23 août 2013

Les contrées du rêve - H.P. Lovecraft

J'avais il y a longtemps dans ma bibliothèque le livre Démons & Merveilles paru aux éditions 10/18 avec son couverture tirée de Bosch. Il m'a suivi dans de nombreux déménagements et réorganisations de bibliothèques, j'ai essayé de le lire cinq ou six fois, en vain, je crois n'avoir jamais dépassé une trentaine de pages. Mais, sans doute poussé par la pratique du jeu de rôle, je n'avais jamais renoncé à explorer ces Contrées du rêve de Lovecraft, dont le nom m'enchantait. J'ai même acheté pour les approcher la réédition d'une ancienne boîte pour ajouter ces pays oniriques à l'appel de Cthulhu. La lecture des textes contenus m'avait déçu, en aucune chose ils ne m'avaient révélé les secrets de ces pays.
Mais voilà que naît un projet récent : faire jouer les Masques de Nyarlathotep. La campagne mentionne quelques fois, en passant, les contrées du rêve, et surtout le nom de Randolph Carter. Je me suis souvenu alors que le texte de la quête onirique de Kadath, censé souffrir d'une traduction épouvantable, a été réédité, retraduit, chez Mnémos récemment. D'où une nouvelle tentative, cette fois couronnée de succès. J'ai trouvé à mon tour Kadath l'inconnue…
Le voyage en valait-il la chandelle ? Oui, certainement… Mais détaillons un peu.


Le recueil Les Contrées du Rêve contient une dizaine de contes, assez courts, et un cycle de quatre textes constituant la quête de Kadath de Randolph Carter et reprenant en écho certains des motifs des contes. Les contes, à vrai dire, ont un imaginaire assez vaporeux, utilisant des noms étranges, un imaginaire rappelant un peu les préraphaélites ou bien certains textes de Marcel Schwob : spirales d'onyx, douceurs suaves, vallons ténébreux, peuplades impossibles. Ils ont un charme vieillot, quelque chose de charmant et usé. Leur cohérence et l'univers qu'ils dessinent prennent tout leur sens dans la suite des récits, le cycle de Randolph Carter. Composé d'une grosse novella et de textes annexes, la quête de Kadath est une marche échevelée, allant du ridicule au grandiose, du sublime à l'horrible, du maître rêveur Randolph Carter dans ce qui n'est sans doute que son univers intérieur, le pays imaginaire d'un enfant. C'est un texte mal fichu, jamais édité, ménageant d'étranges surprises et glissements, où Lovecraft a semé nombre d'idées et d'images très personnelles. La sympathie de Carter pour les goules, les étranges trafiquants de rubis, les maigres bêtes de la nuit… On passe d'un lieu à l'autre par des chutes, des escaliers, de longues traversées, des envolées au-dessus de déserts glacés mais contre le froid desquels Carter semble rarement se prémunir. On y marche suivant la logique des rêves.


Ce recueil, inégal, bien composé mais souvent bancal, est loin stylistiquement et narrativement des grands textes de Lovecraft. Mais il donne a un aperçu sur l'univers intérieur et personnel très émouvant du gentleman de Providence.



PS: tout comme pour Nébal, le texte français m'a souvent fait tiquer. Rien de bien gênant toutefois. La présentation et l'ordre des textes, spécifiques au recueil français, est toutefois très éclairante et juste.

16 août 2013

L'homme qui savait la langue des serpents - Andrus Kivirähk

Leemet vit dans la forêt, quand tous les autres l'ont quittée pour s'installer dans les villages, vivre à l'heure moderne, cultiver les céréales, se faire houspiller par les chevaliers, prier ce Jesus dont tout le monde parle. Leemet est le dernier à vivre selon l'ancienne coutume, vêtu de peaux, dans une cabane, le dernier à parler la langue des serpents, ces mystérieux sifflements qui commandent aux animaux.
Nous sommes en Estonie, à la fin du moyen-âge, et le monde change. On croit que ce qu'on connaît durera toujours, il n'en est rien, des étrangers arrivent au vieux pays, importent leurs coutumes et les anciens modes de vie de la forêt son peu à peu oubliés. Ce livre est la chronique d'un basculement, d'un passé magique vers un présent plus familier au lecteur. Le monde de Leemet, sa famille, ses voisins, ses copains (humains et serpents), disparaît morceau par morceaux comme un arbre qui s'écroule.
Ca pourrait être affreusement triste, ça l'est d'une certaine façon, mais c'est aussi très drôle, peuplé de gens bizarres, fous ou simplement ridicules, d'étranges créatures plus ou moins fantastiques, de souvenirs d'un âge d'or étrange où la Salamandre volait dans les airs au-dessus des navires des envahisseurs. L'auteur crée un univers singulier, poétique, amusant, parfois sympathique, désespérant le reste du temps, planté dans le passé imaginaire d'un tout petit coin du monde. Un très beau récit, à la fois follement drôle et très amer et un très bon livre, sans aucune nostalgie du beau temps de la magie et des fées - l'auteur affirme que chaque époque et chaque monde produit ses propres imbéciles.
Enfin, la postface du traducteur éclairera utilement le lecteur sur certains aspects culturels typiquement estoniens qui auraient pu lui échapper.

Une petite note enfin pour ceux qui ont lu le livre (les autres, fermez les yeux)
Le statut du récit empêche de croire complètement au monde créé par l'auteur. L'ironie est si présente, si acide, qu'elle tire le récit vers une fable noire, une lutte vaine contre la bêtise, à laquelle il paraît difficile d'échapper jamais… Comment l'avez-vous ressenti ?

Aux éditions Attila (dont je souligne l'attention portée dans leurs livres : à l'illustrateur et au graphiste - c'est bien, ce sont des gens utiles)

15 août 2013

Contrée Indienne - Dorothy Johnson

Il peut être profitable d'être un suiveur. Ainsi je le suis de l'excellent Nebal qui a commencé récemment à lire des histoires de cow-boys et d'Indiens, et qui a conseillé à ses suiveurs ce recueil de nouvelles de Dorothy Johnson. Je suis d'accord avec tout ce qu'il dit dans sa chronique, excepté sur le premier texte. Comme j'avais lu ce que Nebal en disait, j'ai été prévenu et n'ai pas été désarçonné, merci camarade.
Une dizaine d'histoires de cow-boys et d'Indiens donc. Grandes prairies, éleveurs, femmes et hommes rudes, coutumes viriles, rituels magiques, tirs à la carabine. Dans une langue sèche et efficace, dessinant de très beaux personnages. Je pensais picorer une nouvelle ici et là pour faire passer le temps, j'ai tout lu d'une traite. Dorothy Johnson sait raconter des histoires, plantant une situation en quelques mots et la menant en ligne droite à sa conclusion.
Dans mon récit préféré, un garçon de onze ans se retrouve le seul homme de la maison (isolée, comme il se doit) en compagnie d'une jeune femme fraîchement arrivée dans l'Ouest, que l'on croit naïve et qui pense qu'il faut offrir un repas à tous les étrangers. Arrive un hors-la-loi, seul et bien armé… Avez-vous faim, monsieur ? Venez-donc dans notre maison… (le récit s'appelle Prairie kid, et le suspense en est terrible).
J'ai adoré, c'est excellent.