24 décembre 2023

Faire jouer les cinq supplices ? #2

J'ai lu la campagne jusqu'au livre 4 inclus. Les défauts du texte restent les mêmes : c'est très souvent bavard et très souvent un compte-rendu de vieille partie. "A ce stade de l'histoire, les PJs devraient en être là...", suivez les indices du marchant ambulant et allez chercher l'objet magique A pour aller faire B..., vous arrivez là et hop, les méchants vous doublent et dérobent sous vos yeux et sans aucune raison l'objet magique C. Les motivations des PJs sont celles de héros pulp : ce granméchant veut faire ça, on va l'en empêcher. Bon.
Pourquoi j'insiste, alors ?
Parce qu'il y a aussi plein de décors et de scènes super. Je les liste : le voyage en avion et ses escales dans des lieux exotiques. La ville de Dairen, l'hôtel Yamato, etc., la petite ville portuaire, la secte de mendiantes, l'invasion japonaise, les pirates en jonques, l'île des pestiférés, les tatouages partout, les rêves d'opium... 
Plus les petits extraits de bouquins d'époque et les photos (dont certaines, même si petites, sont carrément bizarres ou flippantes). Je vais donc continuer à le lire.
Je vois pour l'instant ce texte de jdr comme une collection de lieux et de scènes intéressantes à arranger de manière à ce que ça corresponde à mon (notre) goût.


Quelques idées qui me viennent pour modifier le truc d'une manière qui me convaincrait plus:

L'ennemi doit porter un nom de clan mandchou, par exemple Aisin-Gioro (=nom du clan) Bātú. Il est en fait le dernier chamane de la bannière blanche, éduqué dans la secte des Gardiens du Souffle Primordial, une société de "boxeurs" mystiques en contact avec de vieux secrets magiques liés aux ombres - ça permet de faire des Gardiens une société plus large avec un rôle au jour le jour dans la vie des gens. Notre Bātú est un nationaliste traditionaliste qui renoue avec avec des puissances animistes et des êtres endormis dans des lacs, sous les mers, sous les montagnes... Son père était dans l'entourage des derniers empereurs mandchous, lui-même est une sorte de Pu-Yi avec des sorts.

J'aimerais aussi que le fait de porter le sceau du dragon ait un effet immédiat et non pas "quand il aura été sacré, alors...". Mon idée : ça permet au maître du sceau de brièvement voir par les yeux ou diriger les gestes de la personne liée, notamment quand l'attention de cette dernière se relâche. Une forme d'extension de la conscience de l'ennemi. Pas un contrôle absolu, juste un pouvoir sur le corps de l'autre (pas d'accès aux souvenirs, par ex.).

 Reste encore le problème principal de la motivation. Ma vague idée pour l'instant : les PJs sont liés à une mission diplomatique française cherchant à préserver les intérêts vacillants de la nation dans ce recoin du monde. L'un d'entre eux pourrait être George Guédon ! (bon PNJ, par ailleurs)


 


19 décembre 2023

Faire jouer les cinq supplices ?


L'Appel de Cthulhu correspond à ce que j'aime le plus faire jouer et jouer. On peut jouer avec un cadre historique réaliste, Cecci et moi aimons tout particulièrement la période de l'entre-deux guerres (même si nous avons joué aussi dans l'empire romain, en 1905 ou en 1990...) et je suis personnellement très fan de l'imaginaire fantastique lovecraftien, option puriste (opposé au pulp, que je n'aime pas du tout).

J'ai backé les Cinq supplices, production originale des (défuntes) éditions Sans-Détour, parce que je backe à peu près tout nouveau scénario ou nouvelle campagne pour l'AdC. Je l'ai lue rapidement quand je l'ai reçue, ai eu un peu de mal à me motiver à la faire jouer, puis j'ai lu la terrible chronique de Nébal (qui est pourtant un homme pondéré) et j'ai repoussé l'idée.

J'ai repris ma lecture après quelques années et l'envie de voyager ailleurs après un détour dans les Caraïbes. La chronique de Nebal est toujours là, la campagne a toujours plein de défauts, mais je me demande si quand même je ne pourrais pas en faire quelque chose.

Attention, cet article va spoiler à donf'. Ne le lisez pas si vous voulez jouer cette campagne !

Ce qui me gêne dans cette campagne :

- la campagne est assez clairement basée sur une cool série de parties jouées par l'auteur et l'implication des PJs est carrément floue parce qu'il manque la description des PJs de ses copains - une bande de mecs, BTW, si j'en crois les remerciements. Ca n'en fait pas obligatoirement un bon scénario pour les autres.

- C'est très pulp et c'est inspiré d'une nouvelle (skull face) de REH - je suis fan de REH, mais il n'est pas le roi de la finesse, c'est rien de le dire.

- Le méchant est clairement un clone de Fu-Manchu. Or, le concept du méchant Chinois maléfique qui veut devenir maître du monde ne me plaît pas plus que ça  - si on oublie Winnie l'Ourson. (attention, ref subtile pour échapper aux censeurs chinois qui me liraient)





Mais il y aussi des choses qui me plaisent :

- L'auteur a fait des recherches et il a pas mal de doc de base et d'idées.

- Il y a plein de photos dans les bouquins qui donnent envie de jouer ! (signature Sans-Détour)

- Les illustrations sont super cool.

- La Mandchourie en 1931, voilà un cadre excitant !

- Il y a une jolie idée, sous jacente et pas dite directement : le méchant est une sorte de prêtre de Cthlulhu et le grand céphalopode peut être aperçu en transparence derrière cette histoire. Or, je n'ai jamais fait jouer de scénario où le grand méchant soit celui-ci même qui donne son nom au jeu.

- l'empire des ombres et les rêves d'opium me paraissent propices à une dose d'étranges contrées du rêve, à condition d'avoir un/des PJs camés.

J'ai donc re-commencé ma lecture en me demandant si je pourrais en faire quelque chose. Comme transformer ce machin pulp en aventure onirico-horrifique en mode Corto Maltese contre les Profonds.

Et puis il y a des gens qui l'ont jouée et pour qui ça a bien marché


Alors je fais quoi ?

Mon principal problème à résoudre est... l'intrigue principale. En résumé : les PJs doivent empêcher le grand méchant de faire un rituel pour devenir maître du monde. Course-poursuite, bang bang, etc. Je comprends très bien que certain.e.s aiment ça, mais ce n'est pas ma came.

Derrière ça, de bonnes idées : le grand méchant (qui a un nom de vilain de pacotille) est un nationaliste. En fait, le complot, en parallèle de son aspect surnaturel, est un complot menant à l'avènement du Mandchoukouo. Et ça, c'est assez cool. Un conflit autour de la création d'un nouvel état idéal dans le N.E de l'Asie ça me botte pas mal.


Pas question de faire de Sayk Fong Lee un "gentil", mais une fois que je lui aurai trouvé un nom mandchou cool j'aimerais lui trouver des motivations intéressantes - peut être que je les découvrirai dans la suite de ma lecture ?

Quelques commentaires sur le début

Je n'ai lu jusque maintenant que le livret 1 (synthétique et bien fichu, à part ça) et le début du livret 2.

Des mini-scénarios d'implication, je ne retiendrai que la vente aux enchères (bonne scène) et l'ombre dans le noir, assez cool.

Pour le début du livret 2, le côté : "oh, un incendie, oh un rituel, oh une jeune fille...", ça ne marche pas du tout, mais c'est facile à corriger. Il suffit d'impliquer les PJs dans une enquête de la police sur la disparition d'une jeune fille de "diplomate" et on fait paraître la société secrète comme les "méchants", ce qui est bien mieux. Et à la fin, récompense, ils la sauvent du milieu du supplice !

Plus de lecture et plus d'éléments... plus tard peut-être.










11 décembre 2023

Un prince de Hombourg - à Vidy

Cecci et moi aimons vraiment beaucoup aller au théâtre et nous étions très curieux de découvrir l'oeuvre d'Heinrich von Kleist, un homme avec un nom qui claque et une biographie intéressante, à défaut d'être joyeuse. Le synopsis de la pièce le prince de Hombourg nous bottait bien alors, malgré notre (très ennuyeuse) expérience précédente, nous avons pris des places pour aller le voir à Vidy.

Je ne vais pas mettre trop de photos du spectacle car les images disponibles sur le site du théâtre sont un peu trompeuses : elle ne montrent pas combien l'ensemble était moche.


Quelques mots sur ce qui était bien dans la pièce : le texte lui-même, et l'histoire pour ce que nous en avons vu, car nous sommes partis au bout d'un tiers de la représentation.

Pour le reste et contrairement au jardin des délices, le spectacle n'était pas seulement ennuyeux mais aussi très embarrassant. Il commence par cinq minutes de vidéo sans intérêt. Puis une séquence somnambulique avec la lumière qui clignote et fait mal aux yeux. Les acteurs déclament le texte d'une manière antinaturelle (je ne veux pas leur jeter la pierre, quelqu'un leur a sans doute demandé de jouer ainsi). Les costumes sont laids, un décor est laid, l'ensemble paraissait vouloir tout faire pour nous détacher du fait de croire à ce qui était représenté. Je peux comprendre ce genre de démarche artistique mais qu'on ne me demande pas de l'aimer.

Enfin, vers la cinquantième minute, un acteur s'est mis tout nu sur scène et a sautillé de longs moments au premier plan. A ce moment-là, nous avons craqué, Cecci, Marguerite et moi. Ce genre de choses n'est pas pour nous.

Nous avons quand même retiré de cette sortie l'envie de lire la pièce et, si possible, d'en voir un jour une représentation qui ne nous ferait pas fuir.


05 décembre 2023

Wendy et Peter Pan - au TKM

La semaine passée, nous sommes allés voir Wendy et Peter Pan au TKM, une mise en scène d'après la pièce de J.M. Barrie. Une histoire d'enfants, essentiellement jouée par des adultes de plus de 40/50 ans qui ont décidé de "jouer à Peter Pan". Une fois passée cette marche d'étrangeté, dont je comprends qu'elle puisse gêner, nous avons vu un spectacle très intéressant. 

Peter Pan est un livre (une pièce/une histoire) très très bizarre, plein de folies dérangeantes, dans le même genre qu'Alice au pays des merveilles. On peut tenter des interprétations biographiques, psychanalytiques, symboliques, mais aucune ne parvient à cerner complètement le garçon qui ne veut pas grandir, et c'est tant mieux. La mise en scène de ce Wendy et Peter Pan propose plusieurs angles de lecture tout en conservant très bien la richesse de l'histoire. Elle souligne les aspects les plus étranges du récit (la colère du père Darling, les balancements émotionnels de Crochet, la violence des jeux des enfants...) au point d'en faire une pièce que je déconseillerais aux enfants non accompagnés. Le flyer indiquait clairement "à partir de dix ans", à raison.

Ceci étant acquis, nous avons vu un spectacle visuellement magnifique, avec une scénographique inquiétante et puissante et une mise en scène pleine de belles idées. Les yeux du crocodile, le rôle du fauteuil du père, les déguisements des personnages qui passent d'Indiens à pirates en quelques secondes, la fée rétameuse complètement ivre, le rôle de "mère" de Wendy, un Peter Pan complètement à l'ouest... Mention spéciale pour un capitaine Crochet magnifique, terrifiant et émouvant à la fois.











06 novembre 2023

Un film d'animation japonais

Je suis allé voir hier soir un film d'animation japonais auquel je n'ai pas compris grand-chose. Alors je vais faire une chronique avec des mots dans le désordre.

Aiguiser (des couteaux)

Arc fait main

Canif

Cockpits d'avions

Couloirs courbes

Créateur

Escaliers en spirale

Feu

Fientes

Grands-Mères

Gros nez

Guerre

Héron

Incendie

Incompréhensible

Jeu de construction

Mère absente

Onirique

Pélicans

Perruches

Pierres funéraires

Portes

Repas

Tour


03 novembre 2023

Le Futur au pluriel, réparer la science-fiction - Ketty Steward

 On pourrait sous-titrer ce livre : "portrait de la SF francophone en vieux monsieur dépressif".


Le Futur au pluriel, réparer... est un essai qui a comme premier grand mérite d'exister. C'est, à ma connaissance, le seul ouvrage de son genre qui s'efforce d'embrasser la Science Fiction comme objet littéraire, économique, dans ses conditions matérielles de production et social, dans le sens où la SF francophone, avec son fandom, ses festivals dédiés, etc., est aussi un milieu social.
Disclaimer : c'est un milieu social auquel j'appartiens et que je fréquente de loin en loin depuis 25 ans, principalement en tant qu'"auteur " (et je coche toutes les cases de la "norme" : mec, blanc, cis, you name it).

Le livre aborde beaucoup de sujets, ce qui fait à la fois sa force et un peu de sa faiblesse - on aimerait voir certains points explorés plus profondément. L'autrice lance des pistes, des références, des idées, parfois évidentes, souvent stimulantes. Il m'a fait penser et réfléchir, râler ou soupirer parfois. J'y ai trouvé des idées pour ma pratique, non pas tellement d'écriture au jour le jour (j'ai tendance à penser que je n'écris pas tellement ce que je veux, plutôt ce que je peux) mais de para-écriture (écriture en ateliers, collectifs), ainsi que pour ma pratique sociale dans le milieu. Réparer... est souvent discutable, mais je pense que c'est exactement ce que Ketty Steward veut faire : discuter.

D'une certaine façon, en exprimant critiques et souhaits, Ketty Steward dessine le portrait d'un monde littéraire inclusif, écrivant des histoires qui rassemblent et relient. Une sorte d'utopie ? La boucle est bouclée, on est en face d'un bouquin de SF !

Enfin, et ce n'est pas rien, on y recommande plein de piste de lectures. A peine refermé, j'ai passé une commande à Scylla (https://www.scylla.fr).

PS: petite remarque formelle. Le livre est très bien structuré, avec plein de références et de notes (c'est bien), mais j'ai trouvé la police de caractères vraiment petite




27 octobre 2023

Le règne animal - Thomas Cailley




Vu au cinéma avec Cecci et Marguerite, et tout le monde a beaucoup aimé.

Ca commence comme un film français naturaliste presque caricatural avec une dispute père-ado dans une voiture coincée sur le périphérique où on parle de bouffe (de chips, en l'occurrence). Et soudain, il se passe quelque chose dans l'embouteillage, une étrange créature apparaît et le gars dans la voiture voisine, vitre baissée, soupire "quelle époque".

Ce que j'ai préféré dans ce film : son ton, entre film fantastique-onirique, film de SF (une hypothèse saugrenue est généralisée à la France, au monde), chronique familiale... Le récit marche sur une ligne très fine et ne se casse jamais la figure, il est mené très sérieusement, les personnages sont traités avec amour et nous touchent tous.
La narration est exceptionnellement bien tenue. Pour un allergique comme moi au récit feuilletonnant (oui, moquez vous si vous voulez), voir un film de deux heures monté serré, où il se passe tout le temps des trucs, où les scènes sont coupées juste comme il faut, ça me fait plaisir.

Et le récit est atmosphérique, visuel, certaines images et scènes magnifiques me restent encore en tête (je ne spoile pas, ou à peine, celles&ceux qui ont vu comprendront) : le camion que la grue sort de l'eau, le père cherchant sa femme dans le supermarché en train d'être évacué, la fête de la Saint Jean, l'incroyable poursuite dans les champs de maïs... et l'acmé du film, scène de forêt sans parole qui m'a fait penser à un tableau de Jérôme Bosch.

Les créatures sont aussi très réussies, collages à la fois surréalistes et très incarnées, qui m'ont semblé rendre hommage à une certaine tradition de cinéma fantastique (j'ai notamment pensé à la belle et la bête, aussi bien Cocteau que Disney).

Les personnages sont aussi très beaux, avec des acteurs au top. Aussi bien le papa, que l'adjudante de gendarmerie (dont j'adore l'ironie à froid et le regard fatigué). Les personnages secondaires sont aussi très bien dessinés ; je pense à Naïma, la cuisinière ("j'aurais peut être dû chanter", à Fix, à Nina ("j'ai un TDA") et au groupe de lycéens, big up à celui qui fait des AMHE ("venez voir mon combat"), grâce à eux et à la manière dont ils sont écrits et joués, le film parvient à la fois à être réaliste avec une petite touche sociale, souvent drôle et émouvant.

Le plus épatant est Paul Kircher qui joue l'ado, qui parvient à la fois être complètement abruti, touchant, bestial... Il m'a beaucoup touché.

Je repense encore à la scène où ils cherchent la maman, fenêtre ouverte en voiture, dans la nuit... 
Bref, c'était super.





25 octobre 2023

Sculptures à Florence

Chefs d'oeuvres, Florence, encore, mais surtout des sculptures.

Je n'y connais pas grand-chose en peinture, et en sculpture encore moins, donc ce que je dis est à prendre avec précaution.

Un Bacchus de jeunesse de Michel-Ange. Apparemment, le commanditaire n'était pas fan et ne l'a pas acheté, Mitch devait être furieux, en même temps il n'était encore qu'un petit jeune qui monte. Donc, pour faire le malin il a représenté Bacchus ivre, et en ça, la statue est vraiment rigolote, on dirait qu'elle vacille.

Maintenant, la partie rigolote : les trois David.

Le premier est celui de Donatello, chef d'oeuvre instantané à l'époque, le premier nu à 360 degrés depuis l'antiquité, un héros biblique avec une vague tête d'Hermès (Bible + antiquité, maximum combo), un jeune homme vaguement ado, vaguement absent, qui en a fini avec la tête de Goliath, puisqu'il tient l'épée à la main.



Version 2 : celui de Verrocchio, le maître de Leonardo (on dit que le mignon jeune homme serait Leonardo, jeune). On a quitté la créature antique, on a la un petit page tout mignon, insolent, épée à la main, on a un peu de mal à croire qu'il s'est fait le géant Goliath.

David 3 : Michel Ange, la trentaine, récupère un gros bloc de marbre un peu pourri (fendu, trop étroit) qui traînait près du Duomo depuis plus de 40 ans avec l'idée qu'on sculpterait un jour un prophète dedans. Et il décide de se confronter à Donatello, à trois générations d'écart : il va falloir faire mieux. Plus grand, déjà (5h de haut contre... beaucoup moins). On va garder l'idée de mêler antique (athlète de marbre) et biblique (sujet), with a twist.

En passant un long moment sur la loggia à regarder la copie du David, j'ai fini par me faire ma propre interprétation du sujet. Le jeune homme au regard décidé, qui passe d'un pied sur l'autre en tourne autour de Goliath se prépare, dans les vingt prochaines secondes, à poser le geste ultime. Le coup de fronde unique, et précis, qui va donner la victoire car ce sera un geste parfait. Et je me dis que ce concept de geste parfait devait bien parler à l'artiste.

Une dernière sculpture que j'ai beaucoup aimé : le Persée, de Cellini, bien plus tardif que ceux qui précèdent. Un super-héros en bronze, flottant sur un pied soulevé par les ailettes d'Hermès, qui se pose sur la loggia en portant la tête de méduse, qui doit bien fonctionner puisque, après tout, tous les gars autour ont été transformés en pierre...


21 octobre 2023

Visite au musée des offices

Ce billet de blog part du présupposé suivant : il est intéressant de voir certaines œuvres d'art "en vrai". Comme si c'étaient des personnes. Et si une reproduction permet de rêver sur des images, le fait de se retrouver face au tableau, à la sculpture, crée quelque chose de différent, de plus fort. Qui fait qu'on se souvient. Qui donne envie de revenir. Qui, peut-être, permet de comprendre quelque chose, à l’œuvre et au monde.

Nous sommes donc allés à la galerie des Offices, à Florence. Lieu de passage obligé et cher pour touristes et bourgeois européens en vacances, dans une ville en train de se muséifier pour accueillir les flux du monde entier. N'empêche, on y voit de belles choses.

Quelques mots pour se souvenir.


La Thébaïde, de Fra Angelico. Dans un paysage de l'ancienne Egypte, des moines-ermites retirés prient et font des miracles. On vient leur rendre visite pour être guéri de toutes les souffrances du monde. Et quand on zoome, on aperçoit plein de gens faisant des trucs bizarres avec des animaux, si, si, regardez. Fra s'est bien amusé.


Une annonciation, de Botticelli. Fresque détachée et transportée. Le format de l'écran ne laisse pas voir que c'est très large et que l'ange flottant dans son tissu et ses ailes est très loin de Marie, dont la posture bizarre semble un écho de ce tourbillon. Botticelli peint des êtres aux visage d'elfes.

 

 
Là aussi, petit écran, mais ce tableau est très grand. C'est sans doute notre plus belle rencontre dans le musée, sans doute était-on encore assez frais pour le recevoir, malgré la foule et les écrans de portables brandis. Il est très grand pour qu'on puisse entrer dedans, et je pense qu'on ne sait pas ce qu'il veut dire. Au centre, un Vénus-madone ? A sa gauche, une femme-elfe-déesse de la nature qu'on dirait venue d'images du royaume des fées, et son visage est celui d'une déesse, qui nous fixe. Encore plus à droite, une autre femme vêtue de voiles, enceinte ?, qu'un esprit aérien caresse, enlève, saisit. Des plantes sortent de sa bouche. A gauche du tableau, trois femmes dansent et leurs mains jointes deux à deux dessinent des postures mystérieuses, et encore tout à gauche, une jeune homme cueille un fruit, on dirait qu'il ne se rend pas compte de ce qui se passe (je ne peux pas le supposer absent à tant de beauté). Une des trois danseuses le regarde, ça la tire hors de la danse. Sur ce tableau, dit le panneau, 138 espèces de plantes différentes sont reconnaissables, ce qui ajoute au mystère. La beauté des corps va avec la beauté du végétal. On est dans la nature mais un mystère d'au-delà du monde flotte dans ce bosquet ombreux.






Encore plus que le précédent, ce tableau est une image hyperconnue. Pourquoi le voir en vrai ? Là aussi, il est grand et il vous absorbe, on y entre. Venus, au centre, attrape tous les regards, l'air de rien, l'air de ne pas y toucher. Elle se masque à peine, juste ce qu'il faut pour que personne ne se mette en colère de la voir ainsi. Ses cheveux d'or ruissellent. Elle ressemble à une idole de maintenant, souriante et vaguement absente à ce qui se passe. Sur la droite du tableau, son assistante, qui la voile, qui la dévoile ?, et sur la gauche un ange, un esprit aérien, c'est peut-être le même que dans le printemps, d'ailleurs il porte une femme accrochée à lui, finalement il ne l'a pas enlevée ?

 
 
 
Passons à tout autre chose.
 
 
Uccello, la bataille de San Romano. Major achievement, unlocked ! J'ai vu les trois panneaux de cette peinture, celui de Paris, celui de Londres et celui de Florence ! Cette image a des effets quasi-abstraits, on dirait une affiche des années 30, un film d'Eisentstein aux teintes de moyen-âge. Il y a longtemps, j'ai acheté Tigana, de G.G. Kay, aux éditions de l'Atalante, et les lances et les chevaux d'Uccello formaient les couverture que j'ai trouvée géniale. Depuis, j'aime cette image de bataille d'heroic fantasy.



Michel Ange, peintre : compose, dessine, frappe, comme Michel Ange, sculpteur. La brute créatrice de l'époque. Je ne sais pas si je l'aime, mais il m'impressionne.
 



 
 
 
Comme disait le duc d'Urbino, qui l'a acheté : "ce tableau, là, avec une femme nue". Tiziano saute le pas : ce n'est pas un sujet mythologique (genre, Vénus, une nymphe, whatever), c'est juste une belle fille sur un lit. Derrière, les servantes sont allées chercher les fringues, mais c'est trop tard, le tableau est fini.
 
 

 
Artemisia reprend le style du Caravage, et un thème traité par l'autre Michelangelo : Judith décapitant Holopherne. Mais pas d'héroïsme, là. Juste l'épée, au centre, et la colère, et la chair qui résiste, le sang qui gicle, l'effort qu'on met à buter ce bâtard, qu'il crève ! Qu'il crève ! La lame tranche, la tête vient, la main est poissée de sang et s'accroche dans les cheveux.

On termine avec quelque chose de plus joli, mais étrange quand même, l'hermaphrodite couché. Pour une raison que j'ignore, on ne pouvait voir que le côté face (première image), impossible d'entrer dans la pièce pour en faire le tour. De quoi avaient-ils peur ? Des militants queer venus caresser la chair de marbre ? Des fanatiques religieux qui voudraient massacrer cette aberration. Je vous laisse croiser son regard, de l'autre côté.

 





 


06 octobre 2023

Le jardin des délices - à Vidy

Le jardin des délices, c'est le titre qu'on donne à un étonnant tableau de Jérôme Bosch, issu de la fin de moyen-âge, sorte d'uchronie sensuelle d'un monde où le péché originel n'aurait pas eu lieu. A gauche le paradis, à droite l'enfer et au centre un monde de joies sexuelles, de fraises, de cerises et de relations inter-espèces.




C'est aussi le nom du spectacle de cet automne, à Vidy, une création de Philippe Quesne, inspirée du tableau.

Deux très bonnes idées du théâtre : présenter le tableau, projeté en très grand, dans une salle. Et organiser des conférences autour du tableau (je suis allé écouter Patrick Boucheron, très intéressant).

Quant au spectacle... Il a pas mal d'idées plastique, les images qu'on en fait ont de la gueule et la musique et très bien. Il ressemble à une (très) longue performance, du genre qu'on voit au palais de Tokyo. Nous nous sommes beaucoup, beaucoup ennuyés.







04 octobre 2023

Lavinia - à la grange de Dorigny

 La Grange de Dorigny programme souvent des spectacles expérimentaux, plutôt de petit format. On y était allé voir une "tempête" d'après Shakespeare avec Prospero en père absent dans un fauteuil, ou bien une présentation de l'oeuvre scientifique d'Anita Conti sous forme d'une interview demi-imaginaire.

Lavinia est une adaptation scénique du texte d'Ursula Le Guin qui fait vivre, dans son propre récit, la femme d'Enée, Lavinia. Le texte, tel qu'il est présenté, est l'évocation d'un fantôme : une femme d'un passé lointain et le personnage inaccompli (parce que femme ?) d'un récit fondateur de la culture européenne.

Sur scène, Lavinia est représentée par trois actrices et par un dispositif technique complexe de captation de mouvements, qui fait vivre un personnage projeté sur un grand écran. Les photos vous donneront une idée de ce à quoi ça ressemble.











Le spectacle est né de la rencontre entre ce récit et ces technologies, et les deux marchent très bien ensemble. Les techs sont bien mises en scène, les actrices très présentes et au milieu de tout cela le fantôme de Lavinia prend vie devant nous, avec ses cheveux enflammés et ses prières de guerre en latin.
Nous nous sommes laissés fasciner par cette belle création visuelle et sonore.



02 octobre 2023

Fantasio - au TKM

Fantasio est une pièce de Musset qu’il n’aura jamais vue sur scène, la création d’un jeune homme de 22 ans, qui rêvait de théâtre et voulait secouer cette forme d’art. L’histoire se passe dans une Bavière de fantaisie. Fantasio est un jeune bourgeois criblé de dettes, désabusé par les temps, aspirant à l’absolu, bref : un romantique.  Sur un coup de tête, il s’engage comme bouffon du palais.










Au palais, le roi marie sa fille au prince de Mantoue pour éviter la guerre. Et la jeune princesse est triste, because le mariage, bien sûr, et parce que Saint-Jean est mort. Saint-Jean, c'était le bouffon précédent, elle l'aimait, et son poste (vacant) qui a permis à Fantasio de s'engager.
L’ensemble donne un conte de fées un peu dark et grinçant, plein de passages méta, de répliques marrantes et de situations un peu absurdes, mais où le cœur souffre quand même. Ça donne aussi un excellent spectacle, qui émerveille et rend heureux.

La mise en scène de Laurent Natrella avec huit jeunes comédiens est formidable. Le début m’a fait un peu penser au Roméo+Juliette de Baz Luhrmann : silhouettes stylées, maquillées, aux genres fluides, avec une sorte de Mercutio androgyne super stylé.e en narrateurice (qui ponctue le récit de chansons et de passages musicaux). 

Il y a tout ce que j’aime dans le théâtre : un monde imaginaire fort, de la suggestion, des images dingues (le roi, perché sur son trône trop grand… Fantasio assis au bord de la scène et comptant le temps qui passe…), du jeu très (très) physique, des émotions puissantes… les acteurs sont tous incroyables. Fantasio, bien sûr, à la fois brûlant, moqueur et fragile, et la princesse enfantine et volontaire, et le prince de Mantoue, sorte de Freddie Mercury surexcité… je ne les cite pas tous mais tous portent la pièce, haut et loin.
Je suis encore habité par les images créées sur scène : Fantasio couchant la princesse dans son lit, la prisons, les déguisements du prince et de Marinoni, son aide de camp… C’était magnifique. Et ça joue encore jusqu’au 15 octobre, foncez si vous êtes dans le coin !

(photos de scène (c) Lauren Pasche pour le TKM)


24 septembre 2023

Histoires sans gloire... -- à la Tournelle

 
Histoires sans gloire et pratiquement sans péril pour 4 voix sur pente raide, par le collectif moitié-moitié.
 
Nous avons vu hier soir à la Tournelle, près de chez nous, un spectacle très curieux, difficile à résumer et très recommandable. Quatre chanteurs, deux hommes et deux femmes, soprano, alto, ténor, basse, font un récital de "chants de montagne", ce type de chanson à la poésie un peu fanée exaltant la beauté des sommets, les pâtres, leurs troupeaux, les chalets, ou la douceur de la rivière du Doubs. Du type, "là haut, sur la montaaaagne, l'était un vieux chalet". Tout ça, très suisse, très alpestre. Chant choral, montagne, etc. 

Sauf que. Mais.

Le récital déraille un peu, puis un peu plus. Dans le comique, dans le bizarre, dans l'inquiétant. Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, juste des choses qui se passent sur scène, des effets, des sentiments, des accumulations de voix, des scènes dialoguées... Les chanteurs deviennent comédiens, des situations absurdes apparaissent, on rit parfois, on est perplexe, on rit plus, on est de plus en plus perplexe... La mise en scène (et en lumières !) est habile, on est saisi, et à la fin, curieusement, on entend vraiment la montagne, là, dans notre petite salle de théâtre. La montagne, ses silences et ses peurs. On part des chansons, on arrive à Derborence.

Ce spectacle étonnant m'a vraiment intéressé et troublé, bien plus que des trucs bien plus prétentieux vus de biens plus grands théâtre. Je le recommande chaudement.





27 juillet 2023

Pirate Enlightment -- David Graeber


Une petite lecture de pirates (oui, ça continue), attrapée dans une librairie en Ecosse.

Cet essai de David Graeber parle de la "vraie" Libertalia, d'après le nom de l'Etat pirate du capitaine Misson, qui aurait existé à Madagascar.

La thèse de Graeber est la suivante : il aurait existé, dans le nord de Madagascar, au début du 18ème siècle, une sorte de confédération malgache anarchiste, la confédération Betsimisaraka, différente des groupements politiques du lieu et de l'époque, fondée par des locaux, hommes et femmes, et des descendants de pirates caraïbes établis dans le coin. Ainsi serait né un premier état égalitaire du 18ème siècle.

Les témoignages sur l'époque sont rares, l'archéologie ne dit pas grand-chose. Graeber se base sur son travail de terrain à Madagascar durant sa jeunesse et sur un étonnant manuscrit français datant du milieu du 18ème siècle décrivant l'histoire de la grande île. Bien sûr, rien ne prouve positivement la thèse de Graeber, mais rien ne l'infirme non plus et de nombreux éléments de récits et de preuves sont intéressant.

Le livre est surtout très stimulant dans sa démarche, incluant certes les Européens, mais aussi les locaux, les nombreuses couches de migrations sur la grande île (musulmans, juifs, différents groupes parlant swahili), développant le rôle et la place des femmes (et leur magie sexuelle/amoureuse). Ce monde malgache n'a pas attendu que les Européens le rencontrent pour exister, il n'était pas immobile quand les français ou les Anglais l'ont rencontré, c'est évident, mais ça fait du bien de se s'en rendre compte.
Graeber pense large, nous décentre et fait rêver.

Et oui, une forme de Libertalia a pu exister, faisant parler jusque dans les cours d'Europe.