25 novembre 2014

Notre île sombre - Christopher Priest


Ce roman de Christopher Priest est une réédition d'un roman apocalytique publié dans les années 70. Suite à une catastrophe dont, au fond, on ne sait pas grand-chose, des millions d'émigrants quittent l'Afrique dévastée et débarquent en Angleterre, provoquant le cauchemar sur lequel surfent les Le Pen & co depuis des dizaines d'années.

Le pays accueille d'abord ses réfugiés puis se retrouve débordé, la récession économique s'installe, le tissu de la société se déchire et on bascule peu à peu dans la guerre civile...

La grande réussite de ce roman repose sur sa mécanique de narration. On suit les souvenirs et les errances de Whitman, un type de la classe moyenne franchement moyen, gentiment de gauche, mal marié et papa d'une fille qu'il aime. Le récit éclaté, limité au point de vue de Whitman, naviguant sans repères précis entre sa vie personnelle et le déroulé de la crise, est vraiment très réussi.

Pour le reste, Notre île sombre m'a laissé une sorte de malaise, un sale arrière-goût. Non pas à cause du racisme potentiel du sujet, avec lequel le livre se dépatouille bien, mais à cause de la psychologie très déplaisante et égoïste du personnage principal. J'ai eu l'impression de regarder à l'intérieur de quelqu'un dont j'aurais préféré qu'il garde ses pensées (notamment sexuelles) pour lui.



24 novembre 2014

Les furies de Boras - Anders Fager

La Suède, de nos jours. Les monstres, de tout temps. Les êtres qui rodent au-delà de l'espace et du temps et qui, quand ils croisent notre réalité, une fois tous les battements de coeur (leur coeur ?), une fois tous les siècles, ont faim... et nous détruisent sans même comprendre qui nous sommes, nous, les grands singes au sang chaud.
Les furies de Boras est un recueil de nouvelles d'horreur lovecraftiennes contemporaines, et c'est très réussi.  Les récits sont tous bien, certains sont très bien. Il y a une lycéenne qui règne sur une société de filles héritières d'une longue lignées de danseuses sauvages, un petit garçon qui se demande ce qu'il y a au fond du trou, une vendeuse de poissons exotiques avec de graves problèmes de peau...
Les récits sont habiles, bien menés, à plusieurs niveaux de lecture, bref, une distraction très excitante pour tout amateur de lovecrafteries. Bien mieux que tous les pâles imitateurs, parce que l'auteur a un ton bien à lui, avec une forme de critique sociale acide qui s'ajoute à des rencontres si proches de notre quotidien... Une lecture fortement conseillée, merci au dealer qui me l'a refilé dans une discrète chambre d'hôtel pas loin de l'Atlantique.
Je ne connaissais les éditions Mirobole, mais ces gens ont l'air de savoir ce qu'ils font.

Dans le genre, on peut rapprocher les furies... de l'excellent Neonomicon d'Alan Moore, qui m'a encore plus retourné la tête dans ses réinterprétations contemporaines du Mythe.



22 novembre 2014

Looper - Rian Johnson

Un peu par provocation de Fabrice Colin, j'ai passé la soirée d'hier à regarder Looper, film de SF pas trop cher réalisé par Rian Johnson. Il y est questions de tueurs de la mafia et de voyage dans le temps, l'histoire se déroule dans un futur assez proche, et je n'ai rien compris. Enfin, si, à peu près, mais c'est le genre de film qui évacue carrément le problème des paradoxes temporels parce qu'en fait, ça prend la tête. Pourquoi pas ? Le film se concentre alors sur l'ambiance, les impressions, les émotions et ça marche bien.


J'ai bien aimé le travail de design et de petits détails, la télékinésie, les flingues, les voitures customisées, avec des panneaux solaires scotchés sur le capot, les motos volantes, les tasers, le côté grande banlieue du futur, tout ça fonctionne très bien. J'ai aussi été frappé par le solipsisme de l'histoire, qui repose entièrement sur l'amusant postulat : si tu pouvais aller donner un coup de main à ton moi du passé, que ferais-tu ? Quels conseils te donnerais-tu ? T'écouterais-tu ? Le tout, couplé avec la notion intéressante du film, le bouclage de boucles, justement.



Si j'ai bien compris, le jeune Joe (j'aime bien Gordon Levitt, comme acteur), le vieux Joe (j'aime aussi bien Bruce Willis) et le gamin (qui joue bien également), tous sont en fait le même personnage, de même, me semble-t-il, que Abe et le tueur gaffeur sont le même opposant. L'ensemble repose sur un noeud familial et psychologique très bateau (maman aime-t-elle son petit garçon ?) mais ça reste très agréable et amusant à regarder.


10 novembre 2014

Le révizor - Les Artpenteurs

XIXème siècle. Soit une petite ville russe de province, loin de la capitale. Le gouverneur, le juge, le chef des écoles, le directeur de l'hôpital et celui des postes sont dans l'inquiétude : ils ont appris qu'allait arriver un révizor, un fonctionnaire impérial, incognito, chargé de d'examiner que la petite ville tourne bien. Or, tous ces braves fonctionnaires d'état s'en mettent plein les poches et le peuple grogne...
Arrive en ville un jeune homme, Ivan Alexandrovitch Khlestakov, un de ces nobles dispendieux accompagnés d'un serviteur fidèle que la littérature russe aime bien. Khlestakov n'a plus un sou, il est désespéré et voilà que la chance lui sourit... les notables le prennent pour le revizor, et tentent de le corrompre ! Le gouverneur va même l'inviter chez lui, où sa femme et sa fille ne resteront pas insensibles au charme petersbourgeois du jeune homme...

Le revizor est une comédie très grinçante, très acide, sur la comédie des apparences, la corruption, la gémellité... Une pièce un peu folle, dont nous avions vu il y a longtemps une très bonne représentation à la Comédie Française.


XXIème siècle : les Artpenteurs sont une troupe de théâtre de Suisse romande, intègre et talentueuse, qui aime se lancer dans les défis les plus fous. (comme monter un western sous petit chapiteau, ou arranger un spectacle de lecture de textes de SF). Là, associée avec le Petit théâtre de Lausanne (dont on ne louera pas assez le bon goût de la programmation), ils ont eu l'idée dingue de monter cette comédie pour des enfants. En condensant l'intrigue sur 1h15, avec des danses et des chansons (en russe) ! Nous y avons emmenés Rosa et Marguerite, assises au premier rang avec d'autres enfants, et elles ont tout saisi et tout compris. Les magouilles, l'argent qu'on échange, les illusions et les espoirs déçus.



Pour réussir ce pari, les comédiens, accompagnés par la metteuse en scène Evelyne Castellino, on joué sur une condensation du texte, un jeu hyper physique, tout en énergie et en image, et des personnages identifiés par des masques, très réussis. Le spectacle est un tourbillon d'élans, d'idées, de situations qui se percutent. Il y a des gags tout le temps, du premier au dernier plan, et toute l'intrigue passe, à travers le mouvement et l'humour.
Une très très grande réussite, qui nous a laissés enthousiastes, et essoufflés. 

Une nouvelle date a été programmée à Lausanne le 16 novembre. Foncez, si vous pouvez !