J'avais retenu de ma lecture de la fontaine pétrifiante – outre un propos d'une intelligence rare sur la littérature d'imagination – ces passages rêvés où le héros, embarqué sur un cargo glissant d'île en île traversait l'archipel du rêve, étrange assemblage de petites contrées à l'atmosphère parfois méditerranéenne, parfois tropicale, où la modernité paraît s'être arrêtée, où les coutumes et les interdits déroutent les étrangers, où les femmes sont séduisantes et un peu étranges.
Le recueil l'Archipel du rêve m'a permis d'y retourner, et je ne comprends pas pourquoi j'avais si longtemps boudé mon plaisir. Nous avons là une demi douzaine de nouvelles, écrites sur une période assez longue, qui prennent pour cadre les îles de l'archipel. Le contexte apparaît un peu plus clairement que dans la fontaine pétrifiante : dans le monde de l'archipel, pas très éloigné du nôtre dans les années 60, une guerre dure depuis longtemps entre deux grandes entités, le Faianland et la Fédération. Le genre de guerre sourde et lointaine, qui ronge les vies et les familles et rend les pays froids et tristes. L'archipel, situé entre les nations et le continent austral (où se déroulent, on ne sait pourquoi, les opérations militaires) est une zone de neutralité, d'évasion, de fuite. Les histoires sont toutes construites sur un schéma très priestien : des personnages un peu paumés, des désirs inavoués, des situations pas claires qui font douter de leur propre expérience. On sent derrière ces récits des rêveries, des logiques oniriques, parfois douces, parfois cruelles, que l'art de Christopher Priest sait transformer en histoires vertigineuses et kaléidoscopiques. J'ai plusieurs fois admiré la rouerie de l'auteur, son talent pour nous faire douter de ce que nous lisons, de ce que nous ressentons. J'ai surtout aimé encore plus qu'avant cet espace imaginaire, ce lieu de fantasmes érotiques, de voyages immobiles, de vertiges et d'illusions, cette destination onirique qui pourrait être la mienne.
P.S : en revoyant les critiques, je me rends compte que ce livre est passé relativement inaperçu à sa sortie. Quel dommage... Je le dis et le redis alors : Christopher Priest est un très grand auteur, un maître du vertige.
P.P.S : lisez les critiques ci-dessous, si vous doutez encore !
22 novembre 2010
20 novembre 2010
La Horde du Contrevent - Alain Damasio
J'arrive après la bataille, ce livre est paru voici des années, vous l'avez tous déjà lu. Comment ça, non ? Ce n'est pas le cas ? Alors vous avez de la chance. Parce que vous allez pouvoir découvrir un des meilleurs romans français de ces dernières années. Je n'ai pas dit roman de SF, ou de fantasy, le classement n'a pas d'importance.
L'accroche du livre est simple. Dans un monde où le vent souffle éternellement, de l'amont vers l'aval, en slamino, en crivietz, en blaast, en choon, en furvent... l'Hordre d'Aberlaas envoie depuis des siècles des expéditions vers l'Extrême Amont, en une quête physique, initiatique et mystique. Atteindre l'amont signifie comprendre le sens du monde, trouver les neuf formes du vent. Bienvenue donc dans une marche épuisante, aventureuse, magnifique, avec la 34ème horde, menée/guidée/tractée par une grande gueule, le neuvième Golgoth, une brute puissante et inaltérable. Vous marcherez avec les 23 membres de la horde, depuis les porteurs, les chasseurs, en passant par la feuleuse, l'autoursier, le fauconnier, le combattant-protecteur, le troubadour, le scribe, le prince...
La Horde du Contrevent est un voyage fabuleux, dans un monde signes et de mots. Rarement j'avais vu la forme d'un roman épouser, épuiser aussi bien son fond. La construction de l'histoire, la langue, la structure, les voix, tout se répond et se complète.
La Horde n'est pas un bon livre. C'est un très grand livre. Il n'est pas pour les amateurs de SF, les lecteurs de tolkienneries ou les jeunes filles prépubères amatrices de vampires. C'est un livre pour tous ceux là à la fois, en vérité pour tous les amateurs de bons livres exigeants, fascinants, beaux et drôles. Je me sens à cours de mots pour en parler car l'expérience dépasse ma pensée, c'est le signe des vraiment bons livres.
Et si jamais vous êtes comme j'étais, un peu intimidé, un peu énervé par la perspective d'ouvrir un livre que trop de gens de ont aimé (et qui en devient donc suspect), ouvrez-le, lisez les cinq, les dix premières pages. Vous verrez.
Tracez, tracez, contrez !
12 novembre 2010
Summer wars
Je parle de temps en temps de films d'animation par ici. Je suis un grand amateur de l'oeuvre de Myiazaki, mais aussi de celle de Satoshi Kon, malheureusement décédé voici quelques semaines (snif !). Pour découvrir un nouveau réalisateur, sur le conseil de Parrain Cédric, nous avons décidé avec Cecci d'aborder l'oeuvre de Mamoru Hosoda.
Summer wars est un film dont le pitch n'avait pas grand chose pour m'intéresser : il y est question d'un lycéen plus fort en maths qu'en filles, invité par la plus jolie fille du lycée à une partie de campagne – on devine là le catalogue des poncifs de l'univers imaginaire japonais. On y trouve aussi un monde virtuel, Oz, sorte de croisement entre un méga-facebook et Second Life, ou des millions d'avatars font ce que nous faisons tous les jours sur internet : acheter des bouquins, bavarder, déclarer nos impôts, jouer...
Et en fait, summer wars est un film formidable. C'est un film incroyablement énergique, gentil, positif. L'histoire est très maligne, à la fois fraiche, touchante et totalement contemporaine. Le scénario trace le portrait de l'étonnante famille Jinnouchi, l'équivalent japonais d'une famille de vieille noblesse d'épée française, avec son vieux chateau à la campagne et ses fêtes de famille. L'histoire est drôle, palpitante, émouvante, se permettant même de beaux moments contemplatifs (je pense notamment à la scène du petit matin où...)
Graphiquement, l'ensemble est splendide : qu'il s'agisse des décors du chateau, du monde virtuel d'Oz, des scènes de combat dans cet univers... Le film donne à voir, il incarne de grands fantasmes d'informaticien. Il suffit de voir l'inventivité des interfaces que manipule Love machine, la manière dont les avatars interagissent... Là où facebook reste un site internet relativement laid, Oz incarne ce que pourrait être un réseau social pleinement développé.
Bref, c'est beau, c'est intelligent, c'est marrant, c'est poétique, c'est grand public et c'est surtout très positif. Malgré son drôle de titre, il faut voir summer wars.
Et, ce qui m'a vraiment ému, le film est placé sous la protection de John et Yoko
Summer wars est un film dont le pitch n'avait pas grand chose pour m'intéresser : il y est question d'un lycéen plus fort en maths qu'en filles, invité par la plus jolie fille du lycée à une partie de campagne – on devine là le catalogue des poncifs de l'univers imaginaire japonais. On y trouve aussi un monde virtuel, Oz, sorte de croisement entre un méga-facebook et Second Life, ou des millions d'avatars font ce que nous faisons tous les jours sur internet : acheter des bouquins, bavarder, déclarer nos impôts, jouer...
Et en fait, summer wars est un film formidable. C'est un film incroyablement énergique, gentil, positif. L'histoire est très maligne, à la fois fraiche, touchante et totalement contemporaine. Le scénario trace le portrait de l'étonnante famille Jinnouchi, l'équivalent japonais d'une famille de vieille noblesse d'épée française, avec son vieux chateau à la campagne et ses fêtes de famille. L'histoire est drôle, palpitante, émouvante, se permettant même de beaux moments contemplatifs (je pense notamment à la scène du petit matin où...)
Graphiquement, l'ensemble est splendide : qu'il s'agisse des décors du chateau, du monde virtuel d'Oz, des scènes de combat dans cet univers... Le film donne à voir, il incarne de grands fantasmes d'informaticien. Il suffit de voir l'inventivité des interfaces que manipule Love machine, la manière dont les avatars interagissent... Là où facebook reste un site internet relativement laid, Oz incarne ce que pourrait être un réseau social pleinement développé.
Bref, c'est beau, c'est intelligent, c'est marrant, c'est poétique, c'est grand public et c'est surtout très positif. Malgré son drôle de titre, il faut voir summer wars.
La délicate rencontre de Kenji avec la grand-mère de Natsuki...
King Kazma, un mon avatar préféré
Le clan Jinnouchi
11 novembre 2010
Bara Yogoi - sept autres lieux
J'avais dit ici tout le bien que je pensais du précédent recueil de Jacques Mucchielli et Léo Henry, un voyage dans l'imaginaire de Yirminadingrad, cité déglinguée d'Europe de l'est, un lieu littéraire où je me suis senti vite chez moi. Bara Yogoï prolonge ce recueil de sept nouveaux textes "gravitant" autour de Yirminadingrad. On croit reconnaître des lieux, des noms, des situations évoquées dans le premier recueil.
L'écriture est plus aboutie et plus maîtrisée que dans le premier recueil et les amateurs de voyages bizarres seront satisfaits. J'ai été moi-même ravi du voyage dans ces sept autres lieux. J'avertis toutefois mes chers lecteurs : Bara Yogoï n'est pas un livre facile. A la manière des textes de Daylon ou des recueils de nouvelles de David Calvo, il faut aborder cette collection avec un regard curieux et en sachant qu'on n'aura là que quelques pièces d'un puzzle, sans doute incomplet, en partie brûlé et auquel un gosse mendiant aurait rajouté des morceaux découpés dans du carton. Outre l'intérêt de ces textes par eux-mêmes (chronique de banlieue, plongée ethnographique chez des réfugiés bien abimés d'un abri souterrain, récit d'emprisonnement...), une partie du jeu consiste à comprendre comment ils se relient aux autres textes du recueil et surtout au premier livre. Ne vous inquiétez pas : vous trouverez des réponses et vous vous perdrez.
Bon voyage.
Edit : ce livre peut être commandé directement auprès de son éditeur, Dystopia. http://www.dystopia.fr/
PS : tout comme Yama Loka, Bara Yogoï est un beau livre. Et je pense que Stéphane Perger n'y est pas pour rien.
L'écriture est plus aboutie et plus maîtrisée que dans le premier recueil et les amateurs de voyages bizarres seront satisfaits. J'ai été moi-même ravi du voyage dans ces sept autres lieux. J'avertis toutefois mes chers lecteurs : Bara Yogoï n'est pas un livre facile. A la manière des textes de Daylon ou des recueils de nouvelles de David Calvo, il faut aborder cette collection avec un regard curieux et en sachant qu'on n'aura là que quelques pièces d'un puzzle, sans doute incomplet, en partie brûlé et auquel un gosse mendiant aurait rajouté des morceaux découpés dans du carton. Outre l'intérêt de ces textes par eux-mêmes (chronique de banlieue, plongée ethnographique chez des réfugiés bien abimés d'un abri souterrain, récit d'emprisonnement...), une partie du jeu consiste à comprendre comment ils se relient aux autres textes du recueil et surtout au premier livre. Ne vous inquiétez pas : vous trouverez des réponses et vous vous perdrez.
Bon voyage.
Edit : ce livre peut être commandé directement auprès de son éditeur, Dystopia. http://www.dystopia.fr/
PS : tout comme Yama Loka, Bara Yogoï est un beau livre. Et je pense que Stéphane Perger n'y est pas pour rien.
08 novembre 2010
Exposition Gérôme au Musée d'Orsay
Je ne suis a priori pas trop fan de ce genre de peinture: Gérôme, c'est le réalisateur hollywoodien racoleur de son temps. De beaux décors, des sujets historiques, des filles nues, des gladiateurs, des sujets vendeurs... Une image impeccable, une réalisation léchée, une mise en scène magistrale. L'envie véritable de plaire au public et de vendre.
Là où l'exposition de son oeuvre au musée d'Orsay est excellente, c'est qu'elle permet de plonger dans la carrière de ce notable doué, de comprendre la mécanique de l'oeuvre, ce jeu entre érudition, érotisme soft, goût pour le drame et envie de faire plaisir au public sans trop de scrupules.
Quelques aperçus :
Les peintures sont magnifiquement exposées, les couleurs éclatent, le discours est clair. Je reste fasciné par l'orientalisme, cette projection en Europe d'un Orient fantasmé, par la manière dont la photo vient nourrir la peinture et par la filiation assumée de certains peplums avec la peinture de Gérôme. Tout ça était excellent.
Là où l'exposition de son oeuvre au musée d'Orsay est excellente, c'est qu'elle permet de plonger dans la carrière de ce notable doué, de comprendre la mécanique de l'oeuvre, ce jeu entre érudition, érotisme soft, goût pour le drame et envie de faire plaisir au public sans trop de scrupules.
Quelques aperçus :
L'affiche de l'expo, une scène classique de péplum... Avant les peplums
Le duel après le bal masqué... Ca donne envie d'inventer l'histoire qui va avec
Une crucifixion intéressante, par un homme qui avait peu de religion
Et c'est parti pour les fantasmes... le marché aux esclaves...
...et les bains.
05 novembre 2010
Andromaque à la Comédie Française
Puisque Cecci et moi avons passé un peu de temps à Paris, nous en avons profité pour faire une petite cure culturelle. Retour à la Comédie Française, donc. La dernière fois, ça devait être pour Figaro divorce, il y a deux ans...
Cette fois-ci, Andromaque, de Racine. La guerre de Troie a passé, Pyrrhus, fils d'Achille, détient chez lui la femme d'Hector dont il a fini par s'éprendre (sentiments qui ne lui sont pas rendus). Oreste arrive, envoyé par les Grecs, qui voudrait qu'on lui livre le fils d'Andromaque... Pas facile, vu que Pyrrhus est amoureux. Mais Hermione, délaissée par Pyrrhus et objet de l'adoration d'Oreste va mettre son grain de sel dans l'affaire...
Ce qu'il y a d'admirable, chez Racine, outre sa langue de grand style, c'est la mécanique du dilemme. A chaque acte son problème, et à peine un problème évacué (que faire d'Andromaque et surtout de son fils ? Faut-il écouter/épouser Hermione ?...), un nouveau problème se pose, comme un mécanisme bizarre qui ne pourrait aller que jusqu'à la catastrophe.
Je dois bien reconnaître, le texte est bon et la pièce, excellente.
Quant à la mise en scène...
Muriel Mayette, la metteuse en scène (et directrice du théâtre, ceci explique sans doute cela) a dû se souvenir que la Comédie Française devait garder le patrimoine. Alors elle a monté une Andromaque belle comme de l'antique : avec des colonnes, des acteurs habillés de vagues trucs antiques (ressemblant un peu à des serpillères), un peu zombies, un peu statues. C'est lent, compassé, à mourir d'ennui. Les acteurs se défendaient comme ils pouvaient (j'aimais beaucoup Hermione et Oreste, notamment - pas trop Andromaque, trop matrone) mais ils paraissaient englués dans la poussière.
A tout le moins, on a entendu le texte...
Cette fois-ci, Andromaque, de Racine. La guerre de Troie a passé, Pyrrhus, fils d'Achille, détient chez lui la femme d'Hector dont il a fini par s'éprendre (sentiments qui ne lui sont pas rendus). Oreste arrive, envoyé par les Grecs, qui voudrait qu'on lui livre le fils d'Andromaque... Pas facile, vu que Pyrrhus est amoureux. Mais Hermione, délaissée par Pyrrhus et objet de l'adoration d'Oreste va mettre son grain de sel dans l'affaire...
Ce qu'il y a d'admirable, chez Racine, outre sa langue de grand style, c'est la mécanique du dilemme. A chaque acte son problème, et à peine un problème évacué (que faire d'Andromaque et surtout de son fils ? Faut-il écouter/épouser Hermione ?...), un nouveau problème se pose, comme un mécanisme bizarre qui ne pourrait aller que jusqu'à la catastrophe.
Je dois bien reconnaître, le texte est bon et la pièce, excellente.
Muriel Mayette, la metteuse en scène (et directrice du théâtre, ceci explique sans doute cela) a dû se souvenir que la Comédie Française devait garder le patrimoine. Alors elle a monté une Andromaque belle comme de l'antique : avec des colonnes, des acteurs habillés de vagues trucs antiques (ressemblant un peu à des serpillères), un peu zombies, un peu statues. C'est lent, compassé, à mourir d'ennui. Les acteurs se défendaient comme ils pouvaient (j'aimais beaucoup Hermione et Oreste, notamment - pas trop Andromaque, trop matrone) mais ils paraissaient englués dans la poussière.
A tout le moins, on a entendu le texte...
04 novembre 2010
Pierre Etaix à Vidy
Il existe de jeunes artistes talentueux mais aussi de vieux artistes talentueux. Pierre Etaix en fait partie.
Je n'avais jamais entendu parler de monsieur Pierre Etaix avant de lire ce post sur le blog du Docteur Orlof. Etaix est un comique multi-casquettes : auteur dramatique, gagman (j'adore ce nom de métier), clown, magicien, cinéaste... Le spectacle Miousik Papillon tient quant à lui du music-hall : collage de numéros liés par un fil surréaliste (mais mettez vous à ma place ! – D'accord !) avec un pianiste virtuose pas si virtuose, mime, chansons de jazz, clowns, vieux magicien chinois avec les dents en avant, excès de vitesse en jouant Chopin et angoisses surréalistes de Triboulet, diseur, qui fait des rêves angoissés en apercevant son double dans la salle.
Ce spectacle fait partie de ceux qui émerveillent parce qu'ils sont habités la grâce. La légèreté du jeu des artistes fait oublier les milliers d'heures de travail qu'on imagine nécessaires pour mettre en place une telle fluidité, une telle élégance. Tout coule, tombe en place, les gags, les situations, les personnages. C'est simple et merveilleux. Merci, M. Etaix.
(spectacle malheureusement complet à Vidy mais s'il tourne, ne le manquez pas !)
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