J'avais il y a longtemps dans ma bibliothèque le livre Démons & Merveilles paru aux éditions 10/18 avec son couverture tirée de Bosch. Il m'a suivi dans de nombreux déménagements et réorganisations de bibliothèques, j'ai essayé de le lire cinq ou six fois, en vain, je crois n'avoir jamais dépassé une trentaine de pages. Mais, sans doute poussé par la pratique du jeu de rôle, je n'avais jamais renoncé à explorer ces Contrées du rêve de Lovecraft, dont le nom m'enchantait. J'ai même acheté pour les approcher la réédition d'une ancienne boîte pour ajouter ces pays oniriques à l'appel de Cthulhu. La lecture des textes contenus m'avait déçu, en aucune chose ils ne m'avaient révélé les secrets de ces pays.
Mais voilà que naît un projet récent : faire jouer les Masques de Nyarlathotep. La campagne mentionne quelques fois, en passant, les contrées du rêve, et surtout le nom de Randolph Carter. Je me suis souvenu alors que le texte de la quête onirique de Kadath, censé souffrir d'une traduction épouvantable, a été réédité, retraduit, chez Mnémos récemment. D'où une nouvelle tentative, cette fois couronnée de succès. J'ai trouvé à mon tour Kadath l'inconnue…
Le voyage en valait-il la chandelle ? Oui, certainement… Mais détaillons un peu.
Le recueil Les Contrées du Rêve contient une dizaine de contes, assez courts, et un cycle de quatre textes constituant la quête de Kadath de Randolph Carter et reprenant en écho certains des motifs des contes. Les contes, à vrai dire, ont un imaginaire assez vaporeux, utilisant des noms étranges, un imaginaire rappelant un peu les préraphaélites ou bien certains textes de Marcel Schwob : spirales d'onyx, douceurs suaves, vallons ténébreux, peuplades impossibles. Ils ont un charme vieillot, quelque chose de charmant et usé. Leur cohérence et l'univers qu'ils dessinent prennent tout leur sens dans la suite des récits, le cycle de Randolph Carter. Composé d'une grosse novella et de textes annexes, la quête de Kadath est une marche échevelée, allant du ridicule au grandiose, du sublime à l'horrible, du maître rêveur Randolph Carter dans ce qui n'est sans doute que son univers intérieur, le pays imaginaire d'un enfant. C'est un texte mal fichu, jamais édité, ménageant d'étranges surprises et glissements, où Lovecraft a semé nombre d'idées et d'images très personnelles. La sympathie de Carter pour les goules, les étranges trafiquants de rubis, les maigres bêtes de la nuit… On passe d'un lieu à l'autre par des chutes, des escaliers, de longues traversées, des envolées au-dessus de déserts glacés mais contre le froid desquels Carter semble rarement se prémunir. On y marche suivant la logique des rêves.
Ce recueil, inégal, bien composé mais souvent bancal, est loin stylistiquement et narrativement des grands textes de Lovecraft. Mais il donne a un aperçu sur l'univers intérieur et personnel très émouvant du gentleman de Providence.
PS: tout comme pour Nébal, le texte français m'a souvent fait tiquer. Rien de bien gênant toutefois. La présentation et l'ordre des textes, spécifiques au recueil français, est toutefois très éclairante et juste.