02 mars 2023

Onéguine -- au TKM



Deuxième sortie cette année au TKM et deuxième réussite ! Onéguine est un spectacle expérimental, "d'après" Pouchkine, avec peu de gens sur scène et un casque audio sur les oreilles, plein de choses pour me déplaire (bon, il aurait aussi pu y avoir de la vidéo...), et malgré ces restrictions, j'ai beaucoup aimé.

Le concept du spectacle est en vérité très simple : les quatre acteurs et l'actrice (et pianiste) sur scène vous réciter le roman en vers Eugène Onéguine, de Pouchkine. Faire entendre l'essentiel du texte, tout simplement, sans en faire une pièce de théâtre, sans personnages clairement définis sur scène, sans jeu, avec un habillage sonore, un peu de piano, des bougies, trois accessoires. Comme ils ne lisent (ils connaissent les vers par coeur) ni ne déclament, mais parlent à voix souvent basse, murmurant parfois, on entend leur voix glissée dans nos oreilles grâce au casque audio, avec lequel la mise en scène joue parfois.

Ces deux heures de poésie sont une traversée, acteurs, actrice et public tous ensemble. Eugène quitte Petersbourg, part à la campagne, se lie avec le poète Lensky, rencontre Olga puis Tatiana, se bat en duel... Le texte est celui de la traduction d'André Markowicz, que je découvrais pour l'occasion. Octosyllabes rimés, en français, qui donnent une idée de l'écriture brillante de Pouchkine. 

Nous avons, Cecci et moi, une relation particulière avec Pouchkine, dont nous avons découvert l'oeuvre lors d'une conférence-concert au moulin d'Andé, il y a vingt ans de ça. Nous aimons ses nouvelles, son roman d'aventure, la fille du capitaine, et surtout Eugène Onéguine, un des meilleurs livres au monde, de tous les temps, un de mes textes préférés, un de ceux qui réconforte le coeur, qui donne foi en l'humanité et en l'amour. Si vous ne connaissez pas, je ne saurais pas le résumer parce que le résumé ne dirait rien de ce que c'est vraiment qu'Onéguine. Disons que ça parle d'un jeune noble éduqué, dans les années 1820, qui part à la campagne, et qui se trompe beaucoup. C'est surtout un livre qui a l'ambition de donner à la Russie une littérature, de dire voici qui nous sommes, voici nos vies, voici notre monde, et qui invente une langue pour dire tout cela. C'est un livre léger comme des bulles de champagne, et profond, et qui fait rire et pleurer et qui rend heureux. 

Et comme il n'est pas très long on comprend qu'il puisse venir l'idée à une troupe de l'apprendre par coeur et de le dire, en deux heures. Et là, pam !, deuxième chef d'oeuvre, la traduction d'André Markowicz est extraordinaire, une surprise et un émerveillement, je l'ai adorée.

Je parle à peine du spectacle, dans ces lignes, parce que le spectacle se met tout entier au service du texte, ce qui est sa grande humilité et sa grande réussite. Le poème prend vie et nous entraîne et on part à la campagne avec cet imbécile d'Eugène et on tombe amoureux de Tatiana...


Ci-dessous, un extrait de la traduction, pour vous donner une idée.


IV
Quand des orages de jeunesse
Pour Onéguine vint le temps,
Troubles espoirs, tendres tristesses,
Monsieur fut chassé promptement.
Mon Onéguine est libre, il vole :
Coiffé à la dernière école,
Vêtu comme un dandy, enfin
Il voit le monde, il en a faim.
C’est un français irréprochable
Qu’il employait dans tous les cas,
Dansait fort bien la mazurka
Et s’inclinait d’un air affable —
Chacun le dit, à ses façons,
Intelligent et bon garçon.

V
Nous avons tous acquis nos lettres
A la légère, à bouts fortuits ;
Il ne faut pas être grand prêtre
Chez nous pour avoir l’air instruit.
Evguéni, d’après la censure
De gens sérieux, à la dent dure,
Etait savant et vétilleux.
Il avait ce talent heureux,
Dans l’entretien, avec aisance,
D’avoir pour tout un argument
Mais de se taire gravement
Pour les affaires d’importance
Et les sourires féminins
Naissaient à ses bons-mots soudains.

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