Je ne vais pas me livrer ici à un commentaire détaillé de cette série, qui est peut-être une des plus belles choses produites par la BD européenne ces dernières années. Je l'ai découverte à sa sortie, et j'ai ri comme un fou en lisant les deux premiers tomes, avec leur humour mêlant culture classique française, comique absurde et burlesque.
Pour ceux qui (chance pour eux !) ne connaissent pas encore : De cape et de crocs raconte les aventures de deux gentilshommes, Don Lope de Villalobos y Sangrin (espagnol !) et Armand Raynal de Maupertuis (français !), dans un XVIIème siècle de fantaisie. L'aventure commence à Venise, implique une pierre de lune, une carte aux trésors, un marchand cupide, un capitaine turc, de belles dames à secourir (quand elles ne se secourent pas toutes seules), un capitaine de l'ordre de Malte très méchant, des pirates, des valets, des mimes... et un lapin.
Ah, oui, j'oubliais : don Lope est un loup et Armand est un renard (et Eusèbe est un lapin). Car le monde de de cape et de crocs est voisin de celui du roman de Renart, où les animaux parlants se mêlent aux humains, sans que ça paraisse choquer quiconque.
Après les deux ou trois premiers volumes, j'avais lâché l'affaire, car les épisodes suivants étaient moins frénétiquement rigolos et plus concentrés sur une aventure que je trouvais un peu trop folle - j'avais l'impression qu'on glissait dans le n'importe quoi.
Le temps passe... Puis voilà que notre fille Marguerite, sept ans alors, tombe sur le premier volume, puis le second, puis nous réclame toute la suite, ce qui m'a donné l'occasion de tout relire puis de tout lire et de me rendre compte que j'avais eu tort de laisser tomber, car en vérité je n'avais pas vraiment compris l'ambition de l’œuvre.
De cape et de crocs, série close en dix volumes, suivis d'une préquelle sur laquelle je reviendrai un jour, n'est pas seulement une série humoristique dans la suite et l'esprit de l'oeuvre de René Goscinny. C'est aussi un merveilleux récit d'aventure, plein de maestria, de bagarres, de rebondissements et de poésie. Tous les personnages, même les plus bouffons, se révèlent plus profonds que ce qu'on croit et on s'attache aux acteurs de cette incroyable pièce de théâtre se déroulant de la Terre à la Lune, avec ses duels, ses trahisons, ses déguisements, ses masques. On est sort en ayant envie de sautiller, de batailler, de danser et de parler en alexandrins.
Marguerite a relu chaque tome au moins dix fois, découvrant des plaisanteries ou des allusions ici ou là. Elle en savoure et en cite ses phrases préférées. Et, arrivée à la fin du tome 10, elle pleure à chaque fois.
Mais qu'allaient-ils faire dans cette galère ?
Je ne peux vous laisser sans ma citation préférée, lors de l'arrivée sur la Lune (acte VI) :
DON LOPE
Fichons-y un drapeau ! Érigeons une croix !
ARMAND
Armand : Mais au nom de quel roi ? De quel dieu ? De quel droit ?
Voyez notre équipage au tour hétéroclite...
Nous ne saurions trancher ! Aussi, je vous invite...
A laisser en orbite étendards et tambours
Pour aborder cet astre à patte de velours.
A la solennité préférons l'élégance.
Aux grands bonds conquérants... de petits pas de danse.