Après avoir lu Rouge Brésil (dont j'ai parlé ici) et dans le but de me documenter un peu plus pour ma petite campagne de Te Deum, j'ai découvert sur Internet le texte intégral de l'Histoire d'un voyage... de Jean de Lery, et sa lecture a été une nouvelle source d'émerveillement. J'avais déjà lu l'histoire mémorable du siège de Sancerre, par le même, et j'ai été très heureux de retrouver mon chroniqueur préféré du 16ème siècle.
Jean de Lery, fils de cordonnier, protestant, a fait partie de l'expédition Villegaignon, au Brésil, et il a passé plus d'un an à cotoyer de près les Indiens Tupinambas, des anthropophages de la région de Rio. Dans son histoire d'un voyage... il entreprend de réfuter les mensonges diffusés par André Thévet, premier chroniqueur de l'expédition, puis il évoque le voyage de son groupe vers le Brésil avant de passer de longs chapitres, les plus fascinants, à décrire la société des Indiens. La rencontre des cultures est un instant magique, où se révèlent tout autant les indiens que les Français. De Lery regarde les indiens avec une véritable curiosité, s'intéresse à tout : les paysages, les animaux, la forme des villages, le costume des hommes, des femmes, leurs moeurs, leurs manières d'accueillir les hôtes, de faire la guerre, de fabriquer la nourriture, de faire l'amour, de traiter les prisonniers... Son souci d'exhaustivité, la qualité de la rédaction forcent le respect : le texte est passionnant à lire, bien écrit, plein d'humour, malgré la distance des siècles! Sans se départir des préjugés (notamment religieux) de son temps, De Lery regarde "ses" Indiens avec bonté et remarquablement peu d'a-priori. Son jugement sur les Européens n'est pas tendre et bien que les Tupinambas soient des anthropophages païens, il admire leur savoir-faire, leur cordialité, leur manière tranquille de mener leur vie, leur bonte entre eux et envers les étrangers.
Quand les Indiens on voulu lui trouver un nom, le chroniqueur leur a proposé de l'appeler Jean, son qu'ils étaient malheureusement incapables de prononcer. Il a alors proposé Léry, ce qui veut dire huître en langage Tupi. Et voilà notre bon protestant baptisé par les sauvages Léry-oussou, "la grosse huître", ce qui paraît même lui faire plutôt plaisir.
Le compte rendu de De Léry, réécrit et retravaillé de nombreuses fois (il a perdu son manuscrit plusieurs fois dans la tourmente des guerres de religion), comprend plusieurs passages étonnants, dont la retranscription complète en langue tupi (avec la VF) d'un dialogue qu'il a eu avec un vieil Indien.
Le texte se termine par le récit épique du retour en France à bord d'un bateau pourri, faisant eau de toute part, éprouvé par la famine. Le pauvre De Lery connaissait le sujet, lui qui a failli mourir de faim durant le siège de Sancerre. Et, sans se départir de ce sérieux pince sans rire que je perçois chez lui, il se permet de comparer les deux types de famines, celle du siège et celle de la traversée, commentant les difficultés et les aisances de chacune...
Wikipedia liste les différentes version du manuscrit disponibles sur le net de ce superbe manuscrit. Le livre a également été récemment réédité au livre de proche.
18 février 2008
13 février 2008
Rome
Maintenant que nous sommes pourvus d'un projecteur (ou plutôt d'un beamer, comme on dit en romandie), nous avons pu commencer à nous cultiver dans le domaine des séries télé. Il faut dire que notre dernière référence en la matière est X-files, alors nous avons un peu de retard à rattraper... Sur le conseil (indirect) d'Alex, nous avons emprunté la première saison de Rome, comme le titre de ce post l'aura fait comprendre au lecteur consciencieux. Un visionnage bien agréable, ma foi.
Se livrer à une critique détaillée de cette dizaine d'heures de complots étant hors de ma portée, voici toutefois quelques commentaires :
bravo aux créateurs de décors et de costumes, ils ont réussi à rendre vivantes et vraies les maisons et la ville. Loin des visions idéalisées, on est dans une espèce de bouge oriental, où tout le monde se déplace à pied, c'est assez saisissant.
bravo aussi aux scénaristes d'avoir su rendre avec habilité plein de détails : les procès, les débats politiques, les moeurs, la nourriture, les petits métiers, la religiosité (sujet casse-gueule s'il en est). Je ne sais pas si tout est historique, mais tout cela rend extrêmement bien.
Et j'ai adoré les acteurs jouant César et Marc-Antoine. Le couple Vorenus-Pullo fonctionne plutôt bien lui aussi.
Pour le reste, après quelques premiers épisodes fort bien menés, les conventions de l'écriture feuilletonnesque m'ont pas mal ennuyé, les affaires de couple de Vorenus, les amours d'Octavia, les malheurs de Servilia, tout ça m'a plutôt barbé et j'ai trouvé que les épisodes du milieu de la série étaient un vrai ventre mou narratif. Mais je suppose que c'est le genre qui veut ça.
En tous cas, il en reste une grosse envie de faire jouer des histoires dans le monde romain ! Et ça, ce n'est pas rien.
Se livrer à une critique détaillée de cette dizaine d'heures de complots étant hors de ma portée, voici toutefois quelques commentaires :
bravo aux créateurs de décors et de costumes, ils ont réussi à rendre vivantes et vraies les maisons et la ville. Loin des visions idéalisées, on est dans une espèce de bouge oriental, où tout le monde se déplace à pied, c'est assez saisissant.
bravo aussi aux scénaristes d'avoir su rendre avec habilité plein de détails : les procès, les débats politiques, les moeurs, la nourriture, les petits métiers, la religiosité (sujet casse-gueule s'il en est). Je ne sais pas si tout est historique, mais tout cela rend extrêmement bien.
Et j'ai adoré les acteurs jouant César et Marc-Antoine. Le couple Vorenus-Pullo fonctionne plutôt bien lui aussi.
Pour le reste, après quelques premiers épisodes fort bien menés, les conventions de l'écriture feuilletonnesque m'ont pas mal ennuyé, les affaires de couple de Vorenus, les amours d'Octavia, les malheurs de Servilia, tout ça m'a plutôt barbé et j'ai trouvé que les épisodes du milieu de la série étaient un vrai ventre mou narratif. Mais je suppose que c'est le genre qui veut ça.
En tous cas, il en reste une grosse envie de faire jouer des histoires dans le monde romain ! Et ça, ce n'est pas rien.
Festins secrets - Pierre Jourde
Voilà un bouquin prometteur : un jeune prof, l'agrégation juste passée, part vers son premier poste dans un collège très difficile d'une ville de province, Logres. Il a trouvé à se loger chez Madame Van Reth, veuve étrange d'un collectionneur d'érotiques du 18ème siècle, dans une non moins étrange maison. L'écriture, hypnotisante, nous fait assister au voyage halluciné du héros dans le train qui le mène à Logres et à ses débuts dans le collège qui, il faut bien le dire, est une antichambre de l'enfer. Et puis il y a ces mauvaises nuits, ce téléphone qui s'obstine à sonner dans la grande maison trop vide, et les bruits insupportables qui sortent du pavillon de parpaing des Hellequin, les caïds du lieux, des ces dîners abominables du cercle culturel de Logres, et ces morts de la première guerre mondiale qui rampent sous la boue du champs des Ecargues... La raison de notre prof part à la dérive, et nous aussi, pour notre plus grand plaisir.
L'écriture habile de l'auteur sait donner voix à une galerie de personnages bizarres, le prof cynique, le proviseur shooté aux circulaires de l'Education Nationale, l'avocat médiatique et puant, la poétesse féministe nimbée de dentelles noires...
On pense aux films de David Lynch, à l'échelle de Jacob, à ces moments où le fantastique envahit la réalité parce que le fantastique est la réalité. Et dans sa peinture de Logres en enfer, Pierre Jourde donne à sentir la nature profondément étrange et effrayante du monde. Pas mal.
Malheureusement, son roman a quelques problèmes. Le premier est, me semble-t-il, que l'auteur, tout à son ambiance, a totalement oublié de raconter une histoire intéressante. La dérive solipsiste de son personnage aurait pu en être le sujet si ce dernier avait été un peu moins (ou un peu plus, au choix) une insupportable loque chouineuse. Sinon, à quoi bon tout ça? Pourquoi avoir créé autant de personnages intéressants (les Hellequin, le docteur, les Schutz...) pour n'en rien faire?
Deuxième point, l'auteur est un prof, et ça se voit. Le texte mentionne avec mépris ces profs aigris qui ne cessent de parler de leurs élèves. Sur sa deuxième partie, le roman m'a fait penser à celui d'un prof aigri qui ne cesse de parler de l'éducation nationale... et, autant l'auteur a l'imagination puissante et féroce quand il part dans le fantasme, autant ses récits semi-réalistes des formations pédagogiques de l'éducation nationale n'offrent, en vérité, aucun intérêt pour le lecteur non-prof (et pour le lecteur-prof? je l'ignore). Bref, j'ai fini par sauter les longues diatribes sur l'architecture démente de l'ISFP et le fonctionnement du "système"... Dommage.
Reste la fin du roman, atteinte après une centaine de pages d'ennui pédagogique, et relativement convenue. Ami lecteur, suis mon conseil, abandonne le texte à la moitié, tu auras un excellent souvenir de ce roman !
PS : Festins Secrets m'a heureusement rappelé un excellent roman fantastique, traitant un sujet proche tout en évitant complètement l'ennui : Villa Bini, de l'excellente et trop rare Serena Gentilhomme.
PPS : merci à PAT de m'avoir donné envie de lire Festins Secrets. Je n'ai pas autant apprécié que lui le roman, mais ça reste un texte très intéressant.
L'écriture habile de l'auteur sait donner voix à une galerie de personnages bizarres, le prof cynique, le proviseur shooté aux circulaires de l'Education Nationale, l'avocat médiatique et puant, la poétesse féministe nimbée de dentelles noires...
On pense aux films de David Lynch, à l'échelle de Jacob, à ces moments où le fantastique envahit la réalité parce que le fantastique est la réalité. Et dans sa peinture de Logres en enfer, Pierre Jourde donne à sentir la nature profondément étrange et effrayante du monde. Pas mal.
Malheureusement, son roman a quelques problèmes. Le premier est, me semble-t-il, que l'auteur, tout à son ambiance, a totalement oublié de raconter une histoire intéressante. La dérive solipsiste de son personnage aurait pu en être le sujet si ce dernier avait été un peu moins (ou un peu plus, au choix) une insupportable loque chouineuse. Sinon, à quoi bon tout ça? Pourquoi avoir créé autant de personnages intéressants (les Hellequin, le docteur, les Schutz...) pour n'en rien faire?
Deuxième point, l'auteur est un prof, et ça se voit. Le texte mentionne avec mépris ces profs aigris qui ne cessent de parler de leurs élèves. Sur sa deuxième partie, le roman m'a fait penser à celui d'un prof aigri qui ne cesse de parler de l'éducation nationale... et, autant l'auteur a l'imagination puissante et féroce quand il part dans le fantasme, autant ses récits semi-réalistes des formations pédagogiques de l'éducation nationale n'offrent, en vérité, aucun intérêt pour le lecteur non-prof (et pour le lecteur-prof? je l'ignore). Bref, j'ai fini par sauter les longues diatribes sur l'architecture démente de l'ISFP et le fonctionnement du "système"... Dommage.
Reste la fin du roman, atteinte après une centaine de pages d'ennui pédagogique, et relativement convenue. Ami lecteur, suis mon conseil, abandonne le texte à la moitié, tu auras un excellent souvenir de ce roman !
PS : Festins Secrets m'a heureusement rappelé un excellent roman fantastique, traitant un sujet proche tout en évitant complètement l'ennui : Villa Bini, de l'excellente et trop rare Serena Gentilhomme.
PPS : merci à PAT de m'avoir donné envie de lire Festins Secrets. Je n'ai pas autant apprécié que lui le roman, mais ça reste un texte très intéressant.
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