22 février 2012

Du domaine des murmures - Carole Martinez

J'ai lu ce livre sur conseil du blog de Pierre Jourde, dont j'aime les coups de gueule et estime les opinions. Je suis un peu surpris des commentaires louangeurs qu'il a reçu.
Reconnaissons-lui deux choses : le sujet est bien trouvé et l'écriture fort réussie.
Quelque part en Franche-Comté, pas très loin de chez nous, à la fin du 12ème siècle, Esclarmonde des Murmures se fait emmurer vivante, espérant devenir sainte plutôt que femme mariée à un seigneur brutal. La scène de la conversion et de la noce interrompue est époustouflante et belle. Carole Martinez écrit son livre comme la confession d'un fantôme à un visiteur du château en ruine. Le style est élégant, chargé comme un il faut d'images médiévales et d'impressions sensuelles.
J'imagine que je m'attendais à une leçon de ténèbres mystique, quelque chose dans l'esprit de ce livre de Tahar Ben Jelloun. Un livre qui parlerait de Dieu, de la souffrance, des corps, des esprits du moyen-âge...
A la place, on se promène dans un moyen-âge scolaire. La narratrice prend soin d'expliquer aux lycéens les petits points de civilisation qui leur manqueraient (tranchoir, trébuchet, stigmates...). Sous prétexte d'évocation du merveilleux et des contes (femmes-sirènes des rivières, chevaux fantastiques, enfants crucifiés) le roman prend soin de presque tout rationaliser (sauf cette jolie idée de la généalogie des mains percées). Là où je m'attendais à la création d'une vision extraordinaire du monde depuis le cachot de la recluse, je n'ai eu qu'une pseudo-objectivation ne laissant que très peu d'ambiguïtés. L'introduction d'un élément fantastique (la vision déportée) est faite avec une touchante mais agaçante maladresse. Quant à la relation à Dieu, elle est enfermée dans les clichés. Dommage.
Bref, on m'a promené dans un joli livre d'images, bien tourné. J'aurais adoré lire ce livre quand j'avais dix-sept ans.

21 février 2012

Histoire du soldat, à Vidy

Je me réjouissais d'entendre la voix singulière de Ramuz à Vidy car contrairement aux écoliers romand, je n'ai pas le dégoût scolaire de ses textes.
Et entendre le texte de Ramuz aura bien été ma seule satisfaction à ce spectacle. La musique de Stravinski m'a parue stridente et énervante. La mise en scène aura été une découverte, pour moi : pour la première fois depuis que je vais au théâtre, j'ai eu le sentiment que ce qu'on voyait sur scène ne servait strictement à rien, n'apportant rien au texte, voire faisant mal aux yeux. Projections pixellisées, chaussures de femme éparpillées sur scène, pistolet/violon, musiciens perchés dans les airs... Je n'ai rien compris, j'ai trouvé ça laid, prétentieux et surtout inutile. Je n'avais pas entièrement adhéré au spectacle de Zimmerman et de Perrot, mais ces deux là au moins savaient composer un univers graphique sur scène.
Quant à Thomas Fersen... J'ai de la sympathie pour le chanteur. L'acteur a une belle voix, mais il manque réellement de tonicité et de présence sur scène. Et quelle idée, mais quelle idée de l'avoir fait parler dans un micro ? Quant à l'idée de lui faire jouer tous les personnages, elle rend confuse cette histoire simple. Dommage.




Photo (c) Emmanuelle Murbach

20 février 2012

Février 2012 - Poignée de pluie

Voici la suite des aventures tristes de Monsieur K dans un bientôt rétro-futur. Dans cette histoire, on trouvera une drogue mortelle, un beau dealer, des relations troubles et une scène d'action où notre héros ne brillera pas (Alex, lui, si).
On y entend aussi les chansons suivantes :

  • Welcome to the machine (Pink Floyd)
  • Paradise City (Guns & roses)
  • Handful of rain (Savatage)


Comme annoncé dans le billet précédent sur le sujet, cette livraison sera payante, 1 euro. Pour recevoir leur version des fichiers, les possesseurs de la version d'origine qui se feront connaître à l'adresse suivante (monsieurk [at] kloetzer.fr) devront me donner la première phrase de la p 57 (oui, je suis joueur, pourquoi ?). Dites-moi dans le mail le format que vous préférez (mobi, epub, pdf ?)

K. & Alex, vus par Mademoiselle


[Edit, avril 2016 : les liens présents ici sont supprimés, ces éditions n'étant plus disponibles]

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Par ailleurs, ces éditions numériques ont été faites à la main, par un artisan qui débute. Toute remarque constructive à leur sujet donnera lieu à des corrections rapides et à des remerciements sincères. Elles n'auraient pu être fabriquées sans l'aide précieuse du tutoriel établi par Jean-Claude Dunyach et partagé à cette adresse. Je remercie également les éditions nestiveqnen pour leur soutien à cette initiative ! Bonne lecture à tous !


[Final edit : une édition numérique officielle de Réminiscences 2012 existe maintenant à cette adresse, aux éditions Multivers.]

14 février 2012

Allah n'y est pour rien – entretien avec Emmanuel Todd

Voilà un livre très court, publié par @rret sur images. J'ai eu déjà l'occasion de dire la qualité du travail accompli par l'équipe de Daniel Schneiderman, dans le domaine du suivi médiatique et de l'analyse des phénomènes qui parcourent notre infosphère (pub gratuite : abonnez-vous chez eux ! Ce n'est pas très cher et l'information y est de qualité).
Il y a quelques semaines, @rret sur images avait invité le démographe Emmanuel Todd pour parler structures démographiques et révolutions arabes. Todd soutient en gros la thèse suivante : dans le cadre des bouleversements du monde arabe, l'islamisme joue un rôle très faible comparé à des tendances de fond : évolution du taux d'alphabétisation, baisse de la fécondité et du taux de mariages endogames. Pour lui, et il défend sa thèse brillamment, ces déterminants démographiques et anthropologiques pèsent plus sur l'évolution des sociétés que par exemple l'appartenance religieuse. Les développements qu'il en tire concernant les révolutions françaises et russes sont tout à fait intéressants.
Todd a été vu comme une sorte de prophète car il annonçait en 2007 les bouleversements auxquels nous avons assisté en 2011 (le rendez-vous des civilisations, avec Youssef Courbage). L'émission présentait un scientifique amusant, brillant, aimant prendre les gens à contre-pied, n'hésitant pas à provoquer un peu. Bref, un type plutôt sympathique.
Ce petit livre (reçu par participation à l'opération masse critique de Babelio) ne fait que reprendre l'entretien de l'émission, avec quelques questions en plus, afin de pouvoir diffuser ce contenu auprès des personnes n'étant pas follement excitées à l'idée de regarder 1h de WebTV. La modestie du projet est à la fois sa qualité et son défaut. Je trouve le livre un peu cher (même si je ne l'ai pas payé) pour 45 minutes de lecture chrono ne faisant que reprendre, sans grand approfondissement, les propos d'une (bonne) émission. Si vous êtes curieux, toutefois, vous aurez un accès facile et amusant à des théories tout à fait intéressantes sur la marche de nos sociétés et de l'humanité. C'est déjà ça !

13 février 2012

Mes parents - Hervé Guibert

Ce livre a beaucoup de choses pour me déplaire. Etude de la relation de l'auteur avec ses parents. Souvenirs d'une enfance française moyenne, ni très heureuse, ni très malheureuse dans les années 60. Découverte de l'homosexualité.
Et pourtant c'est très bien. Parce que Guibert ne tient aucun discours général, parce qu'il ne défend aucune thèse. Parce que son livre est dense, épuré, constitué d'une collection d'impressions entrelacées, constituant un tableau plus vaste. Parce qu'il a le sens des mots, de leur poids, de leur puissance. Parce que son livré, malgré la médiocrité qu'il relate, n'est pas dépressif, mais plutôt drôle, acide, aimant, cruel. Parce qu'il parle de la possession, des corps, de la jouissance et de l'abrutissement. Par l'écriture, il touche à la vérité.

11 février 2012

Le dragon Griaule - Lucius Shepard

J'ai découvert Lucius Shepard avec Aztechs, collection de récits publié voici quelques années par le Bélial. L'auteur m'avait enthousiasmé par sa capacité à présenter une vision fantastique du monde. Shepard ne fait pas partie de ses auteurs d'imaginaires ayant passé leur vie dans leur chambre (ou dans leur bureau). Ses récits parviennent à créer une vision brûlante, amère et dangereuse de la vie que nous connaissons.
Le dragon Griaule est une série de novellas tournant autour d'une région imaginaire d'Amérique du Sud et d'un antique dragon, de deux kilomètres de long, dont la masse paralysée surplombe une vallée. Le dragon est vivant, il rêve, il rumine, et sa volonté s'exerce de manière maligne sur son entourage... A partir de ce postulat énorme, Shepard tire des récits très différents, depuis une forme de conte allégorique jusqu'à l'histoire de procès hard-boiled. Certains thèmes reviennent, insatisfaction amoureuse, libre-arbitre vicié, fantasmes douloureux... mais les récits sont aussi variés dans leur style que dans leur traitement. On sent que la figure de Griaule s'est imposée à l'auteur et est revenue le visiter, malgré plusieurs tentatives pour se débarrasser de lui. La qualité des histoires est variable, allant de très bonnes à excellentes.
Je ne les résumerai pas individuellement. Si vous êtes un tant soit peu curieux, allez-y, vous ne regretterez pas le voyage. Shepard n'est pas un auteur difficile, il est facile d'entrer dans ses textes et difficile de les lâcher. Et ce qui ne gâche rien, le livre est beau, bien écrit, bien traduit. Il en existe même une version numérique à un tarif raisonnable.
Les grands écrivains nous révèlent le monde, non pas comme nous le voyons mais comme il est réellement, utilisant pour cela à toutes les armes légales ou pas, fantasmes, récits réalistes, mythiques, fantastiques, bouffons... Shepard en fait partie.

08 février 2012

Le lac Vostok

En lisant cet article dans Le Temps (archives accessibles aux abonnés) on ne peut bien sûr s'empêcher de penser aux découvertes des expéditions Byrd, et surtout Dyer-Lake, puis Starckweather-Moore. Il est connu des milieux informés que tout n'a pas été dit sur ce que ces Américains ont trouvé en Antarctique dans les années 30...

Extraits de l'article :

Le lac Vostok va livrer ses premières gouttes, et ses secrets Après vingt ans de forage, les scientifiques russes auraient atteint cette célèbre étendue d’eau préservée, lovée depuis des millénaires sous la glace de la calotte polaire de l’Antarctique, et qui pourrait contenir des formes de vie totalement inédites
C’est une lorgnette qui s’entrouvre sur un monde mystérieux! Après plus de vingt ans de travaux, les chercheurs de la base russe de Vostok seraient parvenus dimanche à pénétrer dans le fameux lac du même nom, lové à 3768 mètres sous la calotte glaciaire de l’Antarctique, selon l’agence de presse Ria Novosti, citant une source proche des milieux scientifiques. «Mes collègues semblent l’avoir fait», confiait lundi au Temps Sergey Bulat, biologiste moléculaire à l’Institut de physique nucléaire de Saint-Pétersbourg. Dans cette poche d’eau douce qui n’a pas vu le jour depuis 14 millions d’années, les scientifiques comme lui espèrent trouver des formes de vie inédites. Mais pour cela, il faudra encore attendre une année, l’équipe ayant désormais quitté sa base avec la fin de l’été antarctique.

Confirmé par des mesures satellites en 1993, le lac Vostok est une étendue vaste de 15 500 km2enfouie sous le désert de glace austral, contenant 5400 km3 d’eau, soit un peu plus de neuf fois le Léman. Il n’est que l’un des quelque 200 lacs similaires, que certains scientifiques voient connectés par un vaste réseau de canaux. Ceux-ci estiment donc que l’eau n’y est vieille que de quelques dizaines ou centaines de milliers d’années, tandis que d’autres avancent que, stagnant, le liquide pourrait remonter à l’époque de la formation de la calotte, il y a de cela 15 millions d’années.

Depuis une trentaine d’années, les paléoclimatologues extraient de cette gangue de glace à Vostok des carottes pour tenter de reconstituer l’histoire du climat de la Terre. Vers la fin des années 1990, les Russes, se sont aperçus qu’ils avaient atteint la «glace d’accrétion», autrement dit l’eau du lac qui gèle au contact de la base de la calotte, et forme alors une couche distincte. Or, surprise: un groupe de biologistes américains emmenés par John Priscu, de l’Université du Montana, a assuré avoir décelé dans cette eau gelée une concentration importante de bactéries, soit autant d’infimes représentants d’une communauté biologique peut-être inconnue.