21 décembre 2010

Le garçon doré - André-François Ruaud

Il y a des livres que je choisis de lire parce que je sais qu'il vont me permettre de passer du temps en compagnie d'une personne que j'apprécie. J'ai acheté le garçon doré parce que je sentais, à raison, qu'il faisait partie de ce type de livres intimes qu'on écrit autant pour soi que pour les autres.
Ce recueil de courtes nouvelles, allant de Londres vers 1920 au San Francisco de 1996, en passant par la Touraine ou Villeurbanne dans les années 80, met en scène des villes, des personnages fantastiques et des visions. André-François Ruaud (dont voici l'excellent blog - dix ans de blogging !) a un goût pour les villes, leurs détails, leurs ciels, leurs atmosphères. Et aussi pour les beaux visiteurs surnaturels, dieux égarés, anges en rollers, créatures célestes... Qu'ils soient l'objet de la quête ou bien de "simples" passeurs, permettant d'atteindre un Autre Côté fantasmé, entrevu, douloureusement désiré.
Les textes paraissent avoir été écrits sur une période aussi longue que les dates indiquées pour les récits le laissent entendre (personne ne doute qu'AFR soit né à l'époque victorienne, ou du moins qu'il y ait passé une partie de son adolescence), j'en ai trouvé certains plus aboutis que d'autres, ceux qui relèvent franchement du conte et de la vision étaient notamment plus forts que ceux mettant en scène une vie plus quotidienne. L'ensemble dégage une impression douce, mélancolique et touchante.
Et la couverture de l'ensemble est très belle.


Editions de la Clef d'Argent.
Commande possible ici.

16 décembre 2010

Stalker / Pique-nique au bord du chemin - Arkadi et Boris Strougatski

lasth stalkerPour une fois, j'ai envie de recopier le quatrième de couverture, qui ne gâche rien du livre et en révèle bien le propos.

Des Visiteurs sont venus sur Terre. Sortis d'on ne sait où, ils sont repartis sans crier gare. Dans la Zone qu'ils ont occupée pendant des années sans jamais correspondre avec les hommes, ils ont laissé traîner des objets de toutes sortes. Objets-pièges. Objets-bombes. Objets-miracles. Objets que les stalkers viennent piller au risque de leur vie, comme une bande de fourmis coloniserait sans rien y comprendre les détritus abandonnés par des pique-niqueurs au bord d'un chemin. 
Adapté au cinéma en 1979 par Andreï Tarkovski, Stalker ou Pique-nique au bord du chemin (ici publié [2010] pour la première fois en France en version intégrale) est le chef-d'œuvre des frères Strougatski. Un roman qui a eu un tel impact sur le XXe siècle que c'est sous le surnom de stalkers qu'on connaît désormais les hommes et femmes qui ont étouffé le cœur du réacteur en fusion de Tchernobyl, entre le 26 avril et le 16 mai 1986.

J'avais quelques a-priori idiots sur ce roman. Que, par exemple, comme c'était un roman russe, il serait forcément compliqué et plein de références qui m'échapperaient. Et que parce qu'il datait de l'époque soviétique, l'histoire se déroulerait dans une URSS bizarre, toute grise et brune. Tout ça est bien sûr faux. Rien n'est compliqué dans Stalker et l'histoire ne se prend pas place pas en URSS. 
Stalker est un authentique roman de science-fiction, en cela qu'il part du postulat indiqué dans le quatrième de couverture (la Visite) et en tire les conséquences sociales et scientifiques. Et Stalker est un très bon roman tout court, par le traitement très fin et poignant des personnages, par son immersion dans leur vision, parce qu'on voit la Zone (et les conséquences de la Visite) uniquement à hauteur d'homme, à hauteur d'un homme, un stalker, à la fois chasseur de trésors, contrebandier et démineur, qui s'enfonce pour toutes sortes de mauvaises raisons dans la Zone afin d'en extraire des trésors étranges dont il ne saurait que faire sinon les revendre pour un paquet de billets. S'il reste quelque chose de russe dans le livre, c'est sans doute la vision de l'Homme sous-jacente. Oserais-je prononcer le mot "métaphysique" ?
La Zone est une idée très puissante, que j'ai vue reprise plusieurs fois, par exemple chez Bilal (Immortel) ou chez Philippe Curval (Congo Pantin, que j'avais déjà chroniqué). Lisez Stalker. Découvrez, à vos dépens, les ravages de la "gelée de sorcière" ou de la "calvitie de moustique". Et quand vous serez perdus, espérez un miracle.


Couverture du livre by Lasth (making of, ici)
Publié aux éditions Denoël.

12 décembre 2010

Seuls - Vehlmann et Gazzotti

Grâce au Grand j'ai pu lire, d'un coup, les 5 premiers tomes de la série Seuls, de Gazzotti et Vehlmann. D'un coup, c'est le cas : il y a suffisamment de suspense et de terribles cliffhangers pour ne pas lâcher les albums et passer tout de suite d'un tome à l'autre.




Voici le pitch : une ville moyenne de France. Un matin, cinq gosses (qui ne se connaissaient pas) se réveillent. Tout le monde a disparu, les adultes, les enfants, les vieux... La ville est vide. Ils sont terrorisés, se croisent, se réunissent, forment une petite bande. Voici donc Dodji, orphelin et dur à cuire, Leila, énergique et bricoleuse, Yvan le fils de riche, Camille la petite blonde à lunettes et Terry le sale gosse.
Et bien sûr, ils cherchent d'autres survivants...



Le scénario est bien mené, les personnages sont attachants, le dessin de Gazzotti (qui a aussi fait l'excellent Soda) marche très bien, c'est une très bonne série, très recommandable. Elle vise les enfants mais n'hésite pas à aborder des scènes assez dures - les animaux font franchement peur, les personnages souffrent et saignent, les gosses de cette histoire sont modernes, ils ont entendu parler du sexe, du 3ème reich et ils se posent d'amusantes questions. Yvan a même une culture SF ce qui lui permet de faire une mise en abyme et de faire le tour, dans le premier tome, des principales hypothèses liées à la disparition des autres...



Il s'agit donc d'une BD hautement recommandable, merci le Grand.
Je voudrais ajouter une petite considération scénaristique : cette série fonctionne sur le mode suivant : chaque tome contient une histoire indépendante qui participe à l'arc narratif global, ce dernier étant basé sur le mystère de la disparition. Cette construction est solide et fonctionne bien. J'ai toutefois trouvé les questions posées par les différents épisodes, pris individuellement, et les solutions proposées, plus intéressantes que le traitement du Grand Mystère, qui ne peut être que décevant. En ça, le cinquième tome, qui apporte quelques réponses, m'a paru moins bon que les autres.
Je vois là une évolution de mon goût personnel : je préfère les mystères aux explications. L'émotion artistique que me procure le mystère est bien plus grande. J'aurais parfaitement pu imaginer que les personnages de Seuls trouvent non pas une, mais plusieurs explications cohérentes au phénomène dont ils sont témoins, aucune n'étant pleinement satisfaisante, et qu'ils continuent leurs aventures dans ce monde sans jamais rien comprendre. Un peu comme nous autres hommes face aux grands mystères de la science ou de la foi.
Ce goût pour l'incompris risque d'influencer, en mal peut-être, mes prochaines productions personnelles... On verra.