Mon deuxième Ellroy, après le Dahlia noir, pioché comme ce dernier dans la bibliothèque de C*. American Tabloid est un projet fou : en suivant trois figures fortes, le tueur et maître-chanteur Pete Bondurant, l'élégant Kemper Boyd et l'agent du FBI Ward J. Littell, Ellroy réécrit la mythologie américaine de la fin des années 50 et de l'ascension des Kennedy : lutte contre le crime organisé, toute-puissance de J.E. Hoover, folie de Howard Hughes, relations chaotiques entre Ku-Klux-Klan, mafia, CIA...
Ce roman est rempli de malversations, de coups tordus, d'intrigues à tiroir, de complots réalistes (c'est à dire trop compliqués, qui foirent souvent sur une erreur bête), d'erreurs d'appréciations mortelles, de crimes commis dans des arrières cours, de gentils qui se comportent comme des affreux (mais pas vraiment d'affreux qui se comportent comme des gentils). Dans le décor : des maisons de gangsters, les hôtels de New-York où le sénateur K emmène ses conquêtes, les marais de Floride où l'on construit des lotissements arnaques pour retraités, le local des Tiger Kabs où s'affrontent pro et anti-castristes. Et en toile de fond du récit, les Kennedy, leur charme, leur argent, de Joe l'affairiste de père, à Jack "belle coupe", l'habile opportuniste qu'on ne peut s'empêcher d'aimer, et Bobby, le plus pur de tous...
Je ne suis pas d'habitude client de la noirceur pour la noirceur, pourtant j'ai dévoré ce livre, tant les personnages sont justes, bien campés, tant il éclaire aussi une époque que je connaissais mal. Dans ce récit, les pires ordures ont parfois leurs moments de grâce (je pense à la relation de Pete et de Barb) et j'ai gardé jusqu'au bout une vraie sympathie pour Boyd, le roi du cloisonnement, et Littell, égaré malgré lui du vraiment mauvais côté de la barrière.
Un regret, toutefois, une quasi absence de personnages féminins forts. Les femmes, ici, sont amantes, victimes, témoins, jamais plus.
Un livre d'une ambition littéraire folle, à l'exécution brillante.