16 novembre 2022

Mémoire de fille -- Annie Ernaux


Comme il y a des lives d'Annie Ernaux en vue dans les librairies, Cecci en a pris un, Mémoire de fille. Comme souvent (toujours ?) chez Ernaux, le sujet en est l'exploration systématique d'un souvenir/d'une série de souvenirs, accompagné d'une réflexion sur l'écriture de la mémoire.


Donc: été 58, la jeune Annie Duchesne, 17 ans, élevée en école catho et très bonne élève, devient animatrice de colonie de vacances. Dès le premier soir et la première fête des moniteurs, elle se fait serrer par le chef moniteur qui l'emmène dans sa chambre et a une relation sexuelle avec elle (la première de la jeune fille). 
Mémoire de fille est le livre par lequel, 40 ans après, une femme tente de retrouver la jeune fille de dix-sept ans qu'elle fut, explorant cette première rencontre sexuelle et ses conséquences durant les années qui suivent. Ca pourrait être voyeur et narcissique, très littérature française, et ça ne l'est pas du tout. Ce n'est pas tire-larmes, ça ne cherche pas à attirer la sympathie de la lectrice, ce n'est pas le récit d'un trauma exceptionnel. 

Le livre est court, lu en deux heures. Il m'a coupé le souffle. Littérairement, ce qu'y fait Annie Ernaux est exceptionnel. A partir d'un évènement, de corps qui se rencontrent et des conséquences sociales, personnelles, de cette rencontre, elle extrait un peu de l'essence de l'expérience féminine, de l'expérience humaine.


14 novembre 2022

Boudoir - Stephen Cohen, à Vidy

Un.e artiste à la figure étrange, avec un intrigant maquillage et une tenue super queer, pose et bouge lentement dans des décors insolite. Vous pouvez vous faire une idée en regardant la bande-annonce du show, ici :


On est allé le voir suite à un article très flatteur du Temps.




Comment ça se passe ?
Vous arrivez à Vidy, le beau théâtre au bord du lac. Vous devez laisser vos vestes et sacs dans le vestiaire car vous allez pénétrer dans un "lieu d'art, plein d'objets fragiles". Vous vous installez ensuite dans une salle de projection ou vous regardez quatre courts-métrages montrant la créature dans un atelier de taxidermiste (deux fois), au holocaust memorial et Johannesburg et au camp du Struthof. Puis vous pénétrez enfin dans le boudoir, la pièce pleine d'objets d'art fragiles (girafe empaillée, kitscheries religieuses, livres qui s'enflamment tous seuls) où l'artiste déambule dans des lumières étranges et un air pénétré.

Il ne se passe rien de plus que dans la bande-annonce. 
C'est narcissique on ne voit que luel, iel est le centre de tous les regards. C'est plein d' holocaust-porn. C'est parfois esthétique, tout le temps ennuyeux.
Au-dessus de l'entrée du boudoir, un panneau indique "réservé aux Blancs" (panneau venu de l'Afrique du sud originelle de Cohen). Il est assez juste, il n'y a que des Blancs dans la pièce.

Cecci s'est indignée de voir le spectateur enfermé sur un petit circuit balisé, comme en sortie scolaire ou bien dans une attraction Disney.  Elle a détesté ce solipsisme esthétisant, l'instrumentalisation aussi ego- qu’anthropo-centrée du vivant naturel, réduit à des éléments de parure. Et surtout, absence totale d’émotion face à cet artifice qui ne raconte rien d’autre que ce qu’on déteste, la construction de la figure de l’artiste comme esthète solitaire…

Seul moment touchant, sur une heure de show : le moment où le film laisse voir la main noire du taxidermiste en train de bosser.

C'est l'archétype de la programmation actuelle de Vidy : prétentieux et creux. Ou alors nous ne sommes vraiment pas les gens visés par ce genre de performance.
La meilleure idée du spectacle ? Les billets à prix choisi vendus en ligne.




06 novembre 2022

Les océanographes - à la grange de Dorigny




La grange de Dorigny est le théâtre de l'université de Lausanne. Un beau lieu, avec une salle très agréable, où nous avons déjà vu deux spectacles plutôt intéressants, mais pas chroniqués ici. Ce troisième spectacle s'appelle Les océanographes. Dans un décor de piles de papier, évoquant tout aussi bien les fonds marins que le bureau d'une universitaire, le spectacle met en scène tout d'abord Anita Conti, première femme océanographe, présentée comme un personnage plein de verve et d'esprit, un peu cabotin, observatrice très fine du travail des hommes en mer. Elle a voyagé plusieurs mois à bord d'un terre-neuva, le Bois rose, munie d'une caméra 16mm couleurs, et elle a rapporté des pages et des images d'observations fascinantes, poissons, tripes de poissons et marins.
"Le capitaine est debout 18 heures par jour. Il regarde les hommes. Un homme qui n'est pas regardé est perdu. Pire, il est mort." (citation de mémoire)
Suivent des projections d'images incroyables tournées par Conti.
La seconde partie du spectacle restitue les propose de deux autres scientifiques, plus modernes, toutes deux aussi utilisant des images venues du fond des océans.

Si, théâtralement, le spectacle était un peu figé, malgré un décor magnifique, il permet une grande plongée dans ce sujet des fonds marins, et, de manière plus générale, dans ce que c'est que le travail scientifique, comment on le fait, comment il nous prend et nous obsède, femmes comme hommes. En cela, et par ses explications sur le rôle de l'image dans le travail scientifique, Océanographes est une pièce tout à fait passionnante.

Petite note intéressante : ce spectacle, mettant en scène des femmes scientifiques, a une équipe créative (presque ?) entièrement féminine.