21 février 2022

Annette -- Leos Carax

J'ai eu envie de voir ce film en écoutant l'excellent podcast une invention sans avenir. Sans les avis enthousiastes des chroniqueurs, je n'aurais sans doute pas osé : je ne connais pas le réalisateur Leos Carax, sinon de nom, il y Marion Cotillard au casting et c'est de la comédie musicale moderne, tout ça sonnait l'alerte pour moi. Et j'avais entièrement tort.

On a donc une histoire super nunuche : deux grands artistes s'aiment d'un amour merveilleux, Ann la brillante soprano et Henry Mc Henry, le stand-upper super caustique. Elle est belle, lumineuse et fragile. Il est sombre et torturé. Ils sont riches et vivent dans une super maison improbable qu'on imagine dans les hauteurs de Los Angeles. Et ça va partir en sucette d'une manière que j'avais vue venir sans la voir venir.

Annette, c'est avant tout un film de cinéma, qui raconte avec des images, avec le montage, avec des couleurs. Qui fait ressentir plutôt que d'expliquer. C'est aussi une oeuvre qui ose des trucs que je n'avais jamais vu, jamais imaginé. C'est aussi une comédie musicale, sans danses, sans vraies "chansons" mais si quand même (la B.O. est incroyable à écouter après avoir vu le film), qui fait chanter les personnages dans des situations "normales" et originales, qui s'affranchit de tout réalisme mais qui n'abandonne jamais la vérité. C'est un hommage appuyé à l'opéra, la forme d'art la plus boursoufflée à mon goût, qu'il me donne envie de redécouvrir. Je n'aime pas tout, dans ce film, il fait des choix dingos par moment, mais ce qui se passe sous les yeux est curieusement fascinant.

Et puis les acteurs sont formidables. Et puis la musique. Et l'image... (ok, je suis fan)






 




17 février 2022

Maus - Art Spiegelmann

 

Je l'avais déjà lu, il y a... ouh là, longtemps, ça devait être avant le bug de l'an 2000. Je me rappelais des images et de l'anecdote du sachet de thé.

Je l'ai ressorti à cause de mon intérêt pour les années 40, et de l'affaire de l'interdiction débile dans une école américaine. Et pour voir finalement ce que ça me disait encore.

Je ne vais pas raconter le livre ici. J'avais oublié l'articulation très présente du double récit, "contemporain" de la rédaction et historique à travers le témoignage. Le livre est un exemple remarquable de témoignage de seconde main (l'auteur n'a pas vécu les camps de la mort), posant très clairement le lieu de l'énonciation : qui parle, avec quel point de vue, de quel endroit. Ce qui rend le récit à la fois totalement subjectif (voire doublement subjectif) et vrai et crédible.

Je ne vais pas en rajouter. C'est un très très très bon livre, autant sur l'extermination des Juifs en Pologne que sur les survivants, les relations père-fils... A la fois effrayant et facile à lire et très intelligent. 

14 février 2022

Ralph Azham -- Lewis Trondheim

Il faudrait un mot spécial pour décrire ces livres lus avant de dormir, quand tu squattes chez des amis et que tu piques quelque chose dans leur bibliothèque. Dans le genre, j'avais lu le Royaume, d'E. Carrère (si, si, mais j'ai sauté des pages), Fun home, d'Alison Bechdel et Ralph Azham (et là, je ne me rappelle plus chez qui c'était...). Je suis retombé dessus en bibli, j'ai relu et les souvenirs me sont revenus.

Donc c'est un héros doté de pouvoirs mystérieux qui grandit dans un village à la campagne et qui va partir à la découverte du vaste monde. Animaux anthropomorphes, façon Donjon, au moins une vanne qui claque par page et une histoire d'une surprenante cruauté, avec humiliations, avortements, lâchetés et des centaines de morts, dont un bébé... Tout ça dans le style "rigolo" de LT. J'ai lu les six premiers tomes, sur douze et je crois que j'aime bien. Le dessin est très efficace, l'histoire ne va jamais là où je pense, il y a des questions morales tout le temps, pour la plupart pas évidentes, un héros qui fait souvent des erreurs, un méchant vraiment très méchant. Moi qui aime la fantasy premier degré, non référentielle et sans trucs de rôlistes (objets magiques, chicaneries entre PJs - la relation entre Ralph et Yassou est vraiment drôle), je devrais détester mais en fait ça me plaît bien. Sans doute parce que c'est très fun et que ça parle de vraies relations entre les gens.







07 février 2022

Belle -- Mamoru Hosoda

Retour au cinéma mentionné ici, car en sortant de la Panthère des neiges, nous avons découvert que le programmateur était fan d'animation japonaise et que nous pourrions y voir le nouveau film de Mamoru Hosoda en VO. Dont acte.

Et nous nous sommes installés dans les confortables fauteuils de la salle 2 pour nous prendre un grand bain de SF et de sense of wonder comme on en voit que rarement.

Belle n'est pas un film parfait, mais je n'ai pas envie de chipoter sur ses défauts. Le sujet, en deux mots: Suzu, une adolescente pleurnicharde, devient presque instantanément une méga-star dans le réseau social virtuel géant U sous le nom de Belle.

Dès les premières minutes, le film emmène dans une aventure visuelle et sonore complètement folle, rendant visible Internet, les réseaux sociaux et l'informatique d'une manière ébouriffante (ce que le réalisateur avait déjà fait dans Summer Wars, que j'avais adoré aussi). La scène où Suzu se connecte pour la première fois à U est faite avec un souci du vrai complètement fou, aussi bien dans le design des appareils (et même celui de l'URL de connexion !) que dans les interactions utilisateur à la beauté lumineuse.

Le film repose sur le contraste élégant, permis par l'animation, entre le monde virtuel et la "réalité", le petit coin de province japonaise, petit lycée, petite ville, restaurant de nouilles avec des tableaux sur les murs, ligne de bus en train de fermer, la gare... sans poser de discours simpliste sur cette dichotomie. Les réseaux sociaux sont à la fois invisibles et tout le temps présents, les accumulations de discours ont à la fois un effet violent et aucune importance (la scène de délire SMS parce que deux ados se sont tenus la main en public, transformée en scène de jeu vidéo de stratégie... dingue)

Le récit est, à la base, une comédie dramatique ado, ni plus, ni moins, très réussie. J'admire la capacité des scénaristes d'anime à me surprendre. Il y a bien plus, narrativement, dans Belle que dans bien des séries que j'ai regardées. Des surprises, des personnages qui sont différents de ce qu'on attend d'eux, des rebondissements, des gags idiots, des sous-récits dans les coins (le délire de l'artiste performer aux tatouages et de ses deux copines...). Element important : les personnages ne sauvent pas le monde, juste eux-mêmes (et c'est déjà pas mal).

Je passe aussi sur les références dont j'ai loupé sans doute les trois quarts. Disney, bien sûr, et toute une tradition du cyberpunk japonais (le film a pas mal d'échos avec mon préféré de Satoshi Kon, Paprika) et le reste de l'oeuvre de Hosoda (j'ai envie de revoir Summer Wars, autre comédie ado-réseaux sociaux). 

Là où Paprika est un récit psychanalytique, adulte et très sexuel, Belle est ado, énergique et positif. J'espère que ça s'entend : j'ai adoré.








02 février 2022

L'expédition des dix mille -- heptalogie de fantasy

Pour changer un peu de mes lectures récentes, je me suis mis à une longue série de low-fantasy. Comme l'auteur n'est pas anglo-saxon, elle n'a pas vraiment percé sous nos contrées alors que la traduction d'Eugène Talbot n'est pas si mal.

En voici le pitch : le grand roi Dareios meurt. Le second fils, le plus brillant, Kyros, seigneur des domaines de l'ouest, décide de renverser l'héritier légitime, Arses avec l'aide d'une bande de dix mille mercenaires d'élite venus des péninsules de l'ouest, ceux du titre. Ce sont les héros de la série.

Dans le premier et le deuxième livre de la série, on suit essentiellement Klearkos, fils de Rhamphias, un chef autoritaire et manipulateur, passionné par la guerre. On découvre comment il engage ses hommes au service de Kyros sans leur dire qu'ils allaient affronter le grand roi, comment il mate des mutineries, assure le financement et la fidélité de ses troupes. Kyros est l'autre grand personnage majeur du premier tome, énergique, séducteur (le récit ne nous épargne pas une scène de séduction brutale de la reine Epyaxa), en fort contraste avec le terne et politique Arses... La bataille contre Arses est le point culminant de ce premier volume, le second volume s'attachant plus aux conséquences de celle-ci, centrées sur le point de vue des mercenaires.

Dans le tome III, on voit émerger un nouveau héros, plus jeune, plus charismatique, Xenophon, qui va se retrouver à la tête des mercenaires (j'essaie de ne pas spoiler, même si wikipedia malheureusement révèle tous les points clef de l'intrigue).

Je me suis arrêté à la fin de ce volume, mais l'auteur, pris par le succès est allé jusqu'à sept livres.

L'ambiance est low tech, low fantasy et résolument gritty. La magie se manifeste essentiellement à travers des rêves prémonitoires et des massacres d'animaux dont des devins "lisent" les entrailles. On craint les dieux mais on perçoit peu leur action, comme dans Conan. C'est de la vraie fantasy, avec carte, liste de noms imprononçables, de cités immenses et riches aux murs infranchissables, etc, etc. La scène de bataille du premier tome est vraiment incroyable, un modèle du genre.

Cette série, assez bateau et lourde et macho par certains aspects reste très marrante à lire. Les dialogues et les discours sont mortels et l'auteur, en introduisant un héros qui a le même nom que lui (!!!) nous met en position de mettre en doute le discours de ce narrateur non fiable...

En bref, même si Xenophon pompe beaucoup d'autres classiques, sa série de fantasy vaut le découverte. Et ça fait du bien de lire de l'imaginaire grec !




01 février 2022

Le maître du haut-château - Philip K. Dick

 

J'ai probablement commencé à entendre parler de Philip K. Dick en lisant Casus Belli et les chroniques de Roland Wagner. J'ai l'impression d'avoir toujours connu le pitch de ce roman : les nazis ont gagné la guerre avec les Japonais et envahi les USA. J'ai essayé de découvrir cet auteur mythique, j'ai adoré découvrir l'oeil dans le ciel, j'ai été troublé et dérangé par Ubik, et le maître du haut château m'est tombé des mains. Cette histoire d'antiquaires, de vieux Japonais, d'espions et de Yi King était prodigieusement mal écrite et inintéressante.

Mais bon, j'avais vingt ans. Vous savez quoi ? Maintenant je suis un peu plus vieux, et j'ai relu le livre, et en fait, c'est génial. C'est un livre qui parle du temps, des choses qui passent et qui restent, de ce qui nous rend heureux. Qui évoque ce qui connecte nos vies et ce qui fait notre place dans le monde.

Un livre aux points de vues multiples, tous liés, qui ne se rencontrent jamais. C'est bien écrit, c'est très émouvant et très doux. C'est à peine de la SF, et c'est un chef d'oeuvre.