voulant passer en Europe. Dieu, Jésus, le diable, l'ange Uriel et un mouton nommé Pimky. Et un chien.

L'histoire est d'un total mauvais goût (si si), le décor est moche, l'animateur est visible sur scène, avec son pantalon de treillis et ses lunettes noires. Et il a un talent dément pour faire vivre les créatures, au point que je me suis dit plusieurs fois : "tiens, c'est drôle, ses lèvres bougent quand les personnages parlent !" 
Un spectacle dérangeant qui m'a beaucoup plu aussi.

06 décembre 2022

Les passagers du vent -- François Bourgeon

Petite rétrospective les passagers du vent de François Bourgeon. Un classique de la bédé franco belge des années 80, époque "Vécu". Pour ceux qui n'auraient jamais lu cette série, les cinq premiers tomes sont des histoires de mer à la fin du 18ème siècle, de bateaux et de traite négrière, avec au centre une jeune femme intrépide, Isa, qui a quelques caractéristiques héroïques (elle tire super bien au fusil et n'a peur de rien, ou presque) et qui pour le reste se prend la société de l'époque dans la gueule.

J'aime croire aux univers des histoires que je lis, et c'est pour ça que j'aime la plupart des histoires de François Bourgeon. Il y a mille détails qui font vrai, le dessin est très précis, les lieux et les situations sont crédibles. De l'aventure ! Du grand voyage ! J'aime beaucoup.

Des années 80 et de la bédé "pour adultes" de l'époque, les albums gardent un traitement assez direct de la sexualité et un plaisir à dessiner de belles jeunes femmes surprises dans leur intimité. Une amie, il y a longtemps, surnommait Bourgeon "le roi du T-shirt mouillé" et ce n'est pas faux. Ca ne gâche pas l'histoire ni l'immersion, ni le fait que l'héroïne est un vrai personnage actif, mais je ne sais pas comment on relit cela dans les sensibilités actuelles.





Après, par souci de complétude, j'ai emprunté à la bibliothèque les deux tomes de "la suite", la petite fille Bois Caïman, qui raconte en flashback la fin de la vie d'Isa. J'avais oublié que je les avais déjà lus. J'avais oublié que j'en avais dit que le dessin était top, la doc, super, et l'histoire absente. Et bien je suis toujours d'accord avec le moi de 2010. C'est beau à regarder, on y croit, il y a toujours de belles femmes pas toujours très habillées (mais moins), et la meilleure partie de l'histoire aurait pu être racontée en dix planches par le Bourgeon des années 80, au lieu de 120 planches comme celui des années 2000.


Et, par souci de complétude complète, parce que je vais au bout des choses, j'ai lu Le sang des cerises (oh, ce titre...), qui se relie par un jeu d'hérédité à Isa des années 1780 et met en scène, à Paris en 1900, des souvenirs de la commune. Le dessin est toujours bien, les femmes toujours belles, la documentation écrase tout, le name dropping de personnages historiques est insupportable et l'envie d'avoir son étiquette "je suis de gauche, je parle de la Commune, mais sans en parler, mais en en parlant" est vraiment embarrassante. Ah oui, et il s'y passe encore moins de trucs que dans la petite fille...


Tiens, un jour, je publierai ici un billet sur la SF du même Bourgeon (spoiler: j'aime beaucoup aussi)



16 novembre 2022

Mémoire de fille -- Annie Ernaux


Comme il y a des lives d'Annie Ernaux en vue dans les librairies, Cecci en a pris un, Mémoire de fille. Comme souvent (toujours ?) chez Ernaux, le sujet en est l'exploration systématique d'un souvenir/d'une série de souvenirs, accompagné d'une réflexion sur l'écriture de la mémoire.


Donc: été 58, la jeune Annie Duchesne, 17 ans, élevée en école catho et très bonne élève, devient animatrice de colonie de vacances. Dès le premier soir et la première fête des moniteurs, elle se fait serrer par le chef moniteur qui l'emmène dans sa chambre et a une relation sexuelle avec elle (la première de la jeune fille). 
Mémoire de fille est le livre par lequel, 40 ans après, une femme tente de retrouver la jeune fille de dix-sept ans qu'elle fut, explorant cette première rencontre sexuelle et ses conséquences durant les années qui suivent. Ca pourrait être voyeur et narcissique, très littérature française, et ça ne l'est pas du tout. Ce n'est pas tire-larmes, ça ne cherche pas à attirer la sympathie de la lectrice, ce n'est pas le récit d'un trauma exceptionnel. 

Le livre est court, lu en deux heures. Il m'a coupé le souffle. Littérairement, ce qu'y fait Annie Ernaux est exceptionnel. A partir d'un évènement, de corps qui se rencontrent et des conséquences sociales, personnelles, de cette rencontre, elle extrait un peu de l'essence de l'expérience féminine, de l'expérience humaine.


14 novembre 2022

Boudoir - Stephen Cohen, à Vidy

Un.e artiste à la figure étrange, avec un intrigant maquillage et une tenue super queer, pose et bouge lentement dans des décors insolite. Vous pouvez vous faire une idée en regardant la bande-annonce du show, ici :


On est allé le voir suite à un article très flatteur du Temps.




Comment ça se passe ?
Vous arrivez à Vidy, le beau théâtre au bord du lac. Vous devez laisser vos vestes et sacs dans le vestiaire car vous allez pénétrer dans un "lieu d'art, plein d'objets fragiles". Vous vous installez ensuite dans une salle de projection ou vous regardez quatre courts-métrages montrant la créature dans un atelier de taxidermiste (deux fois), au holocaust memorial et Johannesburg et au camp du Struthof. Puis vous pénétrez enfin dans le boudoir, la pièce pleine d'objets d'art fragiles (girafe empaillée, kitscheries religieuses, livres qui s'enflamment tous seuls) où l'artiste déambule dans des lumières étranges et un air pénétré.

Il ne se passe rien de plus que dans la bande-annonce. 
C'est narcissique on ne voit que luel, iel est le centre de tous les regards. C'est plein d' holocaust-porn. C'est parfois esthétique, tout le temps ennuyeux.
Au-dessus de l'entrée du boudoir, un panneau indique "réservé aux Blancs" (panneau venu de l'Afrique du sud originelle de Cohen). Il est assez juste, il n'y a que des Blancs dans la pièce.

Cecci s'est indignée de voir le spectateur enfermé sur un petit circuit balisé, comme en sortie scolaire ou bien dans une attraction Disney.  Elle a détesté ce solipsisme esthétisant, l'instrumentalisation aussi ego- qu’anthropo-centrée du vivant naturel, réduit à des éléments de parure. Et surtout, absence totale d’émotion face à cet artifice qui ne raconte rien d’autre que ce qu’on déteste, la construction de la figure de l’artiste comme esthète solitaire…

Seul moment touchant, sur une heure de show : le moment où le film laisse voir la main noire du taxidermiste en train de bosser.

C'est l'archétype de la programmation actuelle de Vidy : prétentieux et creux. Ou alors nous ne sommes vraiment pas les gens visés par ce genre de performance.
La meilleure idée du spectacle ? Les billets à prix choisi vendus en ligne.




06 novembre 2022

Les océanographes - à la grange de Dorigny




La grange de Dorigny est le théâtre de l'université de Lausanne. Un beau lieu, avec une salle très agréable, où nous avons déjà vu deux spectacles plutôt intéressants, mais pas chroniqués ici. Ce troisième spectacle s'appelle Les océanographes. Dans un décor de piles de papier, évoquant tout aussi bien les fonds marins que le bureau d'une universitaire, le spectacle met en scène tout d'abord Anita Conti, première femme océanographe, présentée comme un personnage plein de verve et d'esprit, un peu cabotin, observatrice très fine du travail des hommes en mer. Elle a voyagé plusieurs mois à bord d'un terre-neuva, le Bois rose, munie d'une caméra 16mm couleurs, et elle a rapporté des pages et des images d'observations fascinantes, poissons, tripes de poissons et marins.
"Le capitaine est debout 18 heures par jour. Il regarde les hommes. Un homme qui n'est pas regardé est perdu. Pire, il est mort." (citation de mémoire)
Suivent des projections d'images incroyables tournées par Conti.
La seconde partie du spectacle restitue les propose de deux autres scientifiques, plus modernes, toutes deux aussi utilisant des images venues du fond des océans.

Si, théâtralement, le spectacle était un peu figé, malgré un décor magnifique, il permet une grande plongée dans ce sujet des fonds marins, et, de manière plus générale, dans ce que c'est que le travail scientifique, comment on le fait, comment il nous prend et nous obsède, femmes comme hommes. En cela, et par ses explications sur le rôle de l'image dans le travail scientifique, Océanographes est une pièce tout à fait passionnante.

Petite note intéressante : ce spectacle, mettant en scène des femmes scientifiques, a une équipe créative (presque ?) entièrement féminine.

28 octobre 2022

La vie de Galilée - à la comédie française

Les lectreurs.rices de ces billets l'auront compris, ici, on aime bien le théâtre et en particulier la comédie française. L'auteur de ces lignes a un principe : quand on va voir du spectacle vivant, on aimera environ une fois sur deux. Nous sommes allés deux soirs de suite au théâtre, la première fois pour voir Gabriel, et c'était bien. La deuxième fois pour voir La vie de Galilée, de Berthold Brecht. Et bien c'était l'autre fois sur deux.

La vie de Galilée, notre première pièce de Brecht au théâtre, parle donc, spoiler alert, de la vie de Galilée, présenté comme un type plein d'idées, aimant la science, les mathématiques, sa famille, manger et dormir. Le sujet est quand même assez intéressant.

La mise en scène d'Eric Ruf, le boss de la Comédie, est pleine de pognon. 23 acteurs sur scène, décors énormes et compliqués, costumes de Christian Lacroix.

Nous avons tenu 1h30 et sommes partis à l'entracte. C'était pompeux, didactique, ennuyeux, pesant, sans intérêt.  Plein de blablabla et de trucs ridicules et embarrassants pour les acteurs et actrices sur scène.

Il y a un paquet d'années, on avait vu le Tartuffe, mis en scène par l'administratrice de l'époque de la CF. C'était plein de décors et d'acteurs et c'était nul. Il doit y avoir une malédiction liée aux mises en scène du chef...



La critique est toutefois flatteuse. Moi, j'ai l'impression d'avoir vu une pièce pour bourgeois. Pas mon truc.


Gabriel - au théâtre du vieux colombier

Gabriel est un "roman dialogué" écrit par George Sand dans les années 1830, et c'est une histoire assez cool. Gabriel est l'héritier du prince de Bramante, éduqué dans un chateau isolé dans tous les arts qu'un jeune homme de la renaissance italienne doit savoir maîtriser : monter à cheval, se battre l'épée, lire l'histoire héroïque des grands hommes. Petit détail, toutefois : sans le savoir, Gabriel est une femme, à qui on a fait croire qu'iel était un homme. Est-iel dupe ? Peut-être, peut-être pas... Et surtout, que se passe-t-il une fois que ce personnage noble, intransigeant, héroïque, entre dans le monde ?

On l'aura compris : c'est un beau sujet pour notre époque. Et un personnage intéressant. Et, ce qui ne gâche rien, une bonne histoire d'intrigues politiques, d'héritage, d'amour et de mort.

A partir de ce roman, la troupe de la Comédie Française a crée une pièce de théâtre (ce que voulait George Sand) en concentrant le récit sur huit personnages et en simplifiant l'intrigue. On a vu tout ça au Vieux Colombier, la salle de la rive gauche, et c'était super bien. Acteurs intenses et toujours excellents, avec une mention spéciale pour Claire de la Rüe du Can, dans le rôle titre, mise en scène énergique, costumes impeccables, scénographie pleine d'idées... On a vibré, on a tremblé, on a adoré.







27 octobre 2022

Indiens de conquistadores en Amérique du Nord - Jean-Michel Sallman

Le titre est un peu austère et sérieux, comme le livre, qui s'attache à décrire les expéditions des Espagnols en Amérique du Nord, au-delà de la Conquête de la Nouvelle Espagne sur la civilisation Aztèque. L'auteur y raconte les expéditions en Floride, dans les plaines du Mississippi et dans le nord du Mexique actuel, au cours du 16ème siècle.

Amateurs de récits de désastres, vous serez servis ! (moi, j'aime ça, c'est un de mes vices). Vous vous rappelez Aguirre, la colère de Dieu ? C'est pareil, en surmultiplié. Vous découvrirez une galerie de seconds couteaux des expéditions du Pérou investissant leurs gains dans le but de trouver leur civilisation à piller, persuadés qu'au coeur de l'île de Floride (oui, au début ils pensaient que c'était une île), on va trouver quelques cités peuplées de combattants néolithiques à plumes couverts de bijoux d'or, ou bien espérant découvrir des mines dans les Appalaches ou les plaines de Grand Fleuve. Tragiques erreurs de géographie, sous évaluation des distances, navires de ravitaillement qui font naufrages ou bien attendent en vain, lingots d'argent trouvés sur des Indiens qui promettent que, là bas, dans le Nord, il y en aura bien plus (alors que les Indiens on pillé ces lingots sur une épave espagnole, ha ha ha). Si ce genre d'histoire vous plaît (comme c'est le cas pour moi), si ça vous fait rêver, si ça vous donne envie d'envoyer des expéditions de PJs patauger dans des des jungles ou des marécages en se demandant à quel moment ils s se sont trompés de direction, alors ce livre vous plaira, d'autant que l'auteur ne manque pas de talent pour le récit (sans cynisme, ni méchanceté, je tiens à le dire).
On y retrouvera l'expédition de Panfilo de Narvaez, que j'avais découverte il y a un paquet d'années à travers l'incroyable témoignage d'un des seuls survivants, Cabeza de Vaca (une histoire dingue !), puis l'expédition de Hernando de Soto entre la Floride, les Appalaches, la plaine du Mississippi, où tout se passe mal. Les tentatives de huguenots français Ribaud et Labaudière de s'établir en Floride dans un creux entre deux guerres de religion (spoiler alert: ils s'y prennent plutôt bien, mais les Espagnols eux, le prennent mal, et les tuent tous) et enfin l'expédition dans le nord du Mexique de Vasquez de Coronado (vous vous rappelez le début d'Indiana Jones et la dernière croisade ? la croix de Coronado, sa place est dans un musée, tout ça, ben c'est lui).
Les derniers chapitres sont des synthèses traversant différents thèmes : la constitution et la logistique des expéditions (très bien pour les rôlistes), les motivations des conquistadores (argent, conversion...) et ce qu'on peut saisir de la perception des actions des natifs (qui n'étaient pas tous des tendres). J'ai bien aimé aussi voir se glisser dans ces récits des visiteurs imprévus, un archer anglais avec De Soto, des esclaves africains qui se barrent chez les Indiens, d'autres qui s'efforcent de devenir des chamanes d'élite, des femmes indiennes qui fuient leur mari chez les conquistadores, des Espagnols qui en pincent pour des locales et désertent les expéditions... Des petites histoires cachées dans les plus grandes histoires.

Tout ça fait un excellent travail, que j'ai adoré lire.



26 octobre 2022

Conversation avec un métis de la Nouvelle Espagne -- Serge Gruzinski

 

Par le même auteur que le bouquin précédent, un livre qui s'inscrit, en historien, dans la lignée de Yourcenar.
L'auteur s'intéresse à Diego Muñoz Camargo, auteur mineur du XVIème siècle "mexicain", connu pour deux livres décrivant sa région de naissance (le pays tlaxcaltèque) à l'intention de la couronne espagnole. A partir de ces livres "américains" écrits par un homme fils d'un conquistador et d'une Indienne, Serge Gruzinksi essaie de reconstituer sa perception et sa vision du monde, sous la forme d'une "conversation" artificielle à travers le temps (questions de l'historien auquel "répond" Diego par des extraits de ses deux livres) assortie d'une importante glose.
Cet aspect littéraire du livre n'est pas le plus intéressant ni le plus réussi, mais il oriente efficacement le livre dont les considérations sont passionnantes.
Tout comme un humain informé du XXIème siècle, Diego vit dans un monde dont les perceptions sont en plein bouleversement. Tout change, tout s'effondre, on meurt beaucoup, des opportunités s'ouvrent, le cadre de référence se bouleverse...
Diego est un homme qui connaît très bien les anciennes cultures mexica et tlaxcaltèques, il est en contact avec les anciennes familles nobles (dont il épousera une fille), il a rencontré des gens ayant connu la conquête de Cortes et le monde d'avant, il s'est fait rapporter de nombreux récits qui forment une partie de son cadre intellectuel. Il parle aussi plusieurs langues locales, en plus de l'Espagnol, connaît sans doute quelques mots de latin, a été éduqué dans un cadre intellectuel catholique (avec présence de l'inquisition) avec références à l'antiquité, qu'il est capable de citer.
Il perçoit le monde depuis la Nouvelle Espagne, mais s'est rendu devant le roi Philippe II vers 1580. Il est aussi éleveur (riche), commerçant, essaie de comprendre la nouvelle échelle du monde, à travers les expéditions d'exploration (comme celle de Coronado, qu'il rapporte), voit l'intérêt du contact trans-pacifique avec les Philippines et la Chine, comprend le lien avec le Pérou...


Le livre ouvre de belles perspectives pour se plonger dans une époque fascinante, la sienne, la nôtre.

25 octobre 2022

Le destin brisé de l'empire aztèque - Serge Gruzinski

 

Comme souvent dans cette collection, le livre est superbement illustré et rédigé par un expert du domaine. Les annexes contiennent par ailleurs de nombreux extraits de textes d'époques, aussi bien des récits aztèques que des textes de conquistadores ou bien des histoires ultérieures.
Je n'avais de la conquête de l'empire Aztèque par Cortès qu'une image assez simple et cliché, animée par une question simple: comment une bande de quelques centaines d'Espagnols, même résolus, a pu faire tomber un empire dont la capitale avait 300 000 habitants ?
Le livre commence par décrire les origines toltèques de l'empire des Mexicas et la référence, dans tous les peuples de la région, à la mythique cité de Tula. Avant l'arrivée des Espagnols, la région est très dynamique politiquement avec l'émergence récente des Mexicas (vieille d'à peu près un siècle) qui construisent une fragile coalition, basée autour de trois cités dont la principale est Tenochtitlan, qui contrôle l'essentiel du Mexique central par un mécanisme de tributs et de guerres ritualisées (notamment contre des petits états maintenus en place pour servir de cible à la guerre fleurie, comme Tlaxcala). Cet empire sans roue ni communications rapides est basé sur des équilibres fragiles que les Espagnols viennent bouleverser, en se glissant habilement dans les alliances du temps (et en se comportant comme des brutes). Les épidémies viendront plus tard, bouleversant les équilibres démographiques.
Le livre s'attache à décrire le devenir des anciennes élites indigènes et essaie de montrer comment, une fois leur cadre de référence détruit (fournir du sang pour mon maître Arioch pour les dieux en quantité), les anciennes élites religieuses et nobiliaires se glissent soit dans la "collaboration" avec les Espagnols, en acceptant les cadres de référence, ou avec les moines franciscains (pour les élites des villages), et deviennent des sujets du roi d'Espagne (Charles Quint, puis Philippe II ou Philippe IV, le roi-planète).
Un petit ouvrage court et passionnant, remarquable initiation à l'époque.



12 octobre 2022

Le grand cahier -- à la comédie de Genève

Nous sommes allés voir ce seul en scène à la Comédie de Genève, l'occasion pour moi de découvrir ce théâtre. Valentin Rossier, metteur en scène et acteur, planté au milieu de la scène avec un micro, joue le texte d'Agota Kristof, que je me rappelais avoir beaucoup aimé. J'en rappelle la teneur : deux enfants, des jumeaux, envoyés à la campagne dans un pays générique d'Europe centrale, durant la seconde guerre mondiale, rapportent leurs expériences terrifiantes sans affects ni subjectivité. 

C'est un texte dur, plein de scènes crues et violentes. Valentin Rossier parvient à lui donner vie, dans un dispositif minimal mais efficace. On se laisse prendre par la voix, la parole, le rythme, on est saisi par les nappes de son, emmenés dans la vie amère de ces personnages. J'en suis ressorti secoué et saisi, par un récit qui m'a rappelé, par sa cruauté, et une certaine drôlerie (si, si), les Saisons de Maurice Pons.

Spectacle à partir de 14 ans, mais si vous y emmenez des jeunes gens sensibles, (re)lisez le roman avant. Certaines scènes peuvent être choquantes.


11 octobre 2022

OSS117, le Caire, nid d'espions -- Michel Hazanavicius

Quelques mots sur ce film. C'est entièrement de la faute du podcast Une invention sans avenir que je l'ai regardé (écoutez ce podcast, c'est très intéressant !), j'en étais curieux depuis un moment. Je ne vais pas en dire grand chose d'intelligent : c'est très bien fait, la reconstitution d'un film d'aventures des années 60 est épatante. Pré générique en N&B, générique très graphique, nuits américaines, scènes de bagarre "à l'ancienne", belle image. Dujardin campe un personnage d'imbécile magnifique... mais je n'ai pas aimé.

Je crois que j'aime le concept. Que sur quinze minutes denses de ce genre, ça m'aurait plu, mais que le pastiche/parodie étiré sur 1h40 m'ennuie. J'avais envie de voir un vrai film d'aventures des 60s. Je ne m'y attendais pas, mais au milieu du visionnage j'ai eu envie d'interrompre et de regarder un vieux James Bond, genre Goldfinger ! (film revu il y a peu avec les enfants qui ont trouvé ça ringard, macho et assez très con, alors que je trouvais le film classieux, même au re-
visionnage.)




Par le fer et par le feu -- Alexandre Jubelin

Celui-ci, je l'ai acheté suite à des mentions sur les réseaux sociaux et à l'écoute de l'émission qui lui est consacrée sur paroles d'histoire. Nom de bleu, je deviens victime de la hype ! Je lis un essai d'histoire militaire juste à sa sortie, sans même l'avoir reçu en SP !

Comme le titre l'indique, le livre, issu d'une thèse de doctorat, s'intéresse au combat dans l'Atlantique entre le 16ème et le milieu du 17ème siècle, en gros la transition entre les combats à l'arme blanche (et bombes incendiaires et...) et le combat de ligne. L'angle d'approche est le combat perçu à hauteur d'homme dans le but peut-être de le dé-romantiser et d'en faire percevoir l'horreur et la terreur. L'auteur tente de nous faire sentir tout ce que pouvait représenter l'expérience d'un tel affrontement où se mêlaient boulets de canons (pas fiables), tirs d'arquebuses, coups de trompettes, coups de pique, etc. Il fait sentir la transition entre le moment où les bateaux avaient des chateaux avant et arrière (vous avez ces images de grosses caravelles en tête ?) et le moment où ils deviennent des plateformes d'artillerie plus ou moins standardisées.

Les chapitres passent de la description des navires, des canons, de l'organisation du navire, jusqu'à l'approche, les stratégies navales, les échanges de tirs, l'abordage, le milieu du combat, la fin du combat. C'est mené d'une façon organisée et un peu systématique, avec de nombreuses citations passionnantes (dont celles de Cervantès, dont j'avais oublié qu'il parlait si bien du combat naval).

C'est un boulot solide, intéressant, notamment pour les rôlistes (je vous vois, les gens), pour mieux raconter ce genre de moment, même si, l'auteur le dit dès l'introduction, on ne parle pas ici de pirates, parce que de toute façon les pirates sont surtout des objets de fiction. Mais, je vous rassure, le bouquin contient plein d'idées pour raconter vos abordages de pirates quand même, désolé Alex.




10 octobre 2022

Interview with the vampire - Neil Jordan


J'avais vu celui-ci à sa sortie, deux fois. J'étais fan ! Et j'en gardais un souvenir d'un film classe, avec Tom Cruise vraiment très bon. (Tom Cruise est un de ces acteurs que je n'aime pas, comme Tom Hanks, ou Depardieu, dont je suis bien obligé d'admettre qu'ils se débrouillent souvent très bien.) On a eu la drôle d'idée de vouloir montrer interview... aux enfants. Après tout, le roman a révolutionné le récit de vampires et puis c'était vraiment notre trip quand on avait la vingtaine.

Trente ans après, qu'en reste-t-il ? La photo est super belle, les costumes "très classes" (dit Rosa), c'est plutôt bien écrit (si, si), Tom Cruise est effectivement très bon, et Kirsten Dunst, épatante dans ce rôle de gamine. La relation à la petite fille vampire est l'axe le plus dérangeant et le plus effrayant de ce récit et le personnage est beau et fait peur. Je n'avais pas noté à l'époque, parce que je ne connaissais pas ces ambiances, combien ce récit est du vrai Southern gothic, avec humidité moite et marais déliquescents. Et, en fait, j'aime encore plutôt l'histoire que ça raconte, cette angoisse de gens plongés dans la nuit - la visite de Louis au cinéma, à la fin, m'a vraiment ému.

Pour ce qui est des limitations : le vampirisme comme allégorie/métaphore sexuelle, je n'y arrive plus. Je sais que c'est, en quelque sorte, à la base du genre, mais ça ne me parle plus du tout. Le film est super lourd sur cet aspect : les filles poussent des gémissements orgasmiques quand on les mord, Louis et Lestat sont un couple gay, les vampires parisiens un club de violeurs en série, la prédation vampirique s'exerce surtout sur de belles femmes avenantes... Et, en passant, le film ne passe pas le test de Bechdel.

Je ne renie pas, j'ai aimé le revoir et le moi d'il y a trente ans aimait beaucoup et ce film, et les (deux premiers) romans d'Anne Rice qu'il a lu plusieurs fois, et j'ai joué des histoires de vampires. Mais maintenant ça ne me parle plus du tout. On vieillit, c'est comme ça.

"C'était à la fois ridicule et dégoûtant. J'ai vraiment préféré Twilight", dit l'une de nos jeunes spectatrices. Argh.




05 octobre 2022

L'écluse numéro 1 -- Georges Simenon

 

Encore un vieux poche qui sent le vieux, lu entre trains et gares, entre la Suisse et la France. Très Simenon, donc.

Ca se passe en 1933, près de l'écluse de Charenton, et Maigret va prendre sa retraite, et il ne s'appelle pas Jules. (je découvre qu'il a existé plusieurs commissaires Maigret, et ça me réjouit). La description de la vie au bord des canaux, de tout le business de trafic fluvial, de l'empire commercial d'Emile "Mimile" Ducrau, tout somme très juste et très fort.

L'intrigue n'est pas fortiche, tout tourne autour du portrait psychologique d'Emile qui m'a vite gonflé : cette introspection de la virilité années 30, en fait, bof. Et trois viols dans le récit, quand même, dont deux considérés comme "normaux", beurk. 

Mais le portrait des lieux, les ambiances, Dieu quel talent !

04 octobre 2022

Maigret au Picratt's


On l'a vu, je lis des Maigret de temps en temps. Mes parents et mes grands-parents lisaient ces romans de Simenon, que je me rappelle avoir aperçu en diverses éditions durant mon enfance. Et autant ils m'ont transmis le goût du detective novel (Sherlock Holmes, Agatha Christie ou John Dickson Carr, en allant jusqu'aux élucubrations rigolotes de Harry Dickson), autant je ne me rappelle pas avoir jamais eu envie de lire Maigret. Ca m'avait l'air gris et ennuyeux.

Depuis j'ai découvert la plume de Simenon et j'essaie de ne lire Maigret que dans des vieux poches trouvés en bouquiniste (car je suis snob, ou snop, c'est selon). Simenon a un talent dingue pour brosser des ambiances, des portraits, décrire des façon de vivre, des quotidiens pluvieux. Maigret au Picratt's se passe autour d'un tout petit cabaret de Pigalle où l'on ne boit que du champagne (200 références à la carte, cinq à la cave) et où on regarde une jolie fille se déshabiller tandis qu'un petit orchestre joue un jazz quelconque. Et la jolie fille meurt, étranglée, après avoir fait une déposition bizarre au commissariat, et Maigret parcourt le quartier de long en large jusqu'à coincer le tueur.
La vie du cabaret est très bien rendue, à la fois exigue, bourgeoise, tranquille, étrange. Les personnages sonnent justes et vrais et l'intrigue marche plutôt très bien, avec un beau suspense final. J'ai vraiment beaucoup aimé, et même admiré, et même envié ce grand savoir-faire d'écrivain. Au point, en arrivant ce matin à la gare de Lausanne, de me mettre à vouloir décrire les lieux de manière simenonesque.
Mais...
TW, viol, comme on dit.
Je sais que je lis ce livre en post metoo et que je suis un mâle blanc cisgenre hétéro déconstruit. Et ce roman pique les yeux. Si Maigret est un brave type et un bon bourgeois conservateur fidèle à sa femme, on voit un des personnages présenté comme plutôt sympathique violer tranquillement ses employées dans la cuisine (si, si) avec le commissaire, relax, qui fume sa pipe dans la pièce à côté.

01 octobre 2022

Le moulin d'Andé

Ce blog parle de films, de livres, de spectacles, expos et même parfois de séries depuis une petite vingtaine d'années. J'y garde trace de mes découvertes comme de mes déceptions, comme sur une forme de journal.

Je vais y poser ce soir quelques mots sur un lieu et sur une personne qui a compté pour moi.

Le moulin d'Andé est un endroit très beau, enchanté, posé sur les bords de la Seine. Toutes sortes de merveilles y ont eu lieu : des concerts, des pièces de théâtre, des fêtes. Des cinéastes, des écrivains y sont passés, y ont vécu. Truffaut, Perec, Maurice Pons, et beaucoup d'autres.

J'ai eu la chance d'y vivre des moments très forts de ma propre vie et d'y rencontrer Suzanne Lipinska, qui avait fait de ce lieu sa vie et son oeuvre. Elle est décédée hier, à l'âge de 94 ans.




Je pourrais écrire sur le moulin et sur Suzanne. Je crois que je l'ai déjà fait, tout comme beaucoup d'autres.

Le moulin est dans chaque lieu beau et enchanté, à l'écart où les protagonistes, un instant, se reposent. Dans chaque dernière maison avant la fin du monde, tenue par une femme forte et volontaire. Il est en moi, en nous.

Merci pour tout, Suzon.













15 septembre 2022

La cité des illusions - Ursula Le Guin

Ce billet est une reprise du petit fil twitter consacré à ce roman.

J'ai donc fini de lire la cité des illusions, de la "série" sur l'Ekumen, dans une vielle édition Pocket moche avec les dialogues typographiés avec tirets ET guillemets (bizarre). 

L'histoire est assez intéressante, une SF "post cataclysme" proche du conte philosophique. Un jeune homme sans mémoire quitte une utopie agraire pour se rendre à la cité découvrir qui il est. Les thèmes : vérité et mensonge, le mensonge pour dominer, la vérité pour y voir clair. 

Quelques éléments imaginaires que j'aime bien, et d'autres que je n'aime pas: les persos féminins sont dans des rôles féminins classiques (épouse, soigneuse, maîtresse) (bof). Il y a des pistolets laser et des personnages avec des yeux de chats (re-bof). Mais c'est anecdotique. 

Il est touchant de voir la jeune autrice UKLG essayer des trucs qu'elle réussira bien mieux plus tard: la création de structures sociales aux concepts étrangers, de personnages aux réactions bizarres mais qui s'expliquent plus tard... 
#PetitSpoiler : à noter aussi l'infodump vraiment maladroit pour relier son roman à "Planète d'exil", avec le héros "descendant" du héros du roman précédent.

L'ensemble est assez bancal, avec un délire bizarre sur la télépathie, à la fin. Le thème était tendance, à l'époque, non? (c.f. Darkover, de Marion Zimmer Bradley, ou bien Pern...), alors qu'il ne m'inspire plus rien du tout.  A croire qu'il a aussi cessé d'inspirer l'autrice dans ses romans suivants (rien de mal à ça, nos envies vont et viennent).
Il est impressionnant de voir que le suivant, chronologiquement, est la Main gauche de la nuit.
La cité... est un roman mineur, et reste une lecture intéressante, notamment mise en perspective avec les autres livres du "cycle". Je conclus avec cette citation bien connue :

 « Le fait est qu'il n'y a pas de cycle ou de saga. Ils [les textes] ne forment pas une histoire cohérente. Il y a quelques connexions claires entre eux, oui, mais d'autres sont extrêmement troubles. Il y a aussi quelques grandes discontinuités (par exemple qu'est devenue la télépathie après La Main gauche de la nuit ? Qui sait ?) »

07 septembre 2022

Alien -- Ridley Scott

Dans notre tentative de faire découvrir des classiques à notre descendance, voici Alien, vu avec Marguerite (Rosa n'avait pas envie d'avoir peur). J'ai revu ce classique un avec un très grand plaisir : c'est beau, bien écrit, fait avec amour jusque dans les petits détails, et j'ai de nouveau accroché à l'histoire. Marguerite (14 ans) a elle aussi beaucoup aimé, notamment la qualité des personnages et le fait qu'il n'y ait "pas d'histoire d'amour entre les membres de l'équipage".


05 septembre 2022

The Sandman -- sur Netflix

Je dois avouer, j'aime bien Sandman, la BD, mais sans plus. Je comprends pourquoi beaucoup la trouvent géniale, j'apprécie l'ambition de l'oeuvre, je trouve Neil Gaiman très sympathique et intelligent, et j'aime bien, sans être fan. J'étais quand même très curieux de voir la version série, appréciée par de nombreux copains d'Internet et du vrai-monde (tm).



Et bien, c'est pas mal.

Le premier épisode est très réussi, avec son vieux magicien. Le Sandman est très beau, l'acteur est juste, l'ambiance pesante et lourde, certains éléments du récit sont bien amenés, et on a envie de voir la suite.

La série qui suit, sur la récupération des trucs et des machins de Mr. Black m'a beaucoup moins convaincu. Narration pesante, seconds rôles crappy (argh, Johanna Constantine), inclusion pas très fine de la diversité (des couleurs de peau et des sexualités) dans le récit (ça se voit, les mecs). Avec, comme cauchemar de lourdeur, l'épisode avec Dee dans le diner, épisode dont je suis fan dans la BD et dont Marguerite, dont le jeune âge n'exclut par une certaine lucidité, a dit: "c'est lourd et ça se traîne".

Les principaux défaut des épisodes, selon mon avis aiguisé : La trop grande fidélité au matériau original, qui mène à du fan service mal fichu, cumulée à une inclusivité vraiment maladroite (quand le récit original l'était déjà pas mal).

Ca redevient bien dans la deuxième partie de l'épisode avec Death, le rendez-vous à travers le temps. L'arc the The Doll House est pas mal, certains acteurs sont top (le Corinthien, Gilbert), d'autres très moyens (Rose, Lyta Hall et les autres habitants de la maison), mais c'est moins bavard et plus intéressant que tout le reste. Et, curieusement, un des éléments les plus absurdes de ce récit (le congrès des céréales) est très bien rendu et très drôle et flippant à la fois. Comme on bon récit de Gaiman, pourrait-on dire.

Pas encore vu l'épisode bonus.

En gros, Cecci, Marguerite et moi avons pas mal bitché sur ce spectacle, mais nous avons eu quand même du plaisir à le regarder. Si une seconde saison voit le jour, on la suivra !



29 août 2022

Planète d'exil -- Ursula Le Guin


Des visiteurs venus d'un monde sophistiqué survivent sur une planète au niveau technologique paléolithique, en se tenant à distance des Hilfe, des hominidés différents, nés sans doute d'une précédente colonisation. Le monde en question a des années longues de soixante années terriennes, avec de très longs hivers, on se croirait dans le monde games of thrones. Et une jeune femme hilfe, Rolerie, va s'éprendre du jeune chef des colons, Jacob Agat Autreterre.

Ce court roman ne déparerait pas dans une collection jeunesse. Il brasse des thèmes familiers, des images classiques. On aperçoit les origines terriennes dans les noms des colons, et une éthique liée à leur mission d'observation. Les personnages sont entiers, dessinés à gros traits. L'histoire d'amour, de migration et de combat est très simple. C'est un court livre sympathique, loin des chefs d'oeuvre du cycle de Hain que son les Dépossédés, la Main gauche de la nuit ou le Dit d'Akka

Au-delà de cela, le lecteur intéressé par la formation des idées pourra voir dans ce petit livre plus malin qu'il en a l'air plein d'idées qui seront développées plus tard. Les visiteurs ne sont pas des "colons", ils ont une éthique de diffusion de la technologie. Ce ne sont pas encore les visiteurs anthropologues des romans suivants, mais les idées sont là. Les différences culturelles sont traitées avec un peu de maladresse, des personnages secondaires énoncent les idées de l'autrice sans trop de finesse, quand on compare aux autres romans d'ULG.

Un autre point qui m'intéresse : la cohérence. En tant que rôliste de souche tolkiennienne (les vrais savent), j'ai été un obsédé de la cohérence des mondes. Il a fallu les récits de Yirminadingrad pour faire sauter ce besoin de ligoter les récits entre eux. Je pense que le besoin de cohérence, le fait "d'explorer des aspects de l'univers" en en respectant la bible est une stérilisation de l'imagination.

Je pense qu'Ursula s'en foutait. Son cycle de Hain n'est pas un vrai cycle, pas une suite de romans. Chaque roman est cohérent avec lui-même, mais par ex., Planète d'exil ne colle pas vraiment avec le dit d'Akka. Et on s'en moque. Ces romans sont reliés dans un grand-récit rêvé et flou dont la lectrice comblera les manques et les incohérences et que l'autrice n'expliquera jamais.


27 août 2022

Blackwater -- Michael McDowell


Pour être honnête, je me suis fait avoir. J'aime les beaux livres comme certains personnages de la série Blackwater aiment les bijoux, et l'éditeur Monsieur Toussaint Louverture fabrique de beaux livres. Les couvertures, à mi-chemin entre le tatouage et la carte à jouer ((c) Munin, merci), la tenue en main, la mise en page, le plan de la ville au début...

Les copains en parlaient sur Internet, j'ai pris le premier sur une pile dans une librairie, "juste pour voir", et je les ai ensuite dévorés un par un, jusqu'au sixième, n'achetant le tome suivant qu'une fois fini le précédent. Pourtant, je ne suis pas client du feuilleton et je crache volontiers sur ce type d'écriture.

Pour mes lecteurs et lectrices paresseux et ne voulant pas chercher des infos ailleurs, Blackwater est une série de 6 romans, une saga familiale fortement teintée de fantastique qui se déroule dans une ville semi-imaginaire du sud de l'Alabama. La série ressort du genre du Southen Gothic: vieilles maisons coloniales, thé glacé que l'on boit sous les porches, marécages gluants, étés trop chauds, relations familiales un peu bizarres, vieilles dames excentriques, serviteurs noirs... Si vous n'aimez pas ces ingrédients, passez votre chemin.

Tout commence lors de l'inondation de la ville en 1919, quand le jeune fils de la plus riche famille explore les étages supérieurs des bâtiments engloutis et découvre, au premier étage de l'hôtel, une belle jeune femme qui attendait d'être sauvée. Comment Elinor, cette jeune femme, va être accueillie par la famille d'Oscar, le jeune homme, comment ils vont s'aimer et comment tout cela va bouleverser la communauté, voilà le sujet du récit, qui nous emmènera, au fil des volumes, des naissances, des morts, des crimes, etc., jusque vers la fin du 20ème siècle.

J'ai marché à fond. C'est très bien fait, très habile, par un auteur au sommet de son art. C'est de la pure littérature divertissante, pas idiote du tout, souvent drôle, caustique, effrayante... jouant sur plein de registres. Avec des personnages de femmes bien écrits et très forts.

Après la fin du tome III, ça devient moins bon, le niveau de méchanceté baisse, mais j'ai quand même tout lu, tout dévoré, parce que je voulais savoir ce que devenaient mes nouveaux amis Caskey (dont aucun, en vérité, sauf peut-être Oscar, n'était vraiment sympathique, salauds de riches !)







26 juillet 2022

Le nom du monde est forêt -- Ursula Le Guin


Je viens de lire le dit d'Aka, j'en parle ici, et il est édité au livre de poche dans le même volume que le nom du monde est forêt, un des premiers livres d'Ursula Le Guin que j'ai découvert adolescent. Celui-ci, dont le pitch et la structure du récit ont inspiré Avatar (dont je pense du mal avec une grande vigueur) est peut-être le plus simple des romans d'Ursula du cycle de l'Ekumen. C'est une fable anticolonialiste assez simple et dont le récit se termine comme les anticolonialistes voudraient qu'ils se terminent (c'est-à-dire pas comme sur Terre). Un des personnages est un méchant militaire colon méchant (j'ai dit qu'il était méchant ?), sans doute le personnage le moins fin jamais écrit par notre grande dame de la SF. La description de la culture autochtone est par contre tout à fait étonnante, de même que son principal protagoniste, rêveur éveillé capable de ramener dans le monde de l'éveil des idées et des concepts venus du rêve, et devenant par là un dieu.
Je fais un peu la fine bouche, mais ça reste un roman remarquable, très bien écrit, souvent palpitant et une très bonne intro à l'univers de l'Ekumen (dont je pense qu'il n'est pas entièrement cohérent d'un roman à l'autre et que, vous savez quoi ?, on s'en fiche).

Le dit d'Aka - Ursula Le Guin


Suite de mon exploration, ou de ma ré-exploration des romans d'UKLG, celui-ci lu sur le conseil de luvan. Le dit d'Aka appartient au cycle de Hain et voit Sutty, une terrienne envoyée de l'Eukumen tenter de comprendre pourquoi sur la planète Aka les modes de vie et les philosophies anciennes ont disparu brutalement après le contact d'Aka avec les vaisseaux de l'Eukumen. Après avoir fini le roman, je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question, mais j'ai adoré suivre cette linguiste ethnologue dans sa recherche et son exploration d'un monde autre, et, comme toujours chez Le Guin, fascinant. J'ai aimé ce roman par ce qu'il laisse percevoir du mystère des autres cultures, des autres êtres humains, parce qu'il dit de nos relations avec ces ailleurs, comment nous aimons nous y laisser entraîner et parfois piéger.

25 juillet 2022

Le livre écorné de ma vie -- Lucius Shepard


Ce qui est bien dans ce livre : l'écriture, souvent inspirée, capable de transmettre des sensations complexes. La couverture. Le concept bien fumé du récit (que je ne spoilerai pas). Le reste, je n'ai pas aimé (le narcissisme littéraire, vrai ou simulé, le Cambodge vu par les yeux d'un occidental,  le sexe/drogue/violence, la re-descente du fleuve en bateau...). J'ai de la sympathie pour Lucius Shepard et j'ai vraiment beaucoup aimé certains de ses récits, mais pas celui-ci. 

12 juillet 2022

L'anomalie -- Hervé Le Tellier

 

J'ai lu un Goncourt !

Celui-ci est arrivé précédé d'une réputation flatteuse. Original, romanesque, science-fiction... On nous présente une galerie de personnages, puis, vers le premier tiers, un évènement très étrange qui va bouleverser leur vie à tous, le genre d'évènement qui se produirait dans le premier épisode d'une série un peu weird.

Les personnages sont très bien écrits, avec grand talent. Ils sont presque tous des héros de film, film américain pour certains, film français rive gauche pour d'autre, il manque le film social. L'auteur les plante en un chapitre chacun, très bien arrangé, qui nous en dit beaucoup et nous dit juste ce qu'il faut, un peu à la façon de Léo Henry au début du Casse du continuum. J'admire.

Après cette mise en jambe remarquable, il y a l'évènement, l'anomalie du titre. L'auteur a des lectures, des références, alors il relie le truc à un paquet d'idées SF puis, après ça, nous dit clairement qu'il n'en a rien à faire de l'explication, et c'est à peu près à ce moment que je n'en ai eu plus rien à faire du roman (je ne sais pas si c'est lié : il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l'intelligence, et même le génie, c'est l'incompréhension, je vous laisse admirer). Après, c'est bla, bla, bla, conséquences pour personnage 1, pour personnage 2, personnage N, et fin du roman, qui est trop court pour que j'aie le temps de m'ennuyer.

C'est fait avec beaucoup de métier, c'est distrayant et au final, aucune patte de canard n'a été brisée durant la lecture.




08 juillet 2022

The Irishman -- Martin Scorsese

 Martin Scorsese est vieux. Robert de Niro est vieux. Al Pacino est vieux. Joe Pesci est vieux. Martin fait revivre le monde de little Italy et des gangsters en rajeunissant numériquement tous ces gens, puis en les emmenant vers la vieillesse et la mort. C'est parfois marrant au début et ça devient long et sépulcral. Ca m'a plu quand même. Plus le temps passe, plus Sheeran l'Irlandais, joué par Bob de Niro, a un air de Droopy dépressif. On comprend que sa famille lui fasse la gueule.

J'ai appris plein de truc sur l'histoire du crime et des US, et qui était Jimmy Hoffa. La balade valait le coup.