18 juillet 2016

Annihilation – Jeff Vandermeer

Pas évident de chroniquer ce livre, lu sur les conseils avisés de Gromovar et de Charybde/1/2 (je suis comme ça, mes amis ont de drôles de noms).
La biologiste fait partie de la douzième expédition lancée dans l'exploration de la zone X, en compagnie de la psychologue, la géomètre, l'anthropologue et la linguiste. Pour se promener dans ce paysage qui rappelle les marais de Floride, dont on devine qu'il se trouve quelque part dans notre monde, les membres de l'expédition n'ont droit qu'à du matériel datant d'avant le numérique, à de vieux pistolets et fusils et à des cahiers à carreaux pour noter leurs journaux. Elles ont laissé leurs noms derrière elles et ont l'esprit, peut-être, chargé de suggestions hypnotiques. Sont-elles vraiment là où elles sont ? N'y a-t-il eu que onze expéditions précédentes ? Voient-elles ce qu'elles sont supposées voir ? Quelle est la dimension réelle de la zone X ?
Autant le savoir avant de lire, vous n'aurez pas de réponses à ces questions, juste d'autres questions pour les accompagner. La biologiste fera des découvertes qui ouvriront des perspectives sur d'autres choses, sans jamais apporter de vision globale satisfaisante. Peut-être parce que notre esprit ne supportera pas la vision globale.
Ce livre est fait pour ceux qui, comme moi, préfèrent les mystères aux réponses qu'on leur apporte. Cela pourrait être frustrant, mais je suis resté tout le temps bien pris par le livre. Peut-être parce qu'il est court, peut-être aussi parce que l'auteur développe, dans le récit de biologiste, une sorte de poésie étrange, vivante, biologique qui a sa propre musique et son propre charme. Je n'ai rien compris mais me suis laissé porter avec douceur par ce récit suave, sanglant et amer. Ceux qui ont aimé la Cité des saints et des fous (j'en suis) retrouveront quelque chose du charme un peu pourri d'Ambremer.
Vandermeer me semble se situer sur une ligne post-lovecraftienne, tentant d'écrire, du mieux qu'il le peut, la rencontre avec l'autre non humain. Belle ambition.


11 juillet 2016

Mauvais genre - Chloé Cruchaudet

Suite des mes chroniques de bandes dessinées, celle-ci ayant été conseillée par l'ami Léo H. qui a guidé mes lectures dans ce domaine.



Mauvais genre part d'une anecdote tragique issue de la Grande Guerre : Paul et Louise sont amoureux, ils viennent de se marier et Paul part au front. Là-bas, il assiste à des horreurs, perd un doigt, est envoyé à l’hôpital et décide de déserter, planqué par Louise.
Mais à vivre dans une chambre d'hôtel glauque, on devient fou, malgré l'amour de Louise et la mandoline. Alors une idée folle vient aux tourtereaux : et si Paul s'habillait en femme ? Bien sûr, il ne s'agira pas seulement de porter une robe, mais aussi d'apprendre s'épiler; apprendre de nouvelles attitudes, voire travailler en tant que femme. Tant que durera la guerre et durant les années qui suivront, tant que les déserteurs ne seront pas amnistiés...

Servi par un dessin léger et dansant, Mauvais genre n'est pas seulement le récit d'une anecdote étrange ou d'un fait-divers. C'est surtout le récit d'une découverte, d'une prise de liberté. L'image qui m'a le plus ému est celle du sourire de Paul qui, ayant enfilé la robe rouge une première fois, redécouvre la rue et le monde. A s'engager dans une vie de femme, Paul,et Louise avec lui, se retrouveront sur des chemins de traverse qui les emmèneront loin de la vie à laquelle leur classe sociale et leur naissance les destinait. 
Par son récit, son dessin, l'auteure évoque très finement le corps, ses pesanteurs, ses odeurs, ses fluides, ses contraintes, ses jouissances. Et même si l'histoire se termine mal (on le sait dès les premières pages), je retiens surtout les sourires, la joie de cette liberté conquise contre la société et contre le monde.


Le silence des autres - Viviane Tosar

Attention, la chronique qui suit référence un livre franchement différent de ce dont on parle d'habitude sur ce blog. Je l'ai lu par hasard parce qu'un proche m'a dit que c'était intéressant. Je n'ai pas regretté.

Le silence... n'est ni un roman, ni un journal, ni une chronique ethnographique, mais il tient un peu de tout cela. Son personnage est un lieu que ses habitants appellent "le Centre", et particulièrement une des divisions du Centre, l'unité Mozart.
Nous sommes en France, de nos jours, le Centre accueille des enfants lourdement handicapés. Qui ne parleront jamais. Qui parfois ne marcheront jamais. Ne seront jamais propres. Ceux dont leurs parents ne peuvent plus s'occuper tant l'effort, incessant, est important. Et autour des enfants, une équipe d'adultes : le directeur, les infirmières, le médecin, les cadres, les assistant(e)s médico-psychologiques... Des gens plus ou moins doués, plus ou moins motivés, mal payés. Tous ces gens, enfants et adultes, nous les connaîtrons pas leurs prénoms.
On va vivre une petite année avec eux dans l'unité Mozart, des scènes de vies usuelles. Ménage, cuisine, visite des parents, ateliers d'éducation, discussions sur le budget, questionnement médicaux, disputes, tensions, moments de joie immense et d'immense détresse. Le Centre n'a rien de caricatural, ce n'est pas un lieu particulièrement mal tenu, ni un lieu expérimental, juste un lieu de vie.
Difficile avec tout cela de dire combien ce livre m'a bouleversé. Je ne sais pas quel est le métier de l'auteure : directrice, infirmière, A.M.P..., mais on sait, en le lisant, que chaque scène, chaque situation a été vécue sous une forme ou sous une autre. Le livre nous fait entrer et vivre dans le centre, alors on s'attache, on tremble, on pleure chaque défaite, on s'enthousiasme de chaque victoire, même minuscule. Certains moments sont magnifiques, une fête d'anniversaire, une pièce de théâtre, d'autre sont des tragédies immenses. Et à travers les souvenirs d'Odile, "l'ancienne", on aperçoit l'étonnante évolution de la considération et la prise en charge des enfants handicapés ces vingt et trente dernières années. Nos découvertes et nos ignorances.
Comme pour vous, peut-être, le handicap m'effraie. Le fait de devoir prendre soin de handicapés m'effraie aussi. Je n'aurais jamais eu envie d'entrer là, ni d'y rester. Ce livre m'a passionné et a fait changer mon regard, ils ne sont pas si nombreux à pouvoir en dire autant. Il n'est pas "bien écrit", même s'il est très bien composé, arrangé. Mais par la justesse de ses dialogues, de ces situation, de sa construction, il touche quelque chose de la vérité du monde, ce qui est, pour moi, le but de toute littérature.

09 juillet 2016

L’appel de Cthulhu - une analyse subjective de la terreur cosmique

Je vous propose ici de (re)lire l'article écrit pour le Bifrost spécial Lovecraft sur l'appel de Cthulhu, la nouvelle. J'en livre ici une analyse de passionné, dans le seul but de vous convaincre de relire Lovecraft !
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Introduction et description
Démons et merveilles[1], voici ce que m’apporte la lecture de Lovecraft.
Démons et merveilles liés, la découverte d’un mal immense, absurde, s’accompagnant de visions et de sensations extraordinaires. Les récits du « mythe » ne me terrorisent pas, ils provoquent chez moi, quand ils sont réussis, ce sentiment que les  anglais appellent awe, la terreur stupéfaite de Moïse au Sinaï, d’Elie entendant passer Dieu silencieux comme un souffle. Un émerveillement cosmique.

J’ai lu trop jeune l’appel de Cthulhu, je voulais de la terreur, et comprendre pourquoi les joueurs de jeu de rôle faisaient tout un foin de cet auteur. Le récit m’a paru froid et ennuyeux ; heureusement, j’y suis revenu plus tard, et j’y ai trouvé des trésors. Je voudrais dans ce petit article proposer une lecture admirative et technique d’un des textes les plus fameux du gentleman de Providence.
Rappelons-en le propos et l’organisation : après un paragraphe introductif brillant, très souvent cité[2], nous lisons les notes de Francis Wayland Thurston, de Boston, qui reprend et complète les travaux de son oncle défunt, le professeur Angell. Celui-ci rapporte les rêves étranges vécus en mars 1925 par un sculpteur, Henry A. Wilcox, qu’il rapproche d’autres rêves survenus à des personnes « sensibles » dans le monde. Grondements, cités sous-marines, paroles mystérieuses : Cthulhu ftaghn !. Dans une seconde partie, on comprend l’intérêt suscité par les rêves de Wilcox chez Angell en découvrant le témoignage datant de 1908 de l’inspecteur Legrasse qui, à la nouvelle Orléans, a démonté un culte « sataniste » adorant le même fameux Cthulhu. Thurston se passionne alors en anthropologue pour ce culte dont il analyse les croyances à travers le témoignage d’un prisonnier de Legrasse. Puis, à travers un article de journal, il remonte au récit d’un capitaine norvégien ayant vécu la plus terrifiante des aventures dans le pacifique en ce fameux moi de Mars 1925. La distance intellectuelle cède peu à peu place à la terreur, comme Thurston se rend compte que les croyances folles des adeptes des Grands Anciens pourraient être basées sur des faits et que toutes les personnes ayant fait ses recoupements où ayant été confrontées à ces faits sont mortes dans des circonstances mystérieuses. Thurston sait que ce sera alors bientôt son tour et le lecteur comprend que le sien, de tour, viendra aussi.

La statuette, telle que dessinée par Lovecraft

Structure du récit
Comment souvent chez Lovecraft, le récit est construit par un motif en spirale, approchant de plus en plus près une vision livrée dans la toute fin du texte. Partant d’un point de vue rationnel (Thurston et Angell sont tous deux des scientifiques) on aborde les faits les plus étranges de manière dépassionnée, par un jeu d’allers retours entre les faits et leur remise en question, jusqu’au déchirement final de l’horizon du témoin.
L’appel a ceci de particulier que la vision est double : en premier, la révélation faite à Legrasse (et, indirectement, à Angell) de l’existence d’un culte mondial, archaïque, révérant des puissances « venues des étoiles » endormies depuis le début de l’humanité. N’est pas mort qui a jamais dort… Les étranges statuettes, les corrélations entre les témoignages construisent cette révélation terrifiante. Seconde vision : la cité surgie du fond de l’océan, aux formes impossibles, ruisselante de vase, où s’éveille un géant dont on ne peut dire ni la substance ni la taille.
Comment faire croire le temps d’un récit à de telles incongruités ? L’art narratif de Lovecraft est de savamment fusionner ses créations avec le réel. Il nous abreuve de factuel pour nous faire accepter ses rêves. L’appel est avant tout un dossier, une pile de papiers rassemblés par deux scientifiques successifs, Angell puis Thurston ; en suivant le texte nous avons l’impression de lire des pages et des pages de pattes de mouches, de coupures de journaux, de rapports de police, de témoignages. Les éléments matériels mentionnés par le récit sont nombreux. Sous nos yeux, nous avons :

  • Un « étrange bas-relief d’argile », un objet bizarre sculpté par Wilcox
  • Des notes, « sans aucune prétention littéraire », sous le titre Culte de Cthulhu, divisées en deux parties :
    • 1925 – Rêves et œuvres d’Après-Rêves d’H.A. Wilcox, 7 Thomas Street, Providence, Rhode Island
      • Notes sur le récit des rêves reçus par les correspondants du Dr. Angell
      • Coupures de presses sur des troubles survenus partout dans le monde.
    • Récit de l’inspecteur John R. Legrasse, 121 Bienville Street, La Nouvelle Orléans, Louisiane. Notes à propos de ce dernier et la relation du Prof. Webb.
  • Une statuette de pierre, grotesque, repoussante, et apparemment très ancienne.
  • La même statuette, rapportée par Johansen
  • Le Sydney Bulletin du 18 avril 1925
  • Le manuscrit de Johansen, en anglais, censé traiter de « questions techniques ».


Le lecteur est un enquêteur, qui, à la suite de Thurston, lit et interprète des témoignages. Aucune vérité ne lui est imposée, à lui de croire où non ce qu’on lui dit, à lui de se référer à ces éléments factuels que le récit égrène : dates, coupures de journaux, personnes réelles dont l’adresse est fournie. Aucun chantage affectif, aucun pathos, aucune embrouille dans le récit lovecraftien, d’où sa réelle froideur. Ce style détaché, cette apparente objectivité, la référence permanente au rationalisme de Thurston, tout ancre le lecteur dans la posture d’un chercheur à qui on donne peu à peu les pièces d’un puzzle halluciné.
Habilement, Lovecraft ne cite presque jamais le verbatim des articles de journaux ou des témoignages. Le filtre de la synthèse effectuée par Angell puis Thurston permet de maintenir le rythme du récit, de faire émerger les points saillants des documents et éléments du dossier. Et par ce canal rationnel, il nous emmène de plus en plus loin dans le rêve.


Compréhension

L’univers du récit me paraît structuré en trois cercles : le cercle de la raison : les Blancs éduqués de la Nouvelle Angleterre, les hommes des sociétés savantes, les compte-rendu de journaux ou de police ; le cercle des croyances : domaine des Noirs, des squatters, des Inuits ou des Blancs peu éduqués. De ce cercle proviennent rumeurs, délires, folies, sujettes évidemment à caution. Puis le cercle des inspirations et de la folie, celui des Dieux endormis, des espaces sous-marins et du Necronomicon. C’est ce dernier cercle que nous sommes venus contempler et que l’on va nous offrir, à travers de nombreux intermédiaires.



La folie nous apparaît ainsi à travers de nombreux filtres. Jamais Thurston ne pose les yeux sur le Necronomicon : une citation de ce dernier nous parvient à travers Thurston, lisant Angell, interviewant Legrasse, interrogeant Castro, lui-même suivant l’enseignement d’ « immortels chinois » lui rapportant le contenu du fameux livre ! Pas moins de 7 intermédiaires, donc, entre le tome maudit et le lecteur, qui dit mieux ?
Comment percevons-nous d’ailleurs le monde lointain, sinon à travers des rapports, des lectures et des témoignages indirects ?
D’autant que l’espace imaginaire créé par Lovecraft ne souffre d’aucune des faiblesses congénitales à ce genre de choses : il n’a rien d’anthropocentrique, toutes les tentatives de le délimiter et de le définir se heurtent aux limites de la perception et de la compréhension : quelle est la taille des Grands Anciens ? Et la matérialité du grand Cthulhu lui-même ? La précision de la description des statuettes ne fait que souligner le flou (plein de conditionnels) sur la nature réelle des Anciens : d’où viennent-ils ? Dorment-ils ? Peut-on vraiment croire un cultiste qui s’est fait tabasser dans les prisons de la Nouvelle Orléans par l’inspecteur Legrasse ? Le nom Cthulhu lui-même a été arrangé pour être imprononçable, approximatif, pour qu’apparaisse évidente son origine étrangère.
Je trouve deux limites à la construction imaginaire lovecraftienne : la vision très datée et raciste opposant Blancs-civilisés-raisonnables aux Etrangers (Noirs, Inuits…)–rêveurs–sauvages. Et un petit détail : il est peu probable qu’un scientifique ait avoué ne pas pouvoir du tout identifier la pierre des statuettes, il aurait au moins proposé une hypothèse[3].
Des adorateurs, de la manière dont s’organisent ces cultes archaïques, on ne sait rien, et à partir de ce qu’il ignore, le lecteur peut enflammer son imagination. Projeter ses propres hypothèses, ses fantasmes. S’appuyant sur une réalité totalement crédible, Lovecraft nous laisse ainsi entrevoir et peupler de nos fantasmes un monde flou, imprécis, immense et terrifiant. Démons et merveilles.







[1] Le recueil paru chez 10/18 autour des récits du Contrées du rêve s’intitulait ainsi. Ce titre semble être un pur choix éditorial français.
[2] Ce qu’il y a de plus pitoyable au monde, c’est, je crois, l’incapacité de l’esprit humain à relier tout ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île placide d’ignorance… (traduction Claude Gilbert)
[3] Par exemple : « une forme très rare de stéatite précambrienne ».

07 juillet 2016

La voie du cygne en numérique au Bélial !

La voie du cygne est un roman policier à l'ancienne, avec gens bien élevés, détective pittoresque, indices disséminés dans le texte et meurtre.
C'est aussi un roman se déroulant dans un monde imaginaire et dans une ville inventée, la cité de Dvern, perchée sur la côte est du continent atlan, avec ses falaises basaltiques, ses rites tordus et ses princes cruels.
C'est enfin un récit plein de labyrinthes, d'échos symboliques et de mystères mythologiques. Je crois que l'ensemble est assez amusant.

La première édition en est parue en 1998, dirigée par Stéphane Marsan, pour la toute nouvelle collection Icares des éditions Mnémos, avec une très belle couverture de Gustave Moreau. Le roman a été repris en 2001 par la toute neuve collection Folio SF, le style en ayant été profondément retravaillé sous la houlette bienveillante de Sébastien Guillot. A l'époque, le numérique n'existait pas.
Les éditions du Bélial m'ont proposé de le republier en numérique, avec une nouvelle couverture par le même Gustave M. C'est du epub joliment fait, sans DRM, avec une petit postface inédite. 



Vita sicut labyrinthus, labyrinthus sicut vita

06 juillet 2016

Chroniques BD -- Brèves #2

Quelques autres chroniques de bandes dessinées. Comme déjà dit dans ce billet:
Je me suis remis à lire quelques bandes dessinées, notamment en numérique. Je ne me sens pas très compétent pour en faire des chroniques détaillées, d'autant que toutes ne le méritent pas. Mais voici rassemblées dans un seul billet, quelques considérations sur mes lectures récentes, pour votre curiosité et pour me souvenir. Un autre billet du même genre suivra.

On y trouvera des lectures mues par une vraie curiosité pour l’œuvre, et d'autres menées par l'opportunisme des offres et des promotions.

Largo Winch T1, T2 -- Franck et Van Hamme
Les séries de Van Hamme sont une des portes qui m'ont fait quitter les albums de l'enfance (Tintin et séries du journal de Spirou) pour des lectures un peu plus "modernes". L'ado que j'étais adorait Thorgal, XIII et aimait bien Largo Winch. J'ai depuis beaucoup réévalué tout ça : sans nier à Van Hamme un grand talent de scénariste, j'ai ouvert les yeux sur la misanthropie profonde de ses histoires. Ses héros sont souvent des individualistes forcenés, machos, tueurs. 
En relisant ces deux premiers tomes de la fameuse série Largo Winch (un jeune homme énergique et indépendant devient la tête de la première fortune mondiale) je ne suis pas revenu sur mon opinion. J'ai retrouvé pourquoi l'ado que j'étais avait aimé : thriller habile, rythmé, plein d'action et belles pépées. Et pourquoi l'adulte est écœuré : sexisme outrancier, fascination pour le fric et la violence.
Je ne sais même pas si c'est que Van Hamme pense vraiment. Je crois le scénariste trop roué pour se laisser voir derrière son travail. Il sert avec talent une soupe infecte, car elle se vend .
Je reviendrai un jour peut-être sur Thorgal, comme l'a fait Efelle.

Black Sands, T1 -- Mathieu Contis et Tiburce Oger
Seconde guerre mondiale, guerre du pacifique. Des marines débarquent sur une île perdue. Pendant les premières planches, j'y ai cru. Sous-marins, dinghies, japs en embuscade... Je ne savais pas à quoi m'attendre. Puis j'ai vu les zombies. Et considéré que le projet (une petite série B n'ayant pour elle que son pitch) n'offrait pour moi plus aucun intérêt.


L'homme qui tua Lucky Luke -- Mathieu Bonhomme
J'ai toujours trouvé que Luke le chanceux était un gars cool, avec un cheval cool. Certes, au début il tuait des gens dans les duels. Après, il est devenu plus tranquille, se contentant de désarmer ces crétins de Dalton à longueur d'album et de promener son flegme dans l'ouest sauvage.
La reprise/hommage de Mathieu Bonhomme est formidable. D'abord parce que lui aussi trouve que Luke est un gars cool. Ensuite par sa relecture intelligente et son retour aux sources de ce qui fait un bon western. Le récit est semi-réaliste, parfois douloureux et souvent amusant. On peut s'amuser à attraper les références ou les allusions habiles, ou bien juste se laisser porter par un bonne histoire, joliment arrangée et traitée avec amour.




04 juillet 2016

Chroniques BD – Brèves

Je me suis remis à lire quelques bandes dessinées, notamment en numérique. Je ne me sens pas très compétent pour en faire des chroniques détaillées, d'autant que toutes ne le méritent pas. Mais voici rassemblées dans un seul billet, quelques considérations sur mes lectures récentes, pour votre curiosité et pour me souvenir. Un autre billet du même genre suivra.
On y trouvera des lectures mues par une vraie curiosité pour l’œuvre, et d'autres menées par l'opportunisme des offres et des promotions.

Le sculpteur – Scott McCloud
Je ne connaissais McCloud que pour son classique l'Art invisible (et aussi pour l'excellent album en ligne qu'il a réalisé pour le compte de Google lors de la sortie de chrome – remarquable exercice pour qui est curieux de l'informatique). Le sculpteur est une fable (genre que je n'aime pas) autour de l'Art, de vivre pour lui, de mourir pour lui... Et malgré mes préventions, ce livre est très bien. Jouant sur un registre très classique (un artiste méconnu fait un pacte avec... pour connaître le succès en échange d'une vie brève) le sculpteur m'a beaucoup ému, que ce soit par son graphisme faussement simple ou sa très belle histoire d'amour.



Une nuit à Rome – Jim
Pitch : un tout juste quarantenaire sympathique en train de s'installer plaque tout pour aller retrouver à Rome son amour de jeunesse à qui il avait fait la promesse de la rejoindre le jour de leurs quarante ans. Ligne claire, récit réaliste, évocation de la passion, de la folle jeunesse... On dirait presque un scénario de film français (tm). Pas ma came, comme on dit. Mais alors pas du tout.

Mitterrand, un jeune homme de droite – Richelle et Rébéna
Dans un noir et blanc assez intéressant (qui m'a un peu rappelé Blutch), une évocation de la jeunesse dans les années 30 de François M., politicien français plein d'avenir. Ca aurait pu m'intéresser, mais l'écriture et la scénarisation m'ont semblé d'une telle lourdeur que ça m'est tombé des mains. Dommage.



Tramp, T1 – Kraehn et Jusseaume
Un récit d'aventures dans la marine marchande, dans les années 50. Rafiots pourris, armateurs douteux, ambiance de ports mélancoliques... J'y suis allé volontiers. Dommage que le récit semble dater aussi des années 50, notamment par son traitement des personnages féminins (beurk, la scène de viol...). La suite se fera sans moi.


Niourk T1 – Vatine
Une terre dévastée dont les océans ont baissé. Des hommes redevenus préhistoriques. Des pieuvres qui marchent... J'avais lu le classique de Wul étant enfant et l'avais trouvé génial, même si un peu traumatisant. L'adaptation en bande dessinées de Vatine est excellente, par ses cadrages, son sens du récit, sa puissance d'évocation... Waow ! Superbe travail.



Facteur pour femmes – Quella Guyot et Morice
Celui-là, je l'ai lu sur recommandation d'un certain blogueur marseillais spécialiste post-apo et première guerre mondiale, il se reconnaîtra.
Sur une île bretonne, 1914. Les hommes s'en vont pour le front et un jeune homme rêveur et pied-bot devient le nouveau facteur. Pendant cinq ans, il distribue le courrier, entre dans les vies, les cœurs, les lits des femmes délaissées. Les images sont très belles, très douces, et l'histoire souvent cruelle, nul n'en sort indemne, que ce soit ces dames ou le jeune faux naïf. Une belle oeuvre, même si, personnellement, je n'ai pas tellement accroché.





 


02 juillet 2016

Into the night – John Landis

Ed Okin est ingénieur, travaille dans un cubicle, comme Dilbert, sans ordinateur à côté de lui (on est en 1985). Et il n'arrive pas à dormir. Il doit y avoir quelque chose qui ne va pas dans sa vie... Par exemple, sa femme le trompe, il s'ennuie dans son boulot absurde...


Une nuit, comme souvent, il prend la voiture et roule dans la nuit, pour s'apaiser, et se retrouve à l'aéroport. Et là, par hasard, il assiste quasiment à un meurtre et voit une très belle femme courir vers lui, appelant à l'aide, criant qu'elle est poursuivie. Ed est un brave type, il embarque la femme fatale et le voilà parti pour une aventure bizarre avec elle. Quatre méchants Iraniens sont à ses trousses, elle a des ennuis dont elle ne veut pas parler, un frère sosie d'Elvis et des relations avec des mafieux. Vous la laisseriez peut-être tomber, mais pas Ed Okin. Parce que tout ça est une espèce de dérive mal réveillée dans la nuit de L.A., parce qu'enfin il se passe quelque chose dans sa vie, et peut-être aussi parce que la femme est jouée par Michelle Pfeiffer dont j'avais oublié qu'elle était aussi belle.



J'ai adoré ce film, sa course-poursuite semi-indolente, son intrigue bancale dans L.A., ses méchants maladroits... Il dégage une atmosphère de rêve bizarre, avec des meurtres, des grandes villas avec des fontaines, David Bowie en tueur et Roger Vadim en chef mafieux. Il y a de nombreuses promesses sexuelles inaccomplies, des traits d'humour absurde et Jeff Goldblum (je vous ai déjà dit que j'aime beaucoup Jeff Goldblum ?) qui traîne sa grande carcasse dans cette histoire, regardant beaucoup et ne faisant pas grand-chose, sur fond d'illusions, de tournages et d'écrans de télé allumées que personne ne regarde.
Une comédie bizarre, violente et un très beau film.






Merci au Dr Orlof qui m'a donné envie de le voir.


01 juillet 2016

Contes et nouvelles - H.P. Lovecraft

Une nouvelle rediffusion, depuis le Bifrost spécial Lovecraft.
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Cette série rassemble les textes de Lovecraft écrits en son nom propre, et n’appartenant ni au « Mythe de Chtulhu », ni au « cycle » des Contrées du rêve. Il s’agit donc d’un ensemble hétéroclite, pour l’essentiel écrit durant les années 20, qu’on lira comme tel sans trop vouloir le comparer aux réussites majeures de l’auteur que peuvent être « La Quête de Kadath » ou « Les Montagnes hallucinées »… On y verra se déployer le talent de Lovecraft dans le domaine du fantastique, on le verra tâtonner à la recherche de son grand sujet (l’horreur cosmique, pour faire simple), et s’aventurer parfois dans des domaines plus inattendus.

On rassemblera ces textes en trois grandes veines : en premier lieu, le fantastique et l’horreur gothiques, dans la suite d’Edgar Allan Poe : surcharge baroque, odeurs méphitiques, ambiances morbides. Lovecraft est à l’aise dans ce registre qui livre quelques perles : « La Tombe », beau texte nécrophile, et surtout « Je suis d’ailleurs », qui ne révèle que dans sa chute l’horrible position du narrateur. Certains textes explorent avec plus ou moins de succès des thèmes classiques : la malédiction familiale dans « La Tourbière hantée » (assez faible), puis dans « Les Rats dans les murs », autrement plus puissant, grâce à un substrat historique plus crédible. « La Maison maudite » est une variation sur la maison hantée, abordée par des personnages rationnels et scientifiques ; le récit de la veille des deux héros avec leurs appareils dans la cave de la demeure est tout à fait glaçant et réjouissant. On y trouve ce trait typique de l’auteur : ancrage dans une réalité historique (locale) et scientifique, absence de pathos, permettant une adhésion rationnelle au sujet. « Le Temple » possède un pitch très séduisant (un sous-marin allemand à la dérive découvre d’étranges ruines abyssales pendant que l’équipage sombre dans la folie), mais Lovecraft semble alors manquer de la maturité littéraire pour tenir son sujet, l’épopée technique face à l’inconnu — on est encore loin des « Montagnes hallucinées ». « De l’au-delà » est une tentative d’horreur scientifique (et si nous percevions la réalité au-delà de nos cinq sens ?) qui ne dépasse pas le cadre de l’anecdote, la vision hors des murs de la réalité n’a pas encore déployé toute son ampleur…

On ne peut passer sous silence « L’horreur à Red Hook », texte apparemment issu du traumatisme vécu par Lovecraft dans un quartier multiculturel de New York. Le récit est infusé d’un racisme assez répugnant, ce qui ne l’empêche pas de bien fonctionner, suivant le principe des meilleurs textes de l’auteur : une enquête révèle de nombreux éléments troublants qui, placés bout à bout, mettent au grand jour une horreur bien plus grande. On se permettra d’admirer la maîtrise narrative tout en tenant le propos à distance.

Cette nouvelle, tout comme « Les Faits concernant feu Arthur Jermyn », montre que le talent de Lovecraft se déploie sur des formes assez longues, permettant la création d’un contexte riche, ancré dans le passé de nombreux personnages. « … Arthur Jermyn » est une digression ample sur une étrange famille de fous et de dégénérés, liés à une antique cité africaine. La précision du récit, des témoignages, donne une puissante cohérence à l’ensemble, autorisant la fameuse suspension d’incrédulité. Le chroniqueur avoue aussi une petite faiblesse pour « La transition de Juan Romero », témoignage bref et hanté sur des évènements inexplicables et inexpliqués survenus dans une mine dont les ouvriers ont, peut-être, été confrontés à une mystérieuse entité souterraine.

« L’Image dans la maison déserte » se relie quant à lui aux récits de la vallée du Miskatonic. Campagne isolée, habitée par des fantômes du passé et d’étranges présences, on y ressent avec force l’amour de l’auteur pour son pays natal et on y lit, selon Francis Lacassin, la toute première mention de la ville d’Arkham.

Après les histoires d’horreur, une seconde veine se dessine avec les textes oniriques, ou « dunsaniens », pouvant pour certains se rattacher aux récits des contrées du rêve. Certains ne sont que des fragments, tentative d’expression d’une image ou d’une sensation (« Souvenir », « Ex oblivione »,« Lui »), d’autres forment des récits plus élaborés. Je retiendrais personnellement « Hypnos », à l’imaginaire halluciné et baudelairien (d’ailleurs rattaché au cycle des Contrées du rêve dans sa nouvelle traduction), « Par-delà le mur du sommeil », tentative de description d'un contact, via les mondes du rêves, avec un Autre parfaitement étranger, et «Le Terrible vieillard », conte de Kingsport, moral et ironique. « Le Clergyman maudit » et « Le Livre », écrits bien plus tard, semblent être des essais explorant une voie plus introspective et plus personnelle…

Un troisième registre, pas le moins intéressant, est celui de l’humour. Avec« L’Indicible », Lovecraft ironise sur les écrivains abusant de cet adjectif (pour, finalement, prendre leur défense). « Dans le caveau » est une anecdote de fossoyeur, affreuse et très bien menée, et enfin « Herbert West, réanimateur » s’avère un feuilleton en six épisodes avec savant fou menant des expériences à la Frankenstein. Sous des oripeaux horrifiques, l’auteur se révèle ici franchement très amusant, par ses effets de non-dits et de répétitions.


Outre la lecture de quelques excellentes nouvelles, parcourir ce recueil de bric et de broc permet de voir un écrivain talentueux s’émanciper de ses maîtres (Poe, Dunsany…) et approcher en tâtonnant ses sujets les plus personnels. Car la sincérité de Lovecraft dans son œuvre est évidente : on y trouve ses peurs, ses angoisses, son amour de l’Histoire, de son pays natal, adossés à des rêves et des visions immenses.