31 janvier 2016

Dragon - Thomas Day

Bangkok, dans un futur proche. La capitale du pays du sourire est un cloaque boueux où les touristes vont visiter un joli temple le matin, faire du shopping dans un centre commercial climatisé l'après-midi et avoir une relation sexuelle tarifée le soir. Avec une jeune fille, un ladyboy... ou un enfant.
Un jour, Dragon apparaît. Il surgit dans un bordel temporaire spécialisé dans les moins de dix ans, abat les tenanciers, les clients, puis disparaît sans laisser aucune trace... La police ne veut pas de médiatisation, pas de chasse à l'homme, un homme (quasiment) seul est lancé à ses trousses.

Dragon est le premier titre publié par la collection une heure-lumière du Bélial, dédiée aux novellas de SF. Les petits livres sont très réussis, maquette, couverture, prix, ça donne envie pour la suite de la collection ! Dragon est un texte de Thomas Day dans sa veine la plus personnelle : l'Asie du Sud-Est, la violence, une lutte contre l'horreur. Le récit efficace nous plonge dans le quotidien de Bangkok au côté d'un personnage de flic assez touchant. La narration joue astucieusement sur l'ordre des chapitres pour créer quelques effets de surprise très cinématographiques. D'un point de vue stylistique, c'est épuré jusqu'à l'os et ça marche. Une bonne entrée en matière pour la collection !

Quelques remarques maintenant pour ceux qui ont déjà lu le livre.
Même si l'histoire se boucle, et exprime une sorte de tentative de libération par l'écriture ("l'auteur en vengeur masqué", selon les mots de Philippe Curval), suis-je le seul à penser qu'elle s'arrête là où tout commence ? Où peut mener le combat du mal par le mal ? Que deviendra la médiatisation de Dragon ? Quand le général se fera-t-il assassiner ? Si l'être situé dans le le "lieu de pouvoir" est plus qu'un artifice littéraire, quel est-il, et que veut-il ? Un roman suivra-t-il cette novella ?


22 janvier 2016

Histoire du prince Pipo - Pierre Gripari

De Pierre Gripari, je connaissais surtout (et comme tout le monde j'imagine), les classiques contes de la rue Broca, redécouverts récemment avec Rosa et Marguerite dans leur version audio (lus par Gripari lui-même, c'est un délice).

La bibliothèque nous a proposé cette Histoire du prince Pipo, de Pipo le cheval et de la princesse Popi, dont le titre est tellement bête que, n'aurait-il été écrit par Gripari, je l'aurais laissé de côté. Ce relativement petit livre est un conte, la couleur est clairement annoncée, commençant par un conte hors du conte nous expliquant la vertu des contes (chapitre 1). Puis on aura droit à l'histoire de l'histoire qui voulait qu'on la raconte (chapitre 2) qui sera bien sûr l'histoire qu'on va lire ensuite (vous suivez ?), puis arrivera, enfin, l'histoire du prince Pipo, dans laquelle on trouvera les personnages du titre et bien d'autres choses amusantes (dont des contes).

Sorte de méta-conte à la dimension d'un petit roman, l'histoire du prince Pipo est un livre charmant, écrit dans une langue faussement simple et toujours juste. Une histoire d'apprentissage, pleine de liens à la fois absurdes et logiques, qui m'a fait penser, en plus court, à l'histoire sans fin de Michael Ende, ou au merveilleux Mio mon Mio, d'Astrid Lindgren. L'histoire abonde en surprises, charmantes ou cruelles, et je terminerai en laissant un avertissement aux parents : ne lisez pas le chapitre "Le nain et la sorcière" à vos enfants juste avant qu'ils s'endorment. Il s'y passe quelque chose de terrifiant, qui ne sera résolu par le rire que trois ou quatre chapitres plus tard. Je vous rassure, le récit se termine bien, si on considère que c'est une chose heureuse que les enfants grandissent.

Billet publié également sur Virgule et Papillon.

12 janvier 2016

L'adjacent - Christopher Priest

L'adjacent est le dernier roman paru en français de Christopher Priest, auteur très apprécié sur ce blog.

Tibor Tarrent revient d'une mission humanitaire en Anatolie où sa femme à mystérieusement disparu, sous l'effet d'une arme étrange ne laissant sur le sol qu'un triangle de matière noire. Nous sommes dans un futur climatiquement inquiétant où des cyclones tempérés ravagent l'Europe occidentale, où la grande Bretagne est devenue une république islamique et où existent des appareils photo à lentille quantique...

Le roman est composé de plusieurs parties faussement disjointes. Outre le récit de Tarrent, on aura aussi droit au voyage d'un prestidigitateur dans les Flandres durant la première guerre mondiale, à un récit de rencontre amoureuse impossible sur une base aérienne durant la seconde guerre mondiale et à un long passage dans l'archipel du rêve (ma partie préférée du roman).

Il est évident que les parties se répondent l'une à l'autre, que les mystères soulevés à un endroit trouvent des semblants de réponse, et d'autres mystère, à d'autres endroits. Qu'il n'est pas anormal que les noms se répondent par assonances, que les situations résonnent en écho. Aux trois époques "réelles" du roman, la Grande Bretagne traverse des tempêtes, climatiques ou géopolitiques. Au trois époques, la société est sous pression.

L'adjacent est similaire aux Insulaires en ce sens qu'il s'agit de puzzles éparpillés dont les pièces ne collent pas toutes entre elles. Même le lecteur amateur de Priest que je suis a été désorienté par celui-ci, d'autant que ce roman semble couronner et lier l'ensemble de l'oeuvre de son auteur, reprenant de nombreux thèmes et obsessions, comme un album best-of un peu décousu. Je n'ai pas tout compris, j'aurais aimé saisir plus, attraper plus, je me dis qu'il faudrait que je relise, que je fasse des dessins, que je trace des lignes, comme je l'avais fait pour les Insulaires.

Malgré cette faiblesse structurelle, qui empêche une adhésion émotionnelle forte, le roman comprend nombre de beaux moments. Son écriture en est très aboutie, dégageant par moment une sorte de douceur triste, et j'ai fini, en y repensant, par trouver une clef de lecture probable. Dans des réalités et des époques différentes, le même homme et la même femme se rencontrent, se perdent, se regrettent, se cherchent, se retrouvent. Un unique récit, dans une discontinuité de fictions.


07 janvier 2016

Matilda - Roald Dahl

Matilda est une toute petite fille très intelligente, vive et sage. Dès l'âge de trois ans, elle sait parfaitement lire et, comme sa maman la laisse toute seule à la maison tous les après-midi "pour aller jouer au loto", elle se rend à la bibliothèque pour se procurer des livres. Car les parents de Matilda sont des beaufs épouvantables, la classe moyenne anglaise la plus crasse abrutie de télé et réussite sociale petite bourgeoise, qui considèrent leur fille comme une moins que rien et ignorent tout de ses remarquables capacités... On va suivre la petite fille dans sa lutte contre son terrifiant crétin de père, puis, dans une deuxième partie, contre la monstrueuse directrice de l'école, Mlle Legourdin...
Matilda est un pur roman de Roal Dahl, narrant le combat d'une enfant presque surnaturelle contre des adultes monstrueux et cruels. C'est tendre, violent, caustique, et drôle, bien sûr. Les merveilleux dessins de Quentin Blake savent aussi bien tracer la caricature des monstres que rendre la douceur de Matilda ou de la gentille Mlle Candy.
Un classique, à raison.

Billet publié également sur Virgule et Papillon.