22 juin 2019

The Handmaid's tale – Margaret Atwood

Je voulais lire ce néo-classique depuis un moment. Le propos en est assez bien connu : dans un futur proche, la société des USA est emportée par une révolution néo-conservatrice (sur fond de la chute de la natalité), qui abolit la plupart des institutions et remet les femmes sous la coupe des hommes (plus le droit de travailler, ni de détenir de l'argent...). Les femmes fertiles étant "assignées" aux hommes de qualité qui, sans plaisir et dans des "Cérémonies" où l'épouse légitime est impliquée, doivent les féconder. Et si après deux trois séjours de quelques années chez ces commandeurs elles n'ont pas enfanté, ou bien n'ont enfanté que des monstres, on les envoie dans les colonies.
C'est un drôle de roman, qui dégage la même impression d'étouffement sans espoir que m'avait donné, en son temps, le 1984 d'Orwell. L'univers ne m'en semble pas vraiment cohérent ni logique, ou bien on aimerait en savoir plus, sur les Marthas, les econowives, etc. Il prend sa force si on le lit comme l'expression organisée d'un cauchemar. Et en fait, ça n'a pas réellement d'importance, parce que tout passe et tout tient par le point de vue de la narratrice anonyme, une bourgeoise blanche éduquée, qui a connu le temps d'avant et lit sa nouvelle situation à la lumière de ses souvenirs qui s'effacent. A travers les sujets abordés (l'enfantement, la sororité, la fragilité des droits féminins), le livre est une sorte de portrait d'une certaine situation féminine dans les années 1980 (période d'écriture du roman). 
J'ai aimé la finesse des sentiments abordés, l'attention aux corps, aux regards, la description des mécanismes de domination et de la manière dont chacun finit par se coucher devant ce qui paraît inévitable.
La toute fin du roman, le chapitre additionnel, est très curieux, ajoutant une touche d'humour et de distance moqueuse à un roman par ailleurs horriblement sérieux. 
Au fond, je n'ai pas vraiment aimé ce livre, même si j'en reconnais la qualité et la finesse d'écriture. Est-ce que parce que ses idées sont maintenant dans le discours public ? Est-ce à cause de cette ambiance hyper-oppressante ? Ou bien du côté conte philosophique du récit ? (le chapitre final, un peu trop malin, contribue à ce sentiment). 
Je suis curieux de lire d'autres avis à son sujet.

11 juin 2019

Entends la nuit – Catherine Dufour

Myriame rentre d’Amsterdam à Paris, emménage chez sa mère qui n’a pas le sou et embauche à la Z, une société de services de data mining spécialisée dans l’immobilier (groovy!) installée dans un bel immeuble haussmannien à Paris. La jeune femme a du tempérament, mais elle a besoin d’argent alors elle s’adapte aux coutumes de la boîte, à son middle management intrusif, à ses actionnaires arrogants, à son app interne de flicage, aux locaux bizarres et biscornus. Je n’ose pas dire que l’entreprise est étrange parce que, après tout, elle n’est pas plus étrange que beaucoup d’autres. C’est notre monde qui est étrange.
Puis notre héroïne est séduite par un des riches actionnaires anglais de la Z., qui a un comportement (et des capacités ?) réellement bizarres, et le roman glisse peu à peu dans le fantastique.
On retrouve dans le texte l’humour vache et les punchlines qui font la signature de Catherine Dufour, dans un texte qui n’est pas si loin des romans non-discworld du grand Terry Pratchett, humour français et féministe en plus. Ça vanne, c’est souvent très marrant. Le propos du roman est intéressant, avec des êtres fantastiques jamais vus (par moi en tous cas), des fantasmes XIXème siècle (cannes-épées et souterrains de l’Opéra inclus), une manière d’interroger nos relations à l’immobilier et aux pierres (si, si) et un discours de lutte des classes bien envoyé notamment après le twist final qui montre ce que pourrait donner la fin d'un 50 nuances socialement réaliste. On n’aurait pas pu écrire ce texte il y a dix ans, pas de cette façon : l’époque s'y trouve, avec les diplômés précaires et les féministes conscientes et assumées.
L’esthétique du récit me touche aussi, qui révèle la passion de l'autrice pour le XIXème siècle pas-steampunk, avec ses cadavres photographiés, ses tenus étouffantes et sa prostitution hygiénique. Tout ça joue joliment avec un de mes fantasmes favoris, la visite dans notre époque d’un être d’un autre temps.
J’ai beaucoup aimé le style, l’intention, le coup de gueule final et le premier tiers, chronique d’une vie du bureau si bizarre et si commune. Pour le reste, malheureusement, la narration est bancale et le récit filandreux, une forme de romance bit-lit (pour ce que j’en connais) qui n’était pas pour moi.