26 octobre 2005

Un grand roman d’heroic fantasy française !

L’heroic fantasy française existe, je l’ai rencontrée dans une collection de littérature générale ! On connaît la réticence de certains auteurs à se faire publier dans des collections aux couvertures bariolées, de peur sans doute d’y perdre quelques lecteurs. C’est sans doute ce qu’a pensé Gustave Flaubert, un nouvel auteur pourtant très prometteur pour le genre. Son étonnant roman, nommé "Salammbô" du nom de l'héroïne, prouve qu’il existe une chance durable pour que ma littérature favorite finisse par être reconnue en France.
Carthage et sa civilisation cruelle du temps d’Hamilcar Barca sont le centre et le principal sujet de ce livre. L’auteur prétend dans une petite annexe s’être énormément documenté et avoir tout lu sur son sujet, sans doute pour faire croire aux critiques littéraires qu’il a écrit un roman historique, genre à la mode de nos jours. Mais il n’y a pas besoin de beaucoup creuser pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas là d’un tas d’érudition mal digérée et de références empilées les unes sur les autres, mais d’une puissante rêverie, d’un monde imaginaire fou et chatoyant, d’une Carthage aussi irréelle et fantasmée que le sont les dieux et héros des tableaux de Gustave Moreau.
Ce monsieur Flaubert écrase de son ombre tous les auteurs francophones qui ont essayé de marcher sur les pas de Tolkien. Quelles images incroyables ! Quelle cohérence, quelle harmonie, entre les Dieux, les palais, les paysages, les vêtements ! Les étonnantes sonorités des noms de lieux, personnages, matières et pierres précieuses nous transportent dans un ailleurs lointain. Dans une civilisation qui ne peut nous être qu’étrangère puisque vaincue et disparue sans quasiment laisser de traces, mais où l’on trouve des hommes dans les sentiments desquels on peut se reconnaître.
Je n’ai encore rien dit de l’intrigue, foisonnante, complexe, remarquable. On y trouvera, sans ennui aucun, des scènes de batailles, une fête extraordinaire, de la politique, de la magie, le cambriolage d’un temple sacré (digne de Fafhrd et le souricier gris !), des ruses mortelles, des sacrifices humains… et des batailles, encore. Il y est question de la guerre d’une vieille cité contre ses mercenaires, de l’amour impossible d’un barbare pour une princesse perdue dans sa quête mystique. La vie, partout, est présente. On meurt beaucoup, dans Salammbô, le sang coule, mais c’est pour mieux régénérer le monde.
L’auteur anglo-saxon dont l’imaginaire de Gustave Flaubert se rapproche le plus est sans doute Michael Moorcock, celui d’Elric et surtout de Gloriana : comme lui, le Français aime les univers baroques, les fins du monde bariolées, les atmosphère à l’érotisme étrange… Mais que le lecteur se rassure : point de trilogie interminable ici ! Le roman est d’un seul tenant, dense, équilibré, parfaitement construit, de la scène d’introduction à l’étonnante et nécessaire chute. Comme chez Tolkien, l’univers est complet, cohérent et maîtrisé, il semble même être le but et le fondement de l’œuvre. Les batailles sont aussi épiques et sanglantes que celles de Robert Howard, et j’ai déjà mentionné la surprenante parenté avec les livres de Fritz Leiber.
Mais contrairement à tous ces auteurs que je ne peux lire que traduits, notre auteur est francophone et son roman est servi par une langue fabuleuse qui est la véritable porte d’entrée de son monde imaginaire, qui amène toute la vérité de ce songe. Il n’y a qu’avec Nôo, de Stefan Wul, que je me suis senti ainsi transporté par la magie de l’écriture.
Avec Salammbô, Gustave Flaubert a donné à la littérature française de l’imaginaire une œuvre incontournable pour tous les amateurs du genre. On ne peut que lui souhaiter une longue et fructueuse carrière !
Ref : Salammbô – Gustave Flaubert - éditions Folio, etc.

PS : admirez au passage la qualité de l'illustration de couverture!

21 octobre 2005

Conan chez l'Autre Alex



"Crom, I have never prayed you before...."

J'ai vu Conan The Barbarian en grand format et en VO pour la première fois de ma vie dimanche dernier.

Jusqu'à maintenant, je n'avais regardé mon film préféré que sur des VHS pourries, en VF.
"Qu'est-ce qu'il y a de mieux dans la vie, Conan?"
J'écoutais la musique à fond sur mon walkman en poussant la wheel of pain dans de grands bruits de chaînes. Et je chargeais en plein galop sur les choeurs de Basil Polédouris dès qu'une occasion de bataille se présentait...

L'Autre Alex , chez qui nous l'avons regardé, disait que redécouvrir ainsi un film qu'on aime pouvait briser le mythe, l'image qu'on s'en était faite. Remarque qui me concernait tout à fait : je connais "Conan" par coeur, en imagination en tout cas. En fait, je ne l'avais pas revu depuis des années.

J'ai donc été obligé de voir que oui, c'est vrai, Schwarzenegger était un gros culturiste épais qui tient son épée n'importe comment, et d'admettre que Subotaï était le copain de surf de John Milius. Et puis le film a un discours un peu facho et anti-hippies pas très fin et quelques gadgets 'années 80' vraiment de mauvais goût (la réapparition de Valeria, par exemple...).

De plus, notre hôte nous a fait écouter les commentaires du film par John & Arnold, themselves... Commentaires qui oscillent entre l'idiotie totale et l'aberrant, avec quelques moments à hurler de rire quand ce gros bêta d'Arnold se met à raconter l'histoire alors que John tente de faire sentir sa vision...

Seule la musique de Basil Polédouris, qui porte le film, ne se montre jamais décevante.

Mais j'aime Conan, et l'oeuvre de Robert Howard en général. Je me sens depuis longtemps une immense sympathie pour "Two Gun Bob", garçon mal dans sa peau et mal dans son monde, qui a couché sur le papier tant d'aventures sauvages.
Ce qui fait la différence entre les textes d'Howard et ceux de tous ses imitateurs c'est que Howard croyait profondément à ce qu'il écrivait. Il évoque lui-même ces instants où la grande ombre de Conan se penchait sur son épaule pour lui dicter ses aventures. Howard voyait le monde en noir et rouge, plein de spasmes de fureur, de forces ténébreuses et incompréhensibles...
Face à ces forces, des hommes se tiennent. Non, pas des dieux, pas des géants, mais des hommes, de simples hommes, qui par moment arrivent à faire reculer la mort et triompher la vie.

Voilà pourquoi j'aime le film, malgré ses outrances et son mauvais goût : c'est un film sans second degré, qui ne se moque ni de lui-même, ni du spectateur. Un film qui croit à Conan, au Conan de Robert Howard. On sent dans le film le souffle de l'aventure, le monde très ancien, les civilisations disparues qui dorment dans la terre, tous ces os des héros morts sur lesquels nous marchons.
Aucun autre film d'heroic fantasy ne m'a jamais paru aussi authentique, aussi complètement cohérent, aussi intègre. Le réalisateur n'a-t-il pas fait construire l'immense escalier de Thulsa Doom ?


Et le film, à chaque fois, emporte mon adhésion par son image finale. Roi, par ses propres mains.


Know, oh prince, that between the years when the oceans drank Atlantis and the gleaming cities, and the years of the rise of the Sons of Aryas, there was an Age undreamed of, when shining kingdoms lay spread across the world like blue mantles beneath the stars /.../ Hither came Conan, the Cimmerian, black-haired, sullen-eyed, sword in hand, a thief, a reaver, a slayer, with gigantic melancholies and gigantic mirth, to tread the jeweled thrones of the Earth under his sandalled feet.
The Nemedian Chronicles, as quoted in The Phoenix on the Sword (1932), by Robert E. Howard.

20 octobre 2005

Rabih Abou Khalil à la Cigale

Lundi, Cecci et moi sommes allés voir Rabih Abou Khalil à la Cigale.

On avait choisi ce concert pour un certain nombre de mauvaises raisons :
1) il était programmé dans le cadre du JVC Jazz Festival, qui nous avait déjà fait découvrir Buddy Guy au Rex, sans doute le meilleur concert de ma vie.
2) on connaissait l'artiste, car Cecci en possédait quelques disques quand nous nous sommes rencontrés. Disques que je trouvais agréables, faciles à écouter, mais dont j'aurais été bien incapables de fredonner une mélodie (sauf le titre Blue Camel)
3) on aime bien la Cigale où nous avions déjà vu les Wriggles (ce qui n'a rien à voir).
Tout ça annonçait le concert foiré. J'avoue, je suis parfois pessimiste.

A vrai dire, je ne comprends rien au jazz. Je ne suis pas musicien et c'est une musique beaucoup trop compliquée pour moi. La plupart des disques de jazz me font baîller parce qu'ils n'arrivent pas à retenir mon attention. Souvent, je les passe quand on reçoit des invités parce qu'ils mettent une belle ambiance dorée et qu'ils ne gênent pas la conversation.
Je n'y comprends rien, mais j'aime bien quand même et quelques artistes, via leurs disques, ont réussi à me toucher : Django Reinhardt et Chet Baker... Mais ne nous éloignons pas trop loin de la Cigale.

En première partie, Thierry "Titi" Robin et son trio (guitare/oud/bouzouk + accordéon + percus) assurent une demi-douzaine de morceaux très agréables dont la joyeuse énergie me ravit. Ca sonne très fort, c'est bon enfant, le percussionniste a l'air complètement fou, c'est très agréable, le public est séduit.

En seconde partie, éclairage intimiste, un grand piano noir s'est glissé sur la scène comme une grosse bête intimidante. Les artistes rentrent, on les distingue à peine. Je devine que Abou Khalil est cette silhouette recroquevillée sur son oud (sorte de luth arabe). Une grosse batterie brillante fait face au piano côté jardin. On sent que la musique va être autrement plus sérieuse qu'en première partie.
Ca y est, ça commence. Notes de piano. Pincement de l'oud entremêlés de silences. Scintillements planants de la batterie. Le piano et l'oud ont l'air d'être ennemis, les sons de ces instruments me paraissent tout à fait discordants, je me dis que la partie n'est pas gagnée.
Le pianiste (Joachim Kühn, co-compositeur de tous les morceaux) a l'air fou. Il hoche la tête bizarrement, est tout tordu sur son piano. Tout à l'heure, il se lèvera et prendra son saxo pour en faire des solos de possédé, comme le personnage de Bill Pullmann dans Lost Highway. Et Abou Khalil ne bouge quasiment pas, sauf un peu les épaules, tout concentré, recroquevillée, resserré sur son instrument. Seul le batteur a l'air à peu près sain, mais ça ne va pas durer.
Et les morceaux progressent, l'oud et le piano semblent se rapprocher, des rythmes naissent, des échos de l'un à l'autre encadrés par de longues vibrations de batterie.
Ca s'amplifie, ça rebondit, ça monte, ça sonne, ça me scotche sur mon siège. Les instruments sont amplifiés, un gros son remplit l'obscurité de la salle de concert, un gros son qui fait trembler les murs, qui me résonne dans la poitrine. C'est du jazz, ça? Ces grosses vibrations, ces échos piquants d'oud et de piano? Si ça c'est du jazz, alors je veux bien écouter du jazz toute ma vie!
Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas arracher les chaises? Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas secouer la tête gros un gros fan de Nirvana?
Les morceaux défilent, rapides ou calmes, gais ou mélancoliques, introduits avec humour par Abou Khalil qui, à ce seul moment, paraît se détacher un peu de son instrument.
Moi, je suis conquis, séduit, j'oublie tout, je plonge dans une grande vibration syncopée. Cecci aime aussi, on se serre très fort pour écouter, je ressors tout rêveur et planant sur le boulevard. Waow.


Bien sûr, j'ai acheté le disque en sortant de la salle. Petite déception, il est tout en finesse, subtilité et discrétion, quand le concert passait en force. Encore de la musique trop compliquée pour moi. Mais je l'écouterai avec plaisir, en me souvenant de ces moments possédés.