19 octobre 2013

En cherchant Majorana - Etienne Klein

Je me suis souvenu en lisant ce post de Sylvestre Huet, sur le blog de sciences de libérations, qu'Etienne Klein avait été brièvement mon prof durant mes études, un de ceux qui réveillent l'attention de l'étudiant assoupi. Il livre dans En cherchant Ettore Majorana un triple portrait : celui bien sûr d'un physicien génial et mystérieux, celui de la recherche de pointe en physique dans les années 30 et, en creux, le sien propre, celui d'un homme passionné par la science et ceux qui la font.
Jeune Sicilien très éduqué, aux grands yeux noirs intenses, maigre et murmurant, peu doué pour les relations sociales, et, en même temps, un génie de la trempe de Galilée (selon Enrico Fermi, la fameux Nobel italien). Majorana était de ses chercheurs tellement en avance sur leur temps que les résultats de ses recherches n'ont été compris que plus de trente ans après sa disparition (et encore, pas tous), et qui ne jugeait pas nécessaire de publier des articles sur ses découvertes fondamentales, parce qu'il n'avait rien à faire des honneurs et qu'il recherchait, sans doute une forme de perfection. Et, plus étrange encore, ce contemporain et correspondant de (excusez du peu) Pauli, Heisenberg, Dirac…, a disparu mystérieusement lors d'un voyage de Naples à Palerme (à moins que ce ne fut dans l'autre sens ?), en 1938. Il avait 37 ans. Tout laisse penser alors, ses courriers, ses dernières paroles prononcées, qu'il savait qu'il allait partir. Mais où ?


Vers la mort ? Vers une autre vie ? Les indices sont discordants et ne laissent voir qu'un physicien quantique, créature de Schrödinger, dont on ne peut dire si elle est morte ou vivante et qui a sans doute construit d'elle-même cette ambivalence.

Le livre d'Etienne Klein, raconté avec coeur et sobriété, contient nombre d'assonances bizarres, de rencontres de hasard, de fausses mémoires, dont on comprendra qu'elles m'ont séduites. Aurait-il été publié chez Lunes d'Encres, nul n'aurait douté qu'il se fût agi d'une fiction. La seule explication est peut-être que Majorana serait un personnage de Christopher Priest, et ainsi tout deviendrait lumineux.


15 octobre 2013

Une interprétation des Masques de Nyarlathotep - première partie

De bien grands mots pour dire que, suivant les intentions déclarées dans ce billet et les suivants, nous avons commencé à jouer les Masques voici quelques mois. Un jour d'hiver 1925, donc, Jonas Christiansen et Samuel Lipsky se sont rencontrés devant la porte d'une certaine chambre de l'hôtel Chelsea… (et si vous voulez un jour jouer cette campagne, cessez de lire dès maintenant).


Christiansen : aventurier, voyageur, exilé d'Europe, exilé de Russie, cherche à mener une vie civilisée avec peu de moyens ; il a vu pour la dernière fois Elias Jackson a Shanghai, en 1923, après une traversée épique de la Sibérie, la Mongolie et la Chine. 
Sam Lipsky : un gamin du quartier juif de New York, fils naturel d'Elias Jackson (pour des raisons techniques, et parce qu'Elias est un beau prénom, dans cette campagne le fameux journaliste a un peu changé de nom).
Ailleurs, dans New York, Erica Carlyle, créature mondaine, lutte contre d'étrange rêves, se fait courtiser par les plus beaux partis de la ville et prend le contrôle de ses affaires. Ms Carlyle est un personnage-joueur, plus jeune que ce que la campagne suggère. Fin 1924, elle a tout juste 21 ans et son oncle Ludwig Faber vient de mourir ; c'était lui qui gérait ses entreprises depuis la mort de Roger.
Erica a des souvenirs confus (elle était en pensionnat) des folies de son frère, de la présence gênante du docteur Huston, et de ce vicomte anglais distingué qui est venu au manoir Carlyle vers 1918-1919... Elle ne connaît pas tellement la scandaleuse Anastasia Bunay, ni Ms Masters, elle avait 14 ans à l'époque et oncle Ludwig la tenait autant que ce peut éloignée de tout ça. La faiblesse et la force de Ms Carlyle, ce sont ses rêves… Les marais de Sarnath, les visages de dieux sculptés dans la roche, les vaisseaux lunaires… elle cherche ces rêves autant qu'elle les craint, car il arrive qu'ils la détachent du monde, et contraignent son entourage à l'envoyer dans une luxueuse clinique des Catskills Moutains. Voilà pour la mise en place.
J'ai globalement suivi la trame et les idées évoquées dans les billets précédents. Nyarlathotep est à New York, gourou d'un mouvement manipulé par une noria de profiteurs (cet Egyptien idéaliste est si naïf…). Il n'y a pas de magie, pas de rituels à interrompre, pas de sorts trouvés dans des bibliothèque. Pas de fusils à pompe, pas de pulp. Les cultes parviennent à recruter notamment parce qu'ils assurent une meilleure vie, une grande force à leurs soutiens et leur promettent une sorte de revanche contre le monde ; ça ne les rend pas moins dangereux.
 L'histoire a été celle de l'enquête d'un immigré fauché sur la mort de son copain, en jouant un jeu sinuant avec la police, tout en étant poursuivi par des Noirs décidés à lui faire la peau, pendant qu'une riche héritière protégée de tout se débarrassait de la collection d'art égyptien de sa famille en l'offrant au Metropolitan Museum.
Je retiens trois scènes marquantes, et réutilisables, du chapitre New York :
– l'enterrement d'Elias Jackson. Ses vieux parents, ses anciens collègues, ses ex-petites amies (dont la mère de Sam), le lieutenant Poole en surveillance et un imposteur, M. P. R. Roderick, qui se présente comme ayant été son tailleur (et qui est en fait un complice de la bande kenyane et qui est là pour être sûr que tout le monde a bien été éliminé)
– l'inauguration de la collection d'art Egyptien au Metropolitan Museum, centrée sur la XXIIème dynastie et le règne du pharaon Osorkon II, dont le premier ministre et grand prêtre était un certain Nyarlathotep. Un jeune et brillant archéologue français, monsieur Alexandre Gautier, est fasciné par la traduction d'un papyrus racontant comment alors (il y a 2700 ans) on a tenté de rétablir les usages anciens.
– la scène finale, où Sam Lipsky, qui s'est incrusté à Harlem et a tenté de devenir un des premiers disciples de blancs de la bande kenyane, est amené à une sorte de messe noire dans un abattoir. Il neige, Christiansen accompagné de Poole et d'une maigre troupe de police débarquent, fusillades, scènes d'hystérie, un homme accroché à un croc saigne au-dessus d'une cuve qui vise à récupérer son sang.
Comme j'ai dit, pas de pulp, nous avons tout joué au premier degré. Sectes, manipulations, complots, erreurs, problèmes d'argent, pas mal d'émotions et des PJs secoués par le sang versé. Un récit lovecraftien sur deux axes : l'infiltration de l'horreur (venue de l'immigration, au passage) et les rêves étranges qui envahissent la vie.
A la fin du chapitre, Jonas et Sam ont réussi à convaincre Ms Carlyle de les financer et ils embarquent pour Shanghai, espérant mettre la main sur Jack Brady (il aurait été aperçu en Chine, et leur enquête montre qu'il avait des liens avec Shanghai où il avait séjourné en tant que marine).
Au moment où j'écris ces mots, il s'est passé beaucoup de choses à Shanghai que je raconterai peut-être dans un prochain post. Pour allécher le lecteur, on dira seulement qu'un des personnages a fini par entrer au service du Docteur Huston et cherche à améliorer la fabrication d'une drogue nommé panacée sur l'île du Dragon Gris…