25 mars 2021

Nous allons tous très bien, merci -- Daryl Gregory


Dans ce court roman, Daryl Gregory fait le récit d'une thérapie de groupe dont les participants ont tous survécu à un épisode traumatique et surnaturel. C'est bien écrit, effrayant, amusant en même temps, les personnages sont très bien, et, le roman étant court, c'est vite lu. Gregory est un malin qui, en plus de recycler des tropes des récits d'horreur se livre à une réflexion méta-littéraire explicite sur ce type de récit, proposant un métarécit alternatif à celui du héros aux 1000 visages. A vouloir être malin, on est parfois malin (ce livre l'est), mais ça ne m'a pas emmené très loin, sans doute parce que le jeu avec les genres, au fond, ne m'intéresse pas. Ne boudez toutefois pas votre plaisir, ça reste un petit bouquin très plaisant.

 

PS : la couverture d'Aurélien Police est excellente et correspond très bien au livre.


Nous étions l'avenir -- Yaël Neeman

J'ai lu ce livre sur le conseil de luvan (merci !) et je l'ai lu avant Agrapha. On verra qu'il y a un petit rapport entre les deux livres.

Nous étions l'avenir est un livre de souvenirs, une mémoire reconstituée, au sens noble du terme, de la jeunesse dans les kibboutzim. La jeunesse de l'autrice, la jeunesse de ses pairs, la jeunesse de ceux qui ont précédé. Les kibboutzim étaient (sont encore un peu) une société socialiste profondément originale, développant, hors cadre religieux, une forme de vie et de travail en communauté. Expérience agraire, expérience sociale, éducation collective, enfants éduqués ensemble hors d'un cadre familial, expérience de formation, expérience de liberté et expérience de guerre. Fidèle au monde dont il est le fruit, Nous étions l'avenir n'est pas écrit au je, mais au nous (avec une grande élégance, je ne m'en suis presque pas rendu compte) et tente dans sa forme et dans sa langue de faire vivre au lecteur la singularité de ces vies, loin de la propagande et des rêves socialisto-sioniste, au niveau de la terre, du travail, de l'ennui, des chansons, des légendes, avec comme axe la volonté permanente des pionniers des kibboutzim de raconter leur histoire et l'impossibilité d'y parvenir.

Par le récit et la langue, donner vie à une communauté lointaine dans le temps ou l'espace, voilà le lien avec Agrapha. Cette volonté fait de Nous étions l'avenir bien plus qu'un livre de souvenirs et de chroniques, mais une belle oeuvre littéraire.


24 mars 2021

Agrapha - luvan

Je sors d'une expérience littéraire forte : la lecture d'Agrapha. Tenter d'en rendre compte proprement est une gageure. Je vais jeter ici quelques impressions, sentiments et élaborations qui seront sans doute assez pauvres en regard de l'impact du texte.

Huit femmes, au bord de l'Atlantique, quelque part après les raids viking. Elles se rassemblent autour de la plus âgée d'entre elles, Volusiana, une ermite. Leur communauté a duré quelques années, a laissé des récits de miracles reproduits par des chroniqueurs ultérieurs et surtout des textes de leurs mains, traduits et annotés par l'autrice, qui tente de rendre compte d'une vie communautaire de femmes, une vie sacrée, en contact avec le divin et la nature.
A la lecture de ces traductions, on comprend aussi très vite qu'un mystère, celui des agrapha (ce qu'on ne peut écrire), entoure le témoignage de ces femmes. Agraha est un livre qu'on lira en naviguant sans cesse du début au milieu puis à la fin, le parcourant comme un texte universitaire, un casse-tête, un jeu de pistes... On comprendra vite que le livre est composé de trois parties : les traductions, le cahier de l'autrice et le parchemin, et que chacune de ces parties nous emmènera sur son propre chemin.

J'ai tenté dans les lignes qui précèdent de rendre compte du contenu d'Agrapha, et je l'ai à peine effleuré, parce que mon texte est écrit dans la langue française de tous les jours et que le premier choc d'Agrapha, du moins de sa première partie, est sa langue. La traductrice du premier tiers tente, en jouant avec toutes sortes d'idées autour de notre langue, de rendre ce que pouvait être le parler, l'expression de femmes du moyen-âge au parler composite entre latin, français ancien, thudisque, langues celtes... Sachant que le parler de chacune des huit en différent. Elle joue sur les genres (certains mots passent du masculin au féminin, au neutre...), la ponctuation, l'injection de termes venus d'autres langues, je soupçonne même des créations de mots ex-nihilo. Ce jeu de langue est non seulement fascinant, crédible, mais aussi très heureux et joyeux, créant un texte certes un peu plus lent à lire, mais très beau, poétique et toujours compréhensible et surtout nous plongeant dans des esprits et des temps entièrement autres. (d'autant que la traductrice fournit annotations et glossaire - rassurant mais pas obligatoire) pour être sûr de ne rien manquer. Ce texte et ce para-texte font d'Agrapha une oeuvre totalement originale et un très beau livre de science-fiction (ben oui : tenter de rendre par un récit et par le langage un monde résolument autre, des modes de pensée et de socialisation différents, c'est de la SF, non ?)

Je n'entrerai pas dans les deux autres parties dans le cadre de ce billet, sinon pour dire qu'elles partent du socle posé dans la première partie pour explorer des chemins multiples. On lancera des vrilles vers le récit fantastique médiéval, l'auto-fiction, l'horreur cosmique, avec des éléments psychanalytiques... luvan a trop de respect pour lae lectaire pour imposer quelque interprétation que ce soit. J'ai pour ma part suivi quelques pistes, ait aimé des images, des impressions, alors que d'autres m'ont déplu et qu'il m'est arrivé de sortir du livre par endroits.
Ce n'est pas grave, le voyage valait le coup et, en sortant d'Apgraha, on a envie parler dans une langue plus forte, plus poétique, une langue qui ne serait pas celle de ce livre, mais la nôtre propre et que le monde entier comprendrait, par le miracle de la Pentecôte. 

le livre dit les vies des huit mulieres religiosae auprès de la source non loin des ruines du havan. on entend lae meer mais on s'en tient loin.

Quelques pensées en plus.
Agrapha est proche d'au moins deux autres livres proposés par la Volte. Evidemment : Hildegarde, de Léo Henry, dont j'ai beaucoup parlé sur ce blog. D'une manière très différente de Léo Henry, luvan essaie de faire vivre en nous quelque chose de la vie d'un autre temps. Elle est aussi similaire à Eliott du néant, un des romans les plus obscurs de Sabrina Calvo (le journal de la narratrice dans la deuxième partie m'y a souvent fait penser).
On peut enfin la rapprocher des mémoires d'Hadrien, par la tentative littéraire de se lier avec des êtres du passé. Et peut-être aussi de cette pièce qui n'existe pas mais dont j'ai cru un temps à l'existence, les huit sanctimoniales en quête d'autrice.


15 mars 2021

Le dernier des six -- Georges Lacombe

Nous avons regardé ce film de 1941 dans notre exploration du cinéma français sous l'occupation. C'est un film noir pas très sérieux. Six amis se font une promesse : ils vont tenter de faire fortune chacun de leur côté dans tous les coins du monde pendant 10 ans. Les survivants se répartiront la fortune de tous. Et bien sûr, à leur retour en France, ils meurent un par un.

Ca ne casse pas trois pattes à un canard, l'intrigue est assez simple mais les acteurs sont chouettes, notamment Pierre Fresnay et Suzy Delair qui jouent les mêmes personnages que dans l'assassin habite au 21 et c'est normal puisque l'assassin est en fait la suite de du dernier des six. On l'a regardé avec plaisir, tout en sachant que ce n'était pas immense.

A noter, d'improbables numéros de danse avec des girls très déshabillées, insérées parce que le récit se passe en partie dans un music-hall. On ne s'attendait pas à ça dans la France de Pétain !





14 mars 2021

Le dictateur – Charlie Chaplin

Après l'avoir vu lors d'une ressortie au cinéma au début des années 2000, nous avons voulu montrer le Dictateur aux enfants. 

Voir des films de Chaplin, c'est toujours plonger dans un univers artistique unique. Le Dictateur peut paraître horriblement daté, avec son humour zimboum, ses baffes dans la gueule, ses poursuites dérapantes, sa naïveté, ses personnages simples. Le canon détraqué se tourne pour poursuivre le canonnier, le dictateur éructe des phrases hachées crachant sur les Juden tout en faisant des grimaces et le savant fou essaie des inventions absurdes qui tournent tout le temps en désastre. C'est un film de sketches, au scénario flottant, situé dans une Allemagne de pacotille, un ghetto juif inventé en studio et pourtant c'est quand même bien. Il y a chez Chaplin un humour, une tendresse, quelque chose de doux et d'un peu ridicule. J'aime toujours voir ou revoir ses films. Chaplin est un clown, sorti du cirque pour tomber dans le cinéma (et moi, j'aime le cirque).

La fin où l'acteur casse le quatrième mur pour parler aux spectateurs, me bouleverse toujours.

Les enfants ont bien aimé.