29 mars 2016

Le Club - Michel Pagel

C'est l'hiver. François Gauthier arrive à Kernach, en Bretagne, pour rendre visite à sa cousine, Claude Dorsel. Celle qui aimait tant qu'on la prenne pour un garçon, refusant son prénom de Claudine. La neige tombe de plus en plus fort. La copine de Claude vient la chercher à la gare. Et Dagobert est mort depuis longtemps.
Enfant, je n'ai pas lu que Fantômette, mais aussi le Club des Cinq, adaptation et transposition de la série anglaise. J'ai tenté d'en relire récemment : ça a moins bien vieilli que les aventures de l'héroïne de Georges Chaulet. A l'époque, toutefois, ça m'enchantait, et je ne retirerait pas à Enid Blyton les nombreuses heures de plaisir passées avec ses young detectives. Ce furent, je crois, les premiers romans que j'ai lus de ma propre initiative.
Michel Pagel a dû beaucoup aimer, pour proposer cet hommage un peu lynchien au Club des Famous Five. Thriller enneigé, réflexions ironiques et jeu méta-littéraires seront de la partie, dans un roman aussi intriguant et amusant que court, le format étant sans doute lui-même un écho aux lectures enfantines. L'auteur des Flammes de la nuit me semble mener ici avec les cinq enfants le même jeu entre réalité et fiction qu'avec les contes de fées dans son ouvrage précédent. Avec, pour le club, un thème supplémentaire : la peur de la vieillesse et l'angoisse de la mort.

26 mars 2016

Cthulhu Invictus — 3

Suite de nos aventures romaines (voir ici le billet précédent)

Cyrène, de nos jours. Le temps a passé. La guerre civile passe là où s'agitaient nos PJs.
Je vous avais ennuyés dans le billet précédent avec des considérations mystico-truc sur les forces souterraines. L'intérêt narratif de ces forces, est de pouvoir imaginer des voyages qui ne doivent pas franchir certaines lignes imaginaires... Flavia a été chargée par les vestales d'un "pouvoir" qu'elle ne comprend pas, et qu'elle devra libérer au moment voulu. Mais si elle approche les "lignes", chargée de cette puissance, les dieu souterrain se retourne, les forces sismiques frémissent (et on hurle au capitaine du navire de changer de cap !)
Nous avons eu droit à une escale à Catania, et une aventure le long des flancs de l'Etna, point d'ancrage de certains des triangles magiques (rien de plus terrifiant pour les PJs qu'un volcan dont les grondements semblent liés à leurs mouvements). Puis, une fois sur les côtes de l'Afrique, des tribus de cavaliers dont les chamanes rêvent d'une femme qui... (le Dieu envoie ses rêves et demande qu'on lui ramène la femme). Enfin, un raz de marée soulèvera le navire des PJs lors de la traversée impromptue d'une ligne (ils avaient fait une erreur de calcul, croyant que le triangle pointait sur Alexandrie alors qu'Ibbas est au sud de Cyrène), un des esclaves favoris de Flavia sera emporté par les flots et il faudra un miracle pour que nos héros ne terminent pas noyés.
Ils finiront par arriver à Cyrène, puis à faire l'erreur de parler de leur mission au gouverneur. Si Flavia n'avait pas eu la prévenance de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier (Germanicus d'un côté, avec des bédouins recrutés exprès pour) et elle d'un autre avec une escorte du gouverneur, l'affaire aurait tourné court.
La belle dame romaine finira jetée en croupe sur un cheval avec un jeune bédouin aux dents blanches, pendant que l'ancien esclave germain explorera des souterrains aux parois couvertes d'un mystérieux champignon jaune sous lequel dorment les cadavres de rêveurs engloutis. Il échappera de justesse à la trahison de Nephotès.

A la fin, les cavernes s'effondrent (le "sort" imprimé en Flavia avait comme vertu d'appeler Bekhret, ce qui provoque un énorme tremblement de terre), Taran Ish est englouti avec une partie des hommes de Flavia et l'on se replie piteusement vers Alexandrie en tentant de se faire oublier des hommes du gouverneur Labienus. 
A Rome, les ennemis politiques de Tremulus n'ont pas manqué de profiter de la faiblesse de ce dernier pour l'écarter, ainsi que le mari de Flavia. Les adeptes des cultes orientaux poussent leurs pions et dégagent les vieux romains. Qui sait quels maléfices se cachent derrières les adorateurs de Cybèle ou d'Isis ?

(à suivre...)

24 mars 2016

Staline T2, la cour du tsar rouge - Simon Sebag Montefiore

A la fin du tome 1, nous avions laissé l'homme d'acier refusant de voir la vérité en face. Son "allié", ce pantin hystérique et antisémite basé à Berlin, avait lancé ses millions de soldats à l'assaut de la grande Union Soviétique. On eut beau menacer de faire abattre les corbeaux de mauvais augure, la guerre était là. Et l'armée rouge n'était pas prête.
Dans ce tome 2, l'auteur reprend les mêmes personnages pour une nouvelle série d'aventures qui laisseront le lecteur à bout de souffle. Le déferlement des panzers, le chaos sur la frontière, les lignes enfoncées... Le héros pourrait s'adresser au peuple, faire face, affronter le danger... Enfermé dans le palais des antiques empereurs, il reste allongé sur le divan et sombre dans la dépression, tandis que l'ennemi se rapproche. Autour de lui, la clique incompétente fait ce qu'elle peut.
On aura droit à des images saisissantes : le dictateur se réfugiant dans les souterrains et installant son bureau dans un wagon de métro. La capitale déménagée plus à l'est. Les bombes pleuvant sur le Kremlin - palais présidentiel dépourvu du moindre bunker ! Et alors que l'ennemi approche, on continue à torturer, déporter, rechercher les traîtres.
Joukov émerge alors : un général aussi dur et cruel que son maître, le seul peut-être à avoir la moindre compétence dans l'entourage du tyran. Celui qui permettra de renverser le sort. Alors que l'ennemi n'est plus qu'à quelques kilomètres de la capitale de l'ancienne Russie, l'homme d'acier se réveille, se relève. Tenant ses comptes de chars et de divisions sur ses petits carnets d'épicier, il supervise la guerre en amateur, s'adresse à la nation et parvient à lancer celle-ci sur la longue route de la victoire.
Comme l'ennemi teutonique recule enfin, l'aura du maître grandit, il rencontre au Kremlin et à Téhéran ses alliés : le bouledogue anglais (qui lui donne du fil à retordre, mais qu'il parvient à manipuler) et le séduisant président américain en chaise roulante, avec qui il deviendra ami. La scène de la conférence en Iran, avec palais du Shah, nid d'espion, potentats ridicules et traducteurs stressés est un grand moment du livre. Pendant ce temps, de terribles trains déportent des peuples entiers vers l'est, provoquant des milliers et des milliers de morts et semant les graines des haines d'aujourd'hui...
(on notera aussi, une fois l'ennemi vaincu, une scène amusante où un certain Charles de Gaulle se rend au Kremlin pour signer un traité. L'homme d'acier veut le faire boire, l'intimider et le manipuler. L'ennuyeux et rigide Français se révèle insensible à tous ses trucs de tsar grossier.)
Le jour du défilé de la victoire, notre héros se retrouve affublé d'un titre de généralissime et d'un uniforme blanc et doré. Il ne défilera pas à cheval, trop vieux, trop maladroit.
A aucun moment la terreur ne cesse. Gare à ceux qui s'imaginent avoir sa faveur, le jeu favori du vieux tyran devient de dresser les uns contre les autres, de favoriser d'une main et de punir de l'autre, de préférence en frappant par les épouses - j'avoue avoir été ému par la relation amoureuse de Molotov et de Polina. 
Le récit des monstrueuse soirées cinéma & banquet est à la fois à hurler de rire et à se tordre de terreur, où l'on voit les terribles sous-fifres chanter et danser entre hommes au rythme de musiques géorgiennes tandis que la faveur du maître va et vient...
La fin du règne verra quelques autres succès : la bombe atomique, dont la fabrication est dirigée par l'incroyable, énergique, compétent et monstrueux Béria, la rencontre avec Mao (ils ne se comprendront pas). Pour la fin, tandis que la guerre gronde en Corée, le dictateur s'occupe de ses citrons, s'intéresse aux arts et manipule tout et toute le monde, brisant des familles et des vies et tuant et déportant, déportant et tuant encore et toujours. Comme la vieillesse et la maladie le minent, il lâche la bride au vieil antisémitisme russe et par à la chasse aux juifs "cosmopolites" pour mieux fournir un adversaire et une cible à la nation. Seule un caillot sanguin mal placé mettra fin au long, au terrifiant cauchemar.

On ressort de cette biographie épuisé et lessive (même si on a parfois bien rigolé). L'auteur démontre parfaitement sa thèse. Ceux-là, le tyran et sa clique, n'étaient pas des exceptions, juste des hommes habiles, intelligents, bosseurs, lancés dans une entreprise devenue folle, qui les a tous dévorés. Tous, peut-être, sauf un, l'homme au visage grêlé et aux yeux jaunes, l'ancien séminariste georgien, celui dont le nom immortel claque encore comme un slogan. Staline !

[Mise à jour] en lisant sur le réseau d'autres critiques de ce livre, je tiens à ajouter une précision. On n'est pas là dans un livre d'analyse de haut niveau, plutôt dans une chronique à ras de terre, de bureau, de guerre, qui s'intéresse à un certain groupes d'homme ayant dirigé l'URSS. Ce point de départ fait à la fois la qualité et les défauts du livre. A bon entendeur !


23 mars 2016

Vostok

Début 2013, j'ai lu Vostok, le dernier secret de l'Antarctique, livre d'histoire autant que de souvenirs écrit par le glaciologue français Jean-Robert Petit, évoquant un des endroits les plus fascinants qui soit au monde : la base Vostok (Orient) ouverte par les Soviétiques en Antarctique en 1957, et active de façon quasiment ininterrompue jusque là.
Pour en savoir plus sur ce lieu du bout du monde, je ne peux que vous recommander son livre, paru aux éditions Paulsen. J.R. Petit a participé à l'extraordinaire collaboration franco-américano-russe, qui a eu comme résultat scientifique de prouver le lien entre concentration du CO2 et réchauffement planétaire, excusez du peu !



Je ne suis jamais allé en Antarctique autrement qu'en rêve. Avec l'amiral Byrd, avec Arthur Gordon Pym, avec les expédition Dyers-Lake et Starkweather-Moore, j'y suis retourné de nombreuses fois avec Jean-Robert Petit, Claude Lorius, Aleksei Trechnikov, V. Ignatov, Nordenskjöld, Swithinbank... Le résultat de toutes ces rêveries se trouve dans Vostok, un roman antarctique paru ce mois-ci aux éditions Denoël.

Même s'il se passe dans le même univers que l'Anamnèse de Lady Star, Vostok est un roman complètement indépendant, un récit de mystère et d'aventures, dont voici le texte de quatrième de couverture.

Vostok, Antarctique. L’endroit le plus inhospitalier sur Terre. Des températures qui plongent jusqu’à – 90 °C. En 1957, les Russes y ont installé une base permanente, posée sur un glacier de 3 500 mètres d’épaisseur, ignorant alors qu’à cet endroit, sous la glace, se cache un lac immense, scellé depuis l’ère tertiaire. Pendant des décennies, équipe après équipe, puits après puits, ils ont foré la glace. Pour trouver, peut-être, des formes de vie jusque-là inconnues.
Vingt ans après la fermeture de la base, un groupe d’hommes et de femmes y atterrit, en toute illégalité. Ils vont réchauffer le corps gelé de Vostok, réveiller ses fantômes. Ils sont là pour s’emparer du secret du lac. S’ils échouent, il ne leur sera pas permis de rentrer vivants chez eux.

Situé dans le même futur qu’
Anamnèse de Lady Star, Vostok narre l’incroyable aventure d’une très jeune femme, Leonora, condamnée à laisser les derniers vestiges de son enfance dans le grand désert blanc.



Ce roman doit beaucoup à l'acharnement et au soutien sans faille de Gilles Dumay, qui tient la barre de la collection Lunes d'Encre malgré tous les vents contraires. La magnifique couverture est due à Aurélien Police.




12 mars 2016

Octobre, un crime -- Norma Huidobro

S’achetant une robe des années 50 à porter durant une fête à laquelle elle n’a pas envie d’aller, Inès, une ado vivant à Buenos Aires, trouve dans l’ourlet une lettre que sa destinataire n’a jamais reçue. L’appel au secours d’une jeune fille de son âge, menacée d’assassinat tout comme son propre père. Que feriez vous à sa place ?
Nous sommes vers l’année 2000, Inès a ses soucis à la maison (ses frères sont carrément pénibles) et la lettre est l’occasion pour elle de se trouver une cause, un mystère, un univers à elle.

J’avais déjà dit tout le bien que je pensais des romans de Norma Huidobro (ici, et ). Celui-ci est peut)être le meilleur de tous ceux que nous avons déjà lus. On y retrouve le même talent à construire de beaux personnages, très vrais, vivant dans le vrai monde, celui des petites retraites, des petits boulots, des différences sociales. Celui où il ne sera pas facile à une jeune fille d’enquêter sur un crime vieux de quarante ans.


La découverte de ce mystère, entre coupures de journaux et interrogatoires de témoins âgés, est tout à fait passionnante. Mais, au delà de l’intrigue (simple en vérité et plutôt bien arrangée), Norma Huidobro réussit à donner à son roman un arrière plan social fort (le roman parle beaucoup des personnes âgées), ainsi qu’une véritable sensualité. Inès est attentive aux matières, aux couleurs, aux parfums, et c'est dans ces petits détails qu'elle entreverra la vérité.

Octobre, un crime est vendu comme un roman jeunesse. C'est avant tout un bon roman.

10 mars 2016

La Mouette, selon Ostermeier -- à Vidy



C’est une expérience inédite pour nous que de voir deux fois la même pièce de théâtre — dans des mises en scènes différentes ! — en moins de un an. Cet été, nous avions pu admirer la troupe japonaise Chiten dans une présentation très incarnée et intériorisée de la pièce de Tchékov. Quelques mois plus tard, après une résidence au théâtre de Vidy, c’est Thomas Ostermeier qui présente la pièce, en français s’il vous plaît.


On retrouve donc Kostia Treplev, fils de la fameuse actrice Irina Arkadina, qui cuve sa dépression à la campagne et tente de monter une pièce expérimentale devant sa mère et sa cour. Le texte français utilisé par Ostermeier est moderne, et si la pièce n’est pas déconstruite, comme par les Japonais, on la sent fortement entrelardée de considérations contemporaines, dont un hilarant passage sur le théâtre moderne où Ostermeier semble se moquer de tout ce qu’il va faire (ou ne pas faire) ensuite… Ces insertions m’ont fait un peu peur, mais j’avais été déstabilisé de la même façon par le début très 70s de son ennemi du peuple, alors j’ai pris sur moi, d’autant que le texte français est habile et rythmé (il est dû à Olivier Cadiot)

"La Mouette est une comédie avec trois rôles de femmes et six rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage (vue sur un lac), beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action, tout mon poids d’amour." (Tchekov) 


Dans la mise en scène de Kostia, Nina en vierge sacrificielle déclame un texte de métaphysique-animiste bizarre, Kostia passe de l’électro à fond, poignarde un cadavre de bouc et s’asperge de sang les bras en croix, ça dépote, et Irina éclate d’un rire moqueur. Pendant les deux heures qui vont suivre, on va accompagner les plaisanteries, le mal-être de ces personnages en vacances au bord du lac, on va assister à leur hésitations et leurs compromissions, sans jamais cesser de les aimer et d’avoir peur, et de nous désoler pour eux. Les acteurs, pour la plupart déjà vus dans les Revenants, sont tous bons, tous brûlants, avec un très beau jeu de corps, de postures, de visages.



D’un point de vue de mise en scène, Ostermeier a adopté une sorte de tréteau façon Commedia Dell’Arte, au bord duquel les acteurs hors scène attendent leur tour. Sur cet espace apparaissent, de façon toute imaginaire, la terrasse, la plage, le salon, la chambre de Trigorine. Tout est impeccablement réglé, jusqu’aus superbes scènes de neige du finale.


La mouette selon Ostermeier est une expérience théâtrale puissante, qui secoue l’âme et noue les entrailles. Il n’y est question que d’art et d’amour. En quittant la salle, je me sentais plus humain.