17 juin 2018

Gaudy night, le coeur et la raison - Dorothy Sayers

L'horrible couverture de l'édition française courante.
Gaudy night (la nuit tapageuse, littéralement) est le roman le plus connu de Dorothy Sayers dans le monde anglo-saxon, et je me demande bien pourquoi. Il fait partie de la série des Lord Peter, tout en s'en distinguant: le héros n'en est pas Peter, mais Harriet Vane (comme dans le mort du 18 juin) et ce n'est pas totalement un roman policier classique. S'il y a un mystère, il n'y a pas de meurtre. Le mystère semble être plus le prétexte que le sujet du récit.
De quoi s'agit-il ? Harriet Vane, écrivaine de romans policiers, est invitée à participer à une réunion d'anciennes de Shrewsbury College, à Oxford, là où elle fit ses études, ce qui lui donne l'occasion de retrouver ses professeures et d'anciennes étudiantes, et la fait réfléchir sur la place des femmes et leur possibilité d'exercer des professions intellectuelles. Là, elle trouve dans la manche de sa toge une lettre anonyme, menaçante, à laquelle elle ne prête pas attention.
Quelques mois plus tard, une série d'incidents (toges volées et brûlées, nombreuses lettres menaçantes, voire inquiétantes) convainquent la directrice du Collège de faire appel à Miss Vane pour enquêter discrètement sur les évènements, qui vont aller de pire en pire, jusqu'à l'intervention heureuse, pour les personnages et pour le lecteur, de Lord Peter.
J'ai rarement lu un roman aussi mal fichu, en particulier sous la plume de Dorothy Sayers. Il est long, bavard, filandreux, très ennuyeux. Les personnages se perdent dans d'interminables conversations, notamment sur la vie des femmes et leurs choix et sur les insupportables atermoiements du coeur de Harriet. Nous avons toute une populations de professeures que le narration peine à caractériser (encore à la fin, après des heures passées en leur compagnie, j'étais incapable de reconnaître Miss Barton de Miss Shaw, de Miss Chilperic...) comme si toutes ces toges noires et toutes ces universitaires se mélangeaient, ce qui est dommage pour un roman dont un des éléments consiste à découvrir qui, parmi ces dignes femmes, est coupable des mauvaises plaisanteries. Globalement, le mystère ne marche pas, il n'est pas bien mené, ses enjeux ne sont pas bien posés. Et si certaines scènes de courses-poursuites nocturnes sont assez excitantes, l'ensemble ne tient pas.
L'édition française dont je dispose n'a sans doute pas aidé. Elle est certes savante et pleine de notes (détaillant les sources nombreuses des nombreuses citations qui tombent de la bouche des personnages, à la limite de la pédanterie), mais aussi de fautes de typo, avec un maquettage horrible et quasi illisible. Je ne suis pas sûr que la traduction ait été bien relue.
Gaudy night est un roman féministe, dans le sens où il interroge et défend la place des femmes dans la société. On ne déniera pas la justesse de la cause, mais j'ai l'impression qu'une partie des scènes ont été écrites dans le seul but de porter un discours, ce qui nuit à la qualité romanesque et augmente la dose de bavardages. Le livre défend les droits des femmes à ne pas se marier, à ne pas avoir d'enfants, à mener une profession défendant par dessus tout la recherche de la vérité. Mais, plus peut-être encore que dans d'autres Lord Peter, il défend aussi une vision très élitiste de la société, qui met Oxford, le culte de la connaissance et la bonne société par dessus tout. Les pauvres y sont soit de bons pauvres (m'sieur, madame, my lord) soit des gens réellement peu recommandables. Quand enfin il s'agit de résoudre le mystère, Harriet Vane s'en montre totalement incapable et c'est Lord Peter qui assure la révélation finale.


Oxford, sous un angle fantastique.
Ce roman n'est pas très bon, mais il est quand même intéressant. On a l'impression que Dorothy Sayers a décidé de quitter les routes bien balisées du roman policier classique pour s'aventurer dans un livre beaucoup plus personnel. Hommage à la cité d'Oxford qu'elle aime et à qui elle consacre des pages élégiaques (et c'est vrai qu'Oxford est fantastique !) et surtout tentative de laisser vivre ses personnages. J'ai l'impression qu'elle a laissé Vane et Wimsey en roue libre, mener leur vie réelle, hors du cadre contraint d'un récit borné par des exigences scénaristiques. Harriet mène ses affaires, tente d'écrire un essai sur Sheridan Lefanu, essaie de recombiner la psychologie de Wilfrid, personnage de son prochain roman, rêve devant la vitrine d'une boutique d'antiquaire. Quand Lord Peter débarque, lui-même soumis à des contraintes de voyage diplomatiques (on dirait ces moments où, pour le rendre plus "réaliste", Superman est envoyé soutenir les intérêts des Etats-Unis durant les crises des années 80), le lord apporte au lecteur un peu écrasé par tant de quotidienneté des bouffées de joie et de fiction et ne semble se détendre que lors d'une belle promenade en punt sur les rivières de la ville.
Tout cela deviendra la source d'une nouvelle enquête, celle de l'auteur de ces lignes: pourquoi ce roman bancal, ennuyeux et très curieux est-il resté le plus connu de son autrice dans son pays d'origine ? 


En punt sous Magdalen bridge.
J'imagine que des études ont déjà été écrites sur les livres inspirés par Oxford. Excusez du peu: Alice au pays des merveilles, Harry Potter, les royaumes du Nord, l'oeuvre de Tolkien, de C.S. Lewis, de Dorothy Sayers.... Mais est-il possible de faire comprendre Oxford à qui ne la connaît pas ?

Un très bon article de Jo Walton sur ce roman peut être trouvé ici. (en anglais, avec spoilers)
https://www.tor.com/2010/03/26/the-mind-the-heart-sex-class-feminism-true-love-intrigue-not-your-everyday-ho-hum-detective-story-dorothy-sayerss-lemggaudy-nightlemg/
Je ne suis pas plus convaincu, mais je comprends aussi le point de vue de Walton.


15 juin 2018

Lire Hildegarde #2 – Trithème

L'abbesse de Bingen, qui donne à ce livre son titre, son sujet et son centre, n'est apparue dans la première partie, Cologne, qu'au détour d'un paragraphe, le temps d'envoyer une lettre sévère à une autre sœur visionnaire. Elle est un peu plus présente dans la deuxième partie, Trithème, puisque nous la voyons intervenir dans les rêves de Jean de Heidenberg, dit Trithemus, savant abbé médiéval adepte de magie.


Le neige tombe sur Saint Martin de Sponheim, à différents moments de la vie du très érudit petit homme. Trithème est un parcours en étoile de l'existence de ce savant, de la manière dont une vie se construit dans, autour, pour les livres, pour les mots, pour la joie pure du savoir, du mystère, des secrets. Léo Henry aime écrire sur l'écriture, écrire sur les livres et il trouve avec Trithème un sujet merveilleux, un homme pour qui les livres, les récits, les mots sont tout. Ce récit étrange et riche est tissé à travers le temps, les rêves, le savoir. Il nous emmène dans l'esprit de la fin du XVème siècle, à la naissance de l'imprimerie, alors que son encore recopiés les derniers manuscrits transportés à dos de mule de monastère en monastère. Jean Trithème rédige des livres de magie, de cryptographie, de secrets, production d'esprits subtils à l'attention d'autres esprits subtils, alors que la maladie lui troue le ventre et que les guerres, comme des orages, ravagent la Terre.
Il découvre le travaille de l'abbesse de Bingen, sa langue inventée, son ignota lingua. Un mystère à l'intérieur d'un mystère. Une pure merveille.


Ce billet fait partie d'une série consacrée au roman Hildegarde, de Léo Henry.

12 juin 2018

Les carnets de Cerise T1 à T5 - Aurélie Neyret et Joris Chamblain

Cerise est une fille de dix ans vivant dans une petite ville en compagnie de sa maman toute seule. Avec ses deux meilleures amies, Line et Erica, elle enquête sur des gens aperçus dans la rue et cherche à percer leurs mystères. Chacun des cinq albums relate une enquête différente, sous la forme d'une bande dessinée aux dessins chaleureux et doux mais aussi à travers les pages avec textes et dessins des propres carnets de Cerise.
La grande réussite de cette série repose autant sur le dessin, semi-réaliste et faussement simple que sur l'écriture, très juste dans sa description de la vie, de la psychologie et des pensées d'une enfant de dix à douze ans. Après des premières histoires assez gentilles, les récits prennent une tournure plus dramatique, avec des souvenirs enfuis, des remords des adultes, des non-dits, qui débordent sur la vie des enfants. Même si je n'ai jamais été une jeune fille de dix ans, la vision enfantine de la vie m'a paru très juste, avec ses joies, ses passions, ses douleurs et ses contrariétés. 
Le monde de Cerise n'est pas celui, très cru, des carnets d'Esther par exemple. On est dans un univers plus onirique, sans drame social, une enfance douce entre famille, amies et voisins, avec des mystères et des aventures.
Les livres sont très beaux, très bien édités, avec une identité graphique forte. Les histoires sont toujours intéressantes et souvent émouvantes, reliées les unes aux autres pour former un grand tout. Rosa et Marguerite ont beaucoup aimé, et moi aussi.

11 juin 2018

Lire Hildegarde #1



Hildegarde, de Léo Henry, est un livre composé de livres. Des histoires qui tissent des histoires qui font vivre un monde à la fois proche et lointain. Le moyen-âge au bord du Rhin, le temps du Saint-Empire romain germanique, des luttes de pouvoir entre le pape et l'Empereur. 

Cologne (premier livre) : on y fait la connaissance de sœurs peu éduquées qui triment dans un paysage ingrat. On a avec elle mal aux mains, aux pieds, au dos. Les sœurs triment et rêvent et voient parfois : onze mille vierges sur onze nefs merveilleuses, portées de la Bretagne, celle d'Hadrien, jusqu'au Rhin, baptisées toutes ensemble. S'animent les panneaux du retable de Sainte Ursule et ces petites figures dignes prennent vie, tremblent et se réjouissent et meurent massacrées par les Huns. Mais pour que le retable soit peint il faut que l'histoire naisse et soit composée et assemblée et soutenue par des trouvailles (des os, des pierres tombales) dans la ville de Cologne. Nous assistons à cette naissance et nous rencontrons une première visionnaire, Elisabeth, dévorée par ses visions, qui semble extraire de son propre corps, de sa douleur, la connaissance sur les mythes et l'au-delà. 
Premier livre: la terre lourde sous nos pieds, la fatigue des jours, les histoires qui nous baignent et qui parfois éclosent.





07 juin 2018

Totto Chan – Tetsuko Kuroyanagi

Ce petit livre remarquable contient les souvenirs d'enfance de Tetsuko Kuroyanagi, animatrice japonaise de talk shows, qui nous raconte son école quelque part dans les années 1940. La petite Tetsuko, dite Totto-Chan, était apparemment une enfant sympathique, très vive, mais pas très adaptée à la rigueur de l'école japonaise. Ses parents lui ont alors trouvé une école atypique, organisée par M. Sôsaku Kobayashi, installée dans d'anciens wagons de chemin de fer rassemblés en cercle.
Dans les courts chapitres de ce livre, la femme redevenue petite fille nous raconte ses souvenirs et ses émerveillements d'écolière épanouie par la pédagogie audacieuse (même de nos jours) de M. Kobayashi dans son école de Tomoe. Musique, écologie, bricolage, apprentissages libres, attention portée aux enfants différents (notamment malades ou handicapés...), l'école de Tomoe semble avoir été un paradis des enfants et une expérience éducative unique, détruite par les bombardements de la guerre (les enfants avaient été évacués) et jamais reconstruite. La force du livre est de faire revivre ces souvenirs heureux (sans cacher les difficultés) et, pour madame Kuroyanagi, de rentre hommage à son ancien directeur d'école. Une très belle lecture, partagée par toute la famille. Merci Nayuta !


06 juin 2018

Private Property – Leslie Stevens

Années 50, Californie. Deux losers suivent une belle femme aperçue à une station service et l'espionnent, avec l'idée de l'un des deux que l'autre puisse coucher avec elle. Ce petit film est un thriller en quasi huis-clos, avec une villa avec piscine espionnée depuis une maison abandonnée et la silhouette d'une belle blonde en maillot de bain. Tout l'intérêt du film, et tout le malaise qu'il génère, vient des tensions sexuelles, toujours présentes à l'écran et jamais dite. Désir des truands pour la belle bourgeoise esseulée. Désir sexuel inassouvi de la dite même que son mari est incapable de voir. Troubles homosexuels entre les deux baltringues. C'est filmé et joué avec talent. Pour le reste, une fois la situation posée, l'évolution est prévisible, et l'ensemble, assez glauque.



04 juin 2018

Isle of dogs – Wes Anderson

On est allés voir Isle of dogs et on a aimé. Ceux qui n'aiment pas le cinéma de Wes Anderson, hyper formel, plein d'astuces, de petites boites et de bricolages, n'aimeront pas. C'est encore plus andersonnien que ses films précédents. C'est un film d'animation, meilleur que Fantastic Mr Fox et pas spécialement pour enfants, malgré les chiens aux yeux doux. Ça se passe dans un Japon réinventé plein de japonaiseries, il y a une scène de préparation de sushis impressionnante, des citations dans tous les sens, des scènes d'action très cool et une ancienne chienne de concours qui fait des trucs (mais il faut imaginer la boule de bowling en équilibre sur ses pattes arrières). Bref.