26 mars 2023

Pirates, encore (pot-pourri)

Je lis pas mal de trucs en ce moment et ce blog ne suit pas trop. Voici quelques autres lectures de pirates, pour futurs MJs de Pavillon Noir et autres amateurs de voile.

La république du crâne, Bruegas au scénario, Toulhoat au dessin




Cette bande dessinée est un peu le pendant du roman de Sylvain Patteau. On y trouve des pirates épris de liberté affrontant un méchant gouverneur, des esclaves noirs libérés, des chefs charismatiques, des aventures marines plutôt réalistes et une forme d'a-historisme. Honnêtement, c'est très bien fait et très sympa, mais je voyais vraiment les ficelles, comment c'était fait, ce que les auteurs voulaient dire. On est dans du récit de pirates début 21ème siècle, sous l'influence de Rediker. Un truc frappant : deux idées fortes du livre étaient présentes, telles quelles, dans ma campagne de jeu de rôle (avant que je le lise) : le capitaine charismatique mais pas marin, et la scène de l'apparition de la reine africaine. Le jeu de rôle étant un très bon moyen de capter l'air et les clichés du temps, j'en déduis que ce livre en fait autant.

Par ailleurs, le dessin est très cool, les bateaux sont bien dessinés (et c'est dur !) et il y a plusieurs belles scènes. Je recommande la lecture.

Barracuda T1 à 4, Dufaux et Jeremy



Une histoire shakespearienne sur une île de la Tortue fantasmatique et pas réaliste, avec troubles dans le genre, vieilles vengeances, diamant maudit. Dufaux est roué, il sait dérouler ses mécaniques narratives pleines de violence et de sexe, et l'ensemble n'est pas très intéressant. Je n'accroche pas du tout au dessin.

Raven T1, T2, Matthieu Lauffrey

J'y suis allé un peu à reculons (ce n'est pas très réaliste et il y a pas mal d'erreurs historiques), et en fait, on s'en fout. C'est un récit d'aventures très énergique, une sorte d'énorme film d'action de pirates avec un héros audacieux, fort à la bagarre, rusé et souvent un peu bête, une méchante dark classe et très méchante, un trésor, une île aux milles dangers, des canons qui font boum, etc. J'ai trouvé l'ensemble pas très fin, mais très fun - ambiance Ile aux pirates, si vous voulez. Et c'est de la bande dessinée qui envoie du bois, avec une mise en scène énergique, des couleurs qui claquent, des décors insolites et grandioses...

Histoire du sieur de Montauban, capitaine flibustier (par lui-même)

Ce petit bouquin est publié par les éditions Anacharsis, les mêmes qui ont publié Pitman. Montauban était un flibustier de la fin des années 1690, qui raconte de manière très brève une expédition ordinaire qui tourne au désastre avec un navire qui explose lors d'un combat. C'est un texte très court, accompagné du double de longueur en paratexte : présentation du contexte et histoire du texte. Avis aux rôlistes : il n'y a pas beaucoup à se mettre sous la dent - bien moins que chez Pitman. Avis aux amateurs d'histoire(s) : ça reste très intéressant. J'y ai appris des trucs sur le business plan de la flibuste, les relations pas jolie jolie avec le commerce triangulaire, le goût de l'époque pour les récits de flibuste, etc. Pour les curieux.

Les aventures du capitaine Jack Aubrey, Patrick O'Brian



Selon moi, Master and Commander (le film avec Russel Crowe, Paul Bettany, par Peter Weir) est le meilleur film de bateaux à voile du monde. C'est adapté (assez fidèlement) d'une série de romans maritimes anglais très connus, les aventures de Jack Aubrey, qui se déroulent à l'époque des guerres napoléoniennes (les Français sont les méchants). J'ai lu les deux premiers, grâce à une réédition J'ai lu qui me lorgnait du coin de l'oeil chez Payot.
Le premier roman, Maître à bord, raconte comment le jeune lieutenant Aubrey se voit confier un petit sloop un peu lent, la Sophie, et un médecin-espion, le docteur Maturin. A bord de la Sophie, Aubrey accomplit des exploits en méditerranée occidentale. Le roman est formidable 450 pages d'aventures marines en mode réaliste, coups de canon, accidents de voilure, vie de l'équipage, etc, etc. Une mine d'infos marines, pour peu qu'on aime le vent et la voile, avec plein d'idées transposables pour des histoires de pirates.
Le deuxième roman, capitaine de vaisseau, est plus filandreux, avec Aubrey renvoyé à terre parce que la guerre est finie (elle va reprendre), histoires de coeur, de fric, intrigues politiques dans la navy, etc. Il y a heureusement des scènes de bateau, pas assez, et elles sont également formidables. La principale scène d'action arrive à la fin du roman et elle m'a laissé coi. 
J'ai acheté les romans 3 et 4 (le second volume - ce sont des livres contenant deux romans), je vous en dirai des nouvelles (Cecci a été étonnée de me voir avaler 1000 pages aussi vite)

Pavillon noir - le jeu de rôles - Renaud Maroy & al.



Ce jeu de rôles et ses suppléments propose de jouer des pirates de manière assez réaliste entre le 16ème et le début du 19ème siècle. Ma propre campagne est une reprise de la campagne des Cinq Soleils. Je n'ai pas grand-chose à dire sur le jeu lui-même, puisque les règles ne m'intéressent pas et qu'il en fourmille. Mais les suppléments (notamment sur la structure et le plan des bateaux), les notes historiques sur les armes, les canons, les techniques de combat naval, etc., sont très utiles à tout MJ voulant faire jouer à l'époque. J'aime particulièrement la tentative de catégoriser les types de bateaux (forcément incomplète, même à l'époque c'était le bazar...). La campagne des Cinq Soleils a pas mal de bonnes idées, des PNJs (et PJs) bien troussés, une insertion bien fiche dans la trame historique et une présentation super caffouillou où je ne retrouve jamais rien. J'aimerais bien que le tome 2 paraisse, sinon je vais devoir tout inventer.







06 mars 2023

Une vérité si délicate - John Le Carré

 

Je suis un vieux fan de John Le Carré et de ses romans d'espionnage bureaucratiques (les qualifier ainsi est bien mal leur rendre justice).

Celui-ci est un roman de sa seconde période, post guerre-froide, mettant en scène un politicien du New Labour, post Tony Blair, un fonctionnaire du Foreign Office naïf et un peu idiot, un jeune ambitieux et son mentor, qui a un petit quelque chose de George Smiley, with a twist.

C'est aussi une satire, une histoire pleine de plans tordus qui foirent et de gens qui essaient de dissimuler leurs erreurs, au prix parfois de la vie des autres. Pas un grand roman, mais très dense, passionnant, souvent drôle, souvent cruel. 

J'apprécie le fait que Le Carré aime ses personnages, même ceux dont il se moque. Il les traite avec une tendresse et une humanité qui me font plaisir.

Je rêve secrètement de pouvoir faire jouer un jour à "John Le Carré Role Playing Game", où les personnages (le personnage ?) serait un employé un Foreign Office, l'histoire se passerait dans une ambassade, sur plusieurs années, il faudrait aller dîner chez le concierge allemand, se rappeler dans quel placard le magnétophone est rangé, séduire la femme (mariée) de l'attaché culturel bulgare... Ce serait bien.


02 mars 2023

Onéguine -- au TKM



Deuxième sortie cette année au TKM et deuxième réussite ! Onéguine est un spectacle expérimental, "d'après" Pouchkine, avec peu de gens sur scène et un casque audio sur les oreilles, plein de choses pour me déplaire (bon, il aurait aussi pu y avoir de la vidéo...), et malgré ces restrictions, j'ai beaucoup aimé.

Le concept du spectacle est en vérité très simple : les quatre acteurs et l'actrice (et pianiste) sur scène vous réciter le roman en vers Eugène Onéguine, de Pouchkine. Faire entendre l'essentiel du texte, tout simplement, sans en faire une pièce de théâtre, sans personnages clairement définis sur scène, sans jeu, avec un habillage sonore, un peu de piano, des bougies, trois accessoires. Comme ils ne lisent (ils connaissent les vers par coeur) ni ne déclament, mais parlent à voix souvent basse, murmurant parfois, on entend leur voix glissée dans nos oreilles grâce au casque audio, avec lequel la mise en scène joue parfois.

Ces deux heures de poésie sont une traversée, acteurs, actrice et public tous ensemble. Eugène quitte Petersbourg, part à la campagne, se lie avec le poète Lensky, rencontre Olga puis Tatiana, se bat en duel... Le texte est celui de la traduction d'André Markowicz, que je découvrais pour l'occasion. Octosyllabes rimés, en français, qui donnent une idée de l'écriture brillante de Pouchkine. 

Nous avons, Cecci et moi, une relation particulière avec Pouchkine, dont nous avons découvert l'oeuvre lors d'une conférence-concert au moulin d'Andé, il y a vingt ans de ça. Nous aimons ses nouvelles, son roman d'aventure, la fille du capitaine, et surtout Eugène Onéguine, un des meilleurs livres au monde, de tous les temps, un de mes textes préférés, un de ceux qui réconforte le coeur, qui donne foi en l'humanité et en l'amour. Si vous ne connaissez pas, je ne saurais pas le résumer parce que le résumé ne dirait rien de ce que c'est vraiment qu'Onéguine. Disons que ça parle d'un jeune noble éduqué, dans les années 1820, qui part à la campagne, et qui se trompe beaucoup. C'est surtout un livre qui a l'ambition de donner à la Russie une littérature, de dire voici qui nous sommes, voici nos vies, voici notre monde, et qui invente une langue pour dire tout cela. C'est un livre léger comme des bulles de champagne, et profond, et qui fait rire et pleurer et qui rend heureux. 

Et comme il n'est pas très long on comprend qu'il puisse venir l'idée à une troupe de l'apprendre par coeur et de le dire, en deux heures. Et là, pam !, deuxième chef d'oeuvre, la traduction d'André Markowicz est extraordinaire, une surprise et un émerveillement, je l'ai adorée.

Je parle à peine du spectacle, dans ces lignes, parce que le spectacle se met tout entier au service du texte, ce qui est sa grande humilité et sa grande réussite. Le poème prend vie et nous entraîne et on part à la campagne avec cet imbécile d'Eugène et on tombe amoureux de Tatiana...


Ci-dessous, un extrait de la traduction, pour vous donner une idée.


IV
Quand des orages de jeunesse
Pour Onéguine vint le temps,
Troubles espoirs, tendres tristesses,
Monsieur fut chassé promptement.
Mon Onéguine est libre, il vole :
Coiffé à la dernière école,
Vêtu comme un dandy, enfin
Il voit le monde, il en a faim.
C’est un français irréprochable
Qu’il employait dans tous les cas,
Dansait fort bien la mazurka
Et s’inclinait d’un air affable —
Chacun le dit, à ses façons,
Intelligent et bon garçon.

V
Nous avons tous acquis nos lettres
A la légère, à bouts fortuits ;
Il ne faut pas être grand prêtre
Chez nous pour avoir l’air instruit.
Evguéni, d’après la censure
De gens sérieux, à la dent dure,
Etait savant et vétilleux.
Il avait ce talent heureux,
Dans l’entretien, avec aisance,
D’avoir pour tout un argument
Mais de se taire gravement
Pour les affaires d’importance
Et les sourires féminins
Naissaient à ses bons-mots soudains.