19 septembre 2009

Tartuffe – par les Artpenteurs



"Le scandale du monde est ce qui fait l’offense, Et ce n’est pas pécher que pécher en silence."

Nous étions allé voir voici deux ans la mise en scène de Marcel Bozonnet à la comédie Française de cette classique pièce de Molière. Outre le fait que le spectacle était franchement boiteux, j'en étais ressorti avec l'idée que cette pièce, au fond, n'était pas très bonne et que Molière était bien meilleur dans le bourgeois gentilhomme ou le malade imaginaire.
Les artpenteurs m'ont prouvé, en beauté, que j'avais tort.
Ils montent leur Tartuffe sous (un tout petit) chapiteau, avec quelques tréteaux à portée de main du spectateur, et des acteurs proche à toucher. Pas de décor, une scène nue, un rappeur (Obaké) pour la musique, qui dit aux entractes les lettres de Molière au Roi où Jean-Baptiste P. tente de défendre sa pièce.
Jamais cette histoire ne m'avait parue si angoissante et désespérée. Face au serpent logé dans le sein de la maison (et le Tartuffe n'est rien d'autre), aucune arme ne porte.
Cléante, le beau-frère d'Orgon, est calme et raisonnable. Il raisonne juste et calmement... En vain.
Damis, le fils, joue la carte de la colère et de la violence, en vain.
Elmire, la femme, réussira par ruse et en donnant de sa personne, à déciller les yeux d'Orgon. A quoi bon, puisque la société, en la personne du sergent, reste du côté de l'imposteur...
Seul moyen de s'en sortir, le Ludovicus ex machina... Et la façon dont il est manifesté montre bien comment Chantal Bianchi, la metteuse et scène (et désopilante madame Pernelle) le considère. On ne verra jamais le monstre écrasé sous le talon... Est-il même possible de le vaincre?
Le spectacle met en scène les flots de mots qui s'affrontent. Obstination d'Orgon, colère rusée de Dorine, discours savants de Cléante, fourberies de Tartuffe. Le tréteau, tout en longueur, est un espace de duels, marche, retraites, estocades... On tente de vaincre, de convaincre, et le monstre, souple, souriant, visqueux, s'en sort toujours. Quand on le croit coincé, il s'avilit un peu plus pour s'échapper...
Bien sûr, un espace aussi réduit impose un jeu très physique, dans des costumes criards, tranchés. La faible distance, les visages maquillés qui semblent être des masques, permettent de jouer sur les mimiques à la De Funès, les sourires onctueux, les regards en coin. Le spectateur se sent aspiré, pris à partie. Il ressort de la pièce aussi épuisé que les comédiens.
Et j'ai repensé à l'affaire des caricatures. Le livre de J.Favret-Saada montre quelques beaux tartuffes, de l'espèce la plus dangereuse...

Le spectacle se joue encore (voir sur le site web) – si vous n'êtes pas trop loin de la romandie, profitez-en, cette troupe, engagée et exigeante, mérite d'être connue !

Voir aussi :
Ma chronique de l'excellent Peer Gynt, des mêmes artpenteurs (qu'ils jouent encore, voir sur leur site. Photos ici).

Sire,
Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j'ai cru que, dans l'emploi ou je me trouve, je n'avais rien de mieux à faire que d'attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle; et, comme l'hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j'avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mît en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistique.

13 septembre 2009

Le codex du Sinaï – Eward Whittemore

Je crois avoir dit quelque part tout le mal que je pensais des séries pleines de tomes compliqués et de personnages dont il faut se souvenir. Mettons que je fais une exception pour Whittemore. Et d'abord, ce n'est pas de la fantasy.
Dans ce livre, on trouvera :
– un noble anglais du 19ème siècle sourd et fabuleux bretteur fondateur d'une théorie scientifique d'une ampleur égale à celle de Darwin et de Freud (mais malheureusement interdite de publication)
– un authentique faux de la Bible, qui n'est autre que la Bible que nous connaissons.
– un ermite albanais qui parle avec une taupe.
– un arabe immortel (? en tous cas il a vécu de -2200 à 1933, au moins) coiffé d'un vieux casque de croisé.
– un ancien héros irlandais de la lutte contre les black and tans, trente-troisième fils d'un septième fils d'un septième fils des îles d'Aran.
– de purs moments d'absurde, de purs moments de poésie, de purs moment de délire furieux et d'humour et une plongée dans un cauchemar de massacres, de sang et de mort qui m'a laissé blême.
Tout ce que je viens de dire peut laisser penser que ce livre est du grand n'importe quoi. Mais un fil rouge relie toutes ces curieux personnages... Un rêve de Jérusalem et du Moyen-Orient, de ces royaumes et de ces guerres et de ces peuples rêvant à leurs livres sacrés, aux prophètes juifs, aux évangiles, au Coran, aux mille et une nuits. Le tout écrit avec un style aux voix multiples, glissant en quelques pas du bouffon au tragique...
C'est très beau, c'est très bon, c'est merveilleux. On est dans une pure fiction, un pur jeu littéraire, qui donne à voir la vérité du monde.

Je lirai le tome II.

"Défendre Jérusalem, c'est toujours se ranger du côté des perdants"

InStallation - théâtre de Vidy


Son titre est sans doute l'élément le moins intéressant de ce spectacle. Sous un chapiteau noir auquel quelques lustres sont suspendus, quatre artistes, un dresseur et trois musiciens, dans une belle complicité, offrent un spectacle de cirque élégant et poétique. Cecci et moi étions assis très serré, les gradins étaient bondés, comme chez Bartabas. Mais contrairement à ce que nous avions vu chez Zingaro, ici, le spectacle valait le coup.
Reprenant de nombreux éléments du cirque classique (jeux de corde, chevaux dressés, courses clownesques, jonglerie, funambulisme) la troupe rompt la logique des numéros et de la division des rôles : tous, plus ou moins, s'engagent sur la piste, jouent avec les animaux, montent à la corde... Et si on devine que chacun a son point fort, on constate aussi la polyvalence des artistes et leur joie à présenter ensemble leurs numéros. La musique est superbe, elle enveloppe les morceaux, crée le lien, le rythme, le suspense... Au piano, au mélodica, à la guitare électrique, à la harpe à tonnerre... Les sons sont étonnants.
Si elle existait, j'aurais bien acheté la B.O du show...


Malgré des éléments plus ou moins réussis (je ne suis pas grand amateur des numéros de diabolo en général, même les leur sont plein d'idées), ce spectacle offre de nombreuses images très poétiques, de danses, de scènes, de moments tendres ou incongrus.
Pour la première fois, du crique moderne nous a convaincus – et nous revenons de loin !

08 septembre 2009

L’enfance attribuée – David Marusek

Marusek

La librairie BD située en haut de la rue du Petit-Chêne, à Lausanne, mettait en vente à prix réduits un vieux stocks de livres de SF de bonne qualité, dont quelques publications du Bélial, petit éditeur tout à fait recommandable. J'en ai profité pour me procurer des titres intéressants.

L'enfance attribuée est un récit court, de science-fiction génétiquement pure, comme dirait Gilles D.. Sam, un artiste à la mode, aime Eleanor, politicienne en devenir, et on leur annonce qu'ils ont droit à un enfant. Mais voilà... On est vers la fin du XXIème siècle, Sam a 147 ans, Eleanor un peu plus. Ils sont tous les deux shootés aux nano-trucs et subissent régulièrement des cures de jouvence. Ils sont aidés par des assistants virtuels dotés d'une personnalité, qui les dépannent dans toutes les occasions de la vie – Henry, pour Sam, et toute une armada pour Eleanor. Ils sont servis par des clones – dont on ne sait pas trop si ce sont des sortes de robots ou un véritable sous-prolétariat. Ils vivent sous dôme. Leur existence sociale se fait aux quatre coins du monde en même temps. Ils craignent toutes sortes de pestes génétiques, mais heureusement les nano-protections de leur peau leur assurent d'éviter la contamination. Et ces deux hédonistes sont tous deux obsédés par leur carrière.

Alors, faire partie des quelques milliers d'élus à qui, chaque année, on autorise un bébé (visiblement, la procréation naturelle est interdite depuis quelque temps), c'est une responsabilité.

L'intrigue est étrange, assez simple, et elle ne mène pas là où on l'attend – l'auteur nous présente la vie de Sam et, par son intermédiaire, celle d'Eleanor, puis la brutale transformation de l'existence de l'artiste, qui n'est pas la naissance de son enfant, mais plutôt sa re-naissance à lui, sa prise de conscience de sa vie imbécile de jouisseur pseudo–immortel.

Malgré un point de vue un peu bizarre, l'auteur arrive à nous faire toucher ce monde étrange et proche. Le livre date de 1995, mais il arrive tout à fait à faire sentir ce que peut être l'extrapolation d'une vie connectée, d'une sociabilité mondiale. Si Facebook existait encore, Eleanor y aurait soixante millions d'amis (sans doute plus, en fait). Quelques pages contiennent des visions saisissantes : Sam observant les réunions de sa femme avec les grands de ce monde où se mêlent dans la même pièce des bureaux de tous les coins de la planète, ou bien son retour à la maison après son accident, ou le récit de son mariage – sur fond bleu, où le nombre d'invités est si grand que le système holographique est obligé de les empiler par cinq ou six au même lieu (et dans la cathédrale, tout le monde est assis au premier rang). Le rôle des assistants est également très bien vu, personnalité d'appoint, confident, chose, esclave, sauvegarde de sa propre existence. L'auteur mêle pour ses personnages vie virtuelle et vie en réseau comme si cela n'était qu'une seule et même chose, et il a raison.

Ce qui fait la qualité d'une bonne science-fiction, à mon goût, c'est de saisir une vérité sous-jacente à notre époque et de la présenter en nous émerveillant/en nous horrifiant (ce qui est le même sentiment). A cette aune, l'enfance attribuée est une grande réussite.

J’en profite pour recommander une librairie online spécialisée dans la SF, qui vend ce livre à vil prix par correspondance et qui est tenue par un homme sympathique.

Allez-voir ici : Librairie Ys

03 septembre 2009

Inglourious Basterds – Quentin Tarentino

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Notre deuxième sortie cinéma de l’année (quelle folie !) a été un succès elle aussi. Inglourious Basterds est un film vraiment cool, un des meilleurs de Tarentino, et des tas de gens vous expliqueront cela mieux que moi. (par exemple, ici).

Ce qui me fascine, dans ce film, c’est sa capacité à raconter une histoire forte, au premier degré – histoire de vengeance et aventures en France occupée de ces fameux Basterds, avec des personnages très bien campés, tout en étant un collage et un jeu permanent de références (jusqu’au générique qui emprunte trois lettrages différents !).

Le film multiplie les registres, suspense, horreur, humour…, joue sur tous les degrés tout en croyant profondément à son récit.

Tarentino aime le cinéma, il aime en voir, il aime en faire, et il nous le fait aimer.

(et la scène d’ouverture du chapitre V prouve encore une fois QT est le roi pour poser des images sur une musique…)

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Jeu fantasy française - la fin !

Avec un retard de lapin blanc subsonique, je mets enfin ce blog à jour pour proclamer haut et fort le résultat de notre grand concours de l'été. Le suspense aura été assez bref vu que les scores sont affichés depuis un moment, mais je me fais une joie de répéter ici le nom des vainqueurs, qu'il soit auréolé à jamais d'une couronne de gloire, que les anges chantent leur nom en tout temps :

attention, roulements de tambour, trompettes et tout le tralala... Voici que s'avance le premier connaisseur en fantasy française pré 1990 !
Ice Hellion !
A deux pas derrière lui,
Yes 42 !
Et fermant de tout près le trio de tête,
Claire !
Tableau des scores



Bravo à tous les participants qui ont élucidé mes petites énigmes pleines de mauvaise foi.
J'invite les trois gagnants à me contacter en privé (lk2012+jff@gmail.com) pour pouvoir choisir leur prix extrait de ma bibliothèque (et non pas de la liste des livres à deviner)

Voici maintenant un bref commentaire sur les titres proposés à votre sagacité :

Question 1 : Salammbo. J'ai déjà dit ici, ainsi que dans une petite notule consacrée à Mâtho dans les nombreuses vies de Conan (moutons électriques), combien ce roman est proche d'une fantasy à la Guy Gavriel Kay, sous ses atours de roman historique fréquentable.


Question 2 : le roi des Aulnes, de Michel Tournier. Là aussi, sous le réalisme apparent on est en pleine magie, si l'on accepte la vision du monde du héros. Un ogre transmué en Saint Christophe, le fleuve de l'histoire qui se détourne pour l'aider à s'accomplir, une chaumière dans une noire forêt, un château fort entouré d'arbres noirs, et un élan du canada perdu dans la plaine de Poméranie... Le monde du rêve pénètre l'histoire et la transfigure.



Question 3 : Chronique fidèle des événements survenus au siècle dernier dans la Principauté de Wasquelham comprenant des révélations sur l'étrange pouvoir d'une certaine Rosa qui faisait à son insu le bonheur des plus malheureux des hommes. Roman merveilleux dont j'ai déjà dit du bien ici. C'est un bijou, et là aussi la réponse aux énigmes est dans les rêves les plus fous.

Question 4 : Un classique, l'enchanteur, de Barjavel, une très jolie revisitation de la geste arthurienne. C'est drôle et sans doute aussi juste de ton et de propos que certaines pompeuses arthureries pleine de tomes plein de pages (oui, j'aime les livres courts !)




Question 5 : Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l'Ouest qui n'était plus gardée , de Jean Raspail. Là aussi un bijou étrange, situé je crois dans le même univers imaginaire que certain fameux roman de Julien Gracq (univers auquel on pourrait rattacher les textes de Maurice Pons). Une quête, des chevaliers, des phénomènes étranges et un royaume qui n'existe pas.



Question 6 : retour de Maurice Pons avec son chef d'œuvre, les saisons. Oui, en six questions je mets deux fois le même auteur... Et alors ? Il faut lire Maurice Pons, un homme qui aime écrire des livres courts. Le novelliste, chez lui, est presque aussi bon que le romancier, et ses rééditions au dilettante sont de petits bijoux. Vous cherchez un cadeau littétaire à offrir pour séduire votre belle ? (ou votre beau) ? Offez du Pons !



Petit bilan plus personnel, ce concours a, du temps de sa durée, triplé la fréquentation de ce blog ! Il est donc temps que je me repose et que je retrouve mon rythme d'une notule confidentielle par mois...